Nous sommes le mercredi 29 mai 2019 à Bruxelles. Un groupe d’activistes vient déposer, en silence, des chaussures d’enfants dans la cour de la Commission européenne, ainsi que quelques pancartes sur lesquelles on peut lire : « Stop killing children in Yemen » (« Arrêtez de tuer des enfants au Yémen »), « Children are NOT targets » (« Les enfants ne sont pas des cibles »), ou encore « Impunity means more massacres » (« L’impunité, c’est la poursuite des massacres »)… Progressivement, ce sont des centaines de paires de chaussures qui emplissent la place. Un symbole fort qui fait écho au massacre de civils – dont un grand nombre d’enfants – qui est toujours en cours au Yémen.
Cette initiative a été lancée par les militants de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, une ONG indépendante basée en Suisse et qui lutte, depuis 2011, pour la promotion et la défense des droits humains à travers l’Europe et la région MENA (Moyen-Orient, Afrique du Nord). Elle s’inscrit dans le cadre d’une campagne de pression et de mobilisation plus large, prévue par l’Observatoire tout au long du mois de juin. Elle vise notamment les décideurs et les responsables européens, exigeant la protection des civils dans ce conflit armé qui sévit dans le pays depuis plus de quatre ans…
Pourquoi des chaussures ? Selon le comité organisateur de la protestation, chaque paire de chaussures est le souvenir d’un enfant, d’une femme ou d’un vieil homme tué lors de la guerre au Yémen… C’est aussi le meilleur moyen de symboliser la fuite impossible des civils de cette guerre, des chaussures ancrées au sol et destinées à y rester… Car toute tentativede fuite des civils pour échapper au bombardement et à la destruction y est impossible.
Rappelons que le Yémen est confronté à une situation plus que tragique depuis mars 2015, quand l’Arabie saoudite a décidé d’y mener l’opération « Tempête », dirigeant une alliance militaire (avec le soutien des Émirats arabes unis notamment) pour maintenir au pouvoir le président yéménite Abed Rabbo Mansour Hadi contre la rébellion chiite houthie, qu’ils accusent d’être soutenue par l’Iran.
Quoiqu’il en soit, ce qui se déroule au Yémen est l’une des pires crises humanitaires que l’on ait connues. Pour le moment, le bilan s’élève à plus de dix mille morts civiles selon l’UNICEF. D’autres sources vont même plus loin et parlent d’au moins douze mille enfants yéménites tués ou blessés depuis le début du conflit… Si l’on ne peut pas savoir à combien s’élèvent les statistiques exactes – la guerre étant ce qu’elle est, la situation reste dramatique : cela correspond, à peu près, à huit enfants tués ou blessés quotidiennement au Yémen.
La communauté internationale n’agit guère. Par insouciance ? Par incapacité d’agir ? Par compromission ? On assiste de loin à une guerre qui se déroule à huit clos. Plus grave encore, les acteurs restent impunis… Et si les accords de Stockholm signés entre lesbelligérants et approuvés par le Conseil de sécurité de l’ONU en décembre 2018 prévoyaient un cessez-le-feu et avaient soulevé une once d’espoir dans l’apaisement du conflit, ceux-ci ont étéviolés et cet espoir s’est très vite envolé.
Que cette protestation ait lieu devant la Commission européenne n’est évidemment pas un acte anodin. Les militants ont tenu à ce que l’organe exécutif de l’Union européenne agisse enfin pour la cessation des crimes contre les civils, voire si possible des opérations militaires au Yémen.
Certes, en réponse à la crise au Yémen, l’Union européenne a alloué, via son Office d’aide humanitaire (ECHO) dépendant de la Commission, une somme totale de 323,7 millions d’euros d’aide humanitaire.
Mais au fond la seule manière de mettre un terme à cette tragédie humanitaire est de trouver une solution politique qui fasse cesser la violence. Et c’est sur cet enjeu que la Commission européenne devrait travailler davantage.
L’autre réalité est que l’Union européenne connaît un flot continu d’armes de la part de certains États membres vers les pays impliqués dans la guerre : entre autres, la France, dont les révélations récentes du rapport classé « confidentiel défense » par le média d’investigation Disclose, le 7 mai 2019 exactement, sur l’utilisation d’armes françaises au Yémen, sont tout sauf rassurantes… D’autres États européens sont aussi impliqués comme le Royaume-Uni, soutien le plus fidèle de l’Arabie saoudite sur le dossier yéménite au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, selon les rapports d’Amnesty International et de Human Rights Watch (2019). Rappelons que les traités internationaux interdisent de fournir des armes à un pays coupable de crimes de guerre…
Claudie Holzach