Le 20 juin, le Conseil d’analyse économique (CAE) qui conseille le Premier ministre, a publié un rapport recommandant la légalisation du cannabis, dans des termes on ne peut plus clair : « Le système de prohibition promu par la France depuis cinquante ans est un échec : non seulement il est inapte à protéger les plus fragiles, notamment les jeunes mais, de surcroît, il pèse lourdement sur les dépenses publiques et profite aux organisations criminelles ».
Le même jour, au lendemain de l’Appel de 70 personnalités (médecins, élus locaux, politiques dont Yannick Jadot, André Glucksmann, Bernard Kouchner…) à la une de l’Obs, des députés de plusieurs bords, à l’initiative de François-Michel Lambert, avec notamment Pierre-Alain Raphan et Cécile Rilhac de La République en Marche, Sébastien Nadot et François Pupponi, déposent sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à une véritable légalisation du cannabis et la création d’un monopole d’Etat pour la production et la vente du cannabis.
Cette initiative est-elle une réponse la contraventionnalisation de l’usage de stupéfiants intégrée à la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 a allégé la répression de l’usage de stupéfiants, désormais sanctionné d’une amende de 200 €. Une réforme sans répercussion significatives sur la santé et les finances publiques, pas davantage que sur le trafic.
Déjà la polémique enfle…
L’échec d’une législation répressive inapplicable qui fait la part belle aux trafiquants
Quand bien même considérerait-on le cannabis comme la plus dangereuse des substances, on ne saurait faire abstraction de l’échec flagrant de l’approche française, et ce à tous les niveaux : sanitaire, budgétaire, sécuritaire… Les études effectuées sur le sujet classent les Français, les jeunes en particulier, parmi les plus gros consommateurs du monde. La législation française était pourtant, jusqu’en mars dernier, particulièrement répressive, puisque le simple fumeur encourait en théorie un an d’emprisonnement et 3750 euros d’amende. Aux Pays-Bas, alors que le produit est en vente libre dans certains cafés, la consommation y est moins importante qu’en France, tout particulièrement chez les jeunes.
L’État, donc le contribuable, a dépensé des fortunes en procédures policières et judiciaires, tant pour poursuivre quelques consommateurs s’étant trouvé au mauvais moment au mauvais endroit, que pour démanteler des réseaux qui se reconstruisent quasiment sur le champ, alimentant mafia et terrorisme. La réforme entrée en vigueur il y a trois mois, parce qu’elle ne vise que les consommateurs, n’affecte en rien les trafiquants.
Le pétard, non ! Le beaujolais, oui !
Aux États-Unis, les États qui ont légalisé le cannabis ont globalement observé une stagnation de la consommation, un recul de la délinquance et d’importantes rentrées fiscales. Et là où la consommation de cannabis a augmenté, celle d’alcool a baissé, ce qui ne siérait évidemment pas aux viticulteurs et autres alcooliers français : le pétard, non ! Le beaujolais, oui !
La vraie question n’est pas celle de la dépénalisation de l’usage, mais celle de la distribution. Légal ou non, le produit est disponible à profusion. Autant qu’il soit distribué sous contrôle et au bénéfice de l’Etat. La licence IV du cannabis, en somme ! C’est en quelques sortes l’objet du la proposition de loi déposée ce jour par une quinzaine de députés : François-Michel Lambert, Sylvia Pinel, Paul Molac, Jean-Michel Clément, Jeanine Dubié, Frédérique Dumas, François Pupponi (Libertés et territoires), Delphine Bagarry, Annie Chapelier, Hubert Julien-Laferrière, Pierre-Alain Raphan et Cécile Rilhac (La République en marche), Régis Juanico (apparenté PS), Eric Coquerel, Loïc Prud’homme (La France insoumise) et Sébastien Nadot (non inscrit).
Concrètement, les députés suggèrent de créer une « Société d’exploitation du cannabis », établissement public ayant le monopole sur la production et la vente au détail. Elle fournirait aussi les semences aux agriculteurs et de « fixer les prix planchers aux débitants ». Les élus souhaitent en outre aligner la fiscalité du cannabis sur celle du tabac, dans le but de dégager 1,8 milliard d’euros de recettes fiscales. La vente serait assurée par les buralistes et interdite aux mineurs. Un arrêté du ministre de la Santé fixerait le taux autorisé de THC, principale substance psychoactive du cannabis. Le produit des taxes serait en partie « consacré aux politiques de prévention et de réduction des risques, notamment en direction des jeunes et des populations vulnérables ».
Sans doute est-il difficile pour un État d’endosser le costume du dealer. Mais n’est-ce pas déjà le cas au regard des quelques cinq millions d’alcooliques que compterait la France. Si la répression n’apporte aucune avancée en termes de santé publique, les avantages économiques de la légalisation pourront-il encore être ignorés ? D’ailleurs, la production de cannabis pourrait contribuer au développement des Départements d’outre-mer, au climat propice à cette culture. La France deviendrait exportatrice pour les usages lucratifs et thérapeutiques, avec des labels de qualité ou labels bio qui pourraient faire référence.
La frilosité des pouvoirs publics dictée par le conservatisme des Français ?
Les Français sont partagés sur la légalisation du cannabis, comme l’est Emmanuel Macron. Non pas que le Président de la République y soit hostile par principe, mais il est conscient qu’il est difficile d’imposer une mesure à forte dimension sociétale ou symbolique sans un large consentement. Outre les alcooliers, l’industrie pharmaceutique, d’innombrables associations, politiques, policiers, magistrats, médecins entonneraient d’une voix : « la drogue, c’est mauvais ! ». Certes, ils n’ont pas tort. Mais ce raisonnement est un peu court, à la lumière de tous les autres facteurs, dont certains ont été rappelés dans ces lignes. Il se consomme tant de drogues licites (alcool, tabac, médicaments…) et il existe tant de comportements addictifs (les écrans, les réseaux sociaux, la télévision…) qu’il convient d’écarter toute approche dogmatique ou fondée sur des considérations corporatistes.
Ce n’est pas pour autant que la légalisation du cannabis n’est pas sans risque, notamment sécuritaire, car ceux qui en vivent aujourd’hui seraient tentés par d’autres trafics, peut-être plus dangereux encore.
À moins que ce cataclysme dans les circuits de distribution du cannabis n’affaiblisse durablement les réseaux où se mêlent souvent criminalité et islamiste radical dans les territoires dit perdus de la République.
Le message des députés à l’origine de la proposition de légalisation est d’abord de lever un tabou et d’engager une réflexion non dogmatique. Les Français, que l’on dit plus conservateurs que réformistes, ne sont peut-être pas (encore) prêts à une légalisation du cannabis. Par sagesse ou pragmatisme, le président de la République n’a jusqu’alors pas souhaité se saisir d’une problématique peu consensuelle et susceptible de déclencher une polémique. Pour le moment, et malgré la conjonction d’une proposition de loi émanant de députés de tous bords, y compris de LREM, et d’un rapport du CAE, le Gouvernement reste opposé à toute légalisation du cannabis récréatif. C’est en tout cas ce que la ministre des transports, Elisabeth Borne, a indiqué au micro de LCI.
Michel Taube et Raymond Taube, rédacteur en chef d’Opinion Internationale