La réforme de la justice pénale des mineurs est un véritable serpent de mer. L’ordonnance du 2 février 1945 a déjà fait l’objet d’une quarantaine de modifications, sans toutefois remettre en cause son précepte fondateur : un mineur délinquant est d’abord un enfant en danger. Il convient par conséquent d’aborder la délinquance juvénile sous un angle prioritairement éducatif, ne réservant la voie répressive qu’aux situations les plus graves, pour les mineurs les plus âgés.
De nombreuses voix, principalement à droite de l’échiquier politique, souhaitent depuis longtemps remettre en cause ce paradigme au motif que les mineurs d’aujourd’hui seraient très différents de ceux d’hier, qu’ils sont plus nombreux à tomber dans la délinquance et qu’ils sont de plus en plus violents. Cette analyse ne fait pas l’unanimité au sein de la magistrature où l’opinion inverse est plus répandue.
Que l’on privilégie le traitement éducatif ou l’approche répressive, qu’il est d’ailleurs absurde d’opposer, un constat d’échec s’impose : la première option conduit à confier temporairement le mineur délinquant à un service d’éducation spécialisé, dans le cadre de la PJJ, la protection judiciaire de la jeunesse. Or, trop souvent, plus de six mois s’écoulent entre la décision prise par le juge des enfants et le premier contact avec un éducateur. La seconde option est encore moins efficiente puisque le système carcéral n’est pas équipé pour accueillir des mineurs et les centres éducatifs fermés sont rares. Le résultat est qu’un mineur multi récidiviste ne peut qu’avoir un sentiment d’impunité et d’abandon, n’étant ni condamné (ou s’il l’est, il n’exécute pas sa peine), ni pris en charge durablement et efficacement au sein d’un circuit éducatif ou répressif.
En novembre dernier, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, avait annoncé une prochaine réforme de la justice des mineurs, afin de simplifier et de moderniser la fameuse ordonnance de 1945 dans le but d’accéder significativement la procédure. Elle remet aujourd’hui l’ouvrage sur l’établi, en annonçant un projet de loi qui sera soumis au Parlement en septembre, alors qu’initialement, son intention était de procéder par ordonnance.
Nicole Belloubet reprend une idée déjà envisagée par l’ancienne Garde des Sceaux, Christine Taubira, en 2014 : instaurer une procédure en deux temps, le premier destiné à la reconnaissance rapide de la culpabilité et débouchant sur une mise à l’épreuve avec suivi éducatif, le second conduisant à une éventuelle condamnation du mineur.
L’âge de la responsabilité pénale
Mais c’est surtout l’instauration d’un âge légal de 13 ans en matière de responsabilité pénale des mineurs qui fait débat et donne matière à controverse si ce n’est à polémique, sur fond d’accusation de laxisme par un Emmanuel Macron présenté comme un quasi gauchiste, ce qui ne peut que le réjouir après qu’il eut achevé la droite républicaine pour y occuper la place qu’elle a laissé vacante.
Mais cette mesure, si elle est instaurée, n’aurait pourtant qu’une portée symbolique : elle alignerait la législation française sur celle de la plupart des pays européens, en respect de la Convention internationale des droits de l’enfant. Car en réalité, rien ou presque ne changerait : aujourd’hui, la loi prévoit déjà qu’un mineur de 13 ans ne peut faire l’objet d’une mesure de privation de liberté, seule une réponse éducative pouvant être apportée à ses agissements. En revanche, il appartient au juge de décider de la responsabilité pénale du mineur en fonction de sa capacité de discernement. Ainsi, le juge peut décider qu’un enfant de 12 ans avait conscience du délit ou du crime qu’il a commis, mais sans pouvoir l’incarcérer. A l’inverse, il peut juger qu’un mineur de 17 ans n’avait pas la capacité de discernement suffisante pour être déclaré responsable de ses actes. Dans les deux cas, il s’agit d’hypothèses d’école, en particulier s’agissant de l’incarcération de mineurs de 13 ans.
Demain, si la réforme aboutit, un mineur de moins de 13 ans ne pourra être jugé par un juge répressif et sera déclaré pénalement irresponsable… sauf preuve contraire ! Car comme il est dit dans le jargon juridique, la présomption d’irresponsabilité n’est pas irréfragable. En d’autres termes, si la preuve de la capacité de discernement de l’enfant délinquant âgé de moins de 13 ans peut être rapportée, il pourra tout de même être déclaré responsable et être jugé par un juge répressif. Tout ça pour ça, donc ! Pour rien de pratique, en somme, si ce n’est la symbolique et les principes.
L’autre volet de la réforme visant à instaurer une procédure en deux étapes est bien plus concret. Nicole Belloubet est parfaitement consciente que l’institution judiciaire n’est pas en mesure d’exécuter toutes les peines prononcées par les juridictions répressives, tout particulièrement s’agissant des mineurs. Elle espère qu’en brandissant le glaive de la justice devant un jeune délinquant dans les semaines suivant les faits qu’il a commis, et non 18 mois plus tard (durée moyenne de la procédure actuelle), il prendra conscience non seulement de sa faute, mais aussi des graves conséquences qu’il risque d’en subir. Une sorte du « super rappel à la loi », en quelques sortes, qui devra encore faire ses preuves.
L’opposition politique devrait modérer la véhémence de sa critique, car de droite comme de gauche, elle a échoué dans sa politique de lutte contre la délinquance juvénile. L’essai vaut la peine d’être tenté, et l’on a quelques raisons d’espérer qu’il sera au moins partiellement fructueux. Certes, d’autres auraient préféré que la ministre annonce un effort budgétaire de 3 milliards d’euros, sans doute accompagné d’une baisse des impôts. Un petit coup de baguette magique, en somme !
Michel Taube, fondateur d’Opinion Internationale, et Raymond Taube, rédacteur en chef d’Opinion Internationale et directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique