Avec des gestes assurés, le caporal-chef Benjamin, short multicolore, retire une prothèse de sa jambe gauche amputée, fait trois bonds sur sa jambe droite et plonge dans la piscine : le sport a permis à ce soldat de 31 ans de se reconstruire après une attaque en Afghanistan.
Après quelques mouvements, cet aide-moniteur au 132e bataillon cynophile de l’Armée de terre à Suippes (Marne) installe un parcours dans la piscine pour l’entraînement de quatre sergents. Auparavant, il a chronométré les tests de capacité physique d’une quarantaine de soldats.
« Tu peux mieux faire! », dit-il à l’un. « Essaie de mieux respirer », conseille-t-il à un autre. Ancien maître-chien, il est chargé au sein du régiment de la préparation physique des hommes et de l’entretien des installations sportives.
Etre entraîné par un soldat amputé « force les gars à aller au maximum, ils sont moins à se morfondre sur leurs problèmes. Quand ils voient son aisance et sa volonté, ils ravalent leur salive et y vont! », observe l’adjudant-chef Jean-Marc, chef de la cellule sport.
« Le sport est l’une des meilleures rééducations au monde. J’ai compris que j’étais encore comme tout le monde, que même avec un handicap on peut performer », raconte le militaire.
Sur sa prothèse, un ruban tricolore est attaché avec de l’adhésif jaune et noir, les couleurs des Invictus Games. Le trentenaire a participé quatre fois à cet événement sportif imaginé par le Prince Harry pour les blessés et invalides de guerre.
Il a aussi pris le départ du Wounded Warrior des Marines aux Etats-Unis en 2013 et enchaîné les compétitions, récoltant aussi bien des médailles que des mauvais classements.
J’étais vivant
« Je n’ai jamais fait autant de sport que depuis l’accident », dit le militaire qui pratique sprint, basket-fauteuil et natation.
« C’est génial, on est sur notre plongeoir, avec une jambe, deux jambes ou pas du tout, et on nage. C’est une libération de tout », poursuit-il, plusieurs tatouages sur les bras et le torse. L’un est en mémoire du soldat Clément Chamarier, tué par la roquette qui a emporté sa jambe.
Le 19 février 2011, stationné depuis trois mois en Afghanistan avec Arion, son malinois, le maître-chien rentre de mission dans la vallée de la Kapisa, avec un groupe de chasseurs alpins, quand leur véhicule est attaqué par des insurgés.
« Arion a commencé à bouger, je me suis penché vers lui pour le rassurer et à ce moment-là, une roquette a traversé le vab (véhicule de l’avant blindé, NDLR) pour terminer sa course dans un collègue, Clément, qui est mort sur le coup », raconte-t-il. « Arion m’a sauvé la vie », murmure-t-il.
Après la déflagration, « j’ai vu mon pied pendre. Là, le cerveau réagit et la douleur apparaît », dit-il. Héliporté vers Kaboul, plongé dans un coma artificiel, il est rapatrié à l’hôpital militaire de Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine).
« J’avais le sourire en me réveillant: j’étais vivant », se souvient-il. Mais très vite, les interrogations le taraudent: « C’était la fin du monde, je ne pouvais plus marcher, plus être militaire. Qu’est-ce que j’allais faire? », dit-il, assis au « Cyno », un bar de la caserne.
Dans sa chambre d’hôpital, il voit défiler des camarades du bataillon cynophile ainsi que des soldats blessés, qu’il ne connaissait pas, venus le rassurer.
« Entre militaires, on est une grande famille. Dès que je vais à Paris, je vais voir les blessés à mon tour pour leur dire que la vie continue », explique le jeune homme.
Des blessés au défilé ?
Avant l’attaque, le sport se résumait aux entraînements et tests imposés par l’armée ou du hockey sur glace, pour se divertir. Lors de sa rééducation, il découvre que « dans l’eau, on ne sent plus le handicap ».
Il teste plusieurs handisports lors d’une semaine organisée par la Cellule d’aide aux blessés de l’Armée de terre et essaie une lame pour la course avec deux autres amputés. « On était trois gamins, on sautait partout », s’esclaffe-t-il.
A sa sortie de l’hôpital en 2012, le militaire insiste pour redevenir maître-chien, « mais je me suis rendu compte que je ne pouvais plus faire certaines choses, ce qui pouvait mettre en danger le groupe ».
En intégrant le bureau des sports en 2014 au 132e régiment, celui qui a été envoyé au Liban et en Haïti avant l’Afghanistan trouve « une autre façon de défendre le drapeau ».
Pour la journée nationale des blessés de l’Armée de terre, organisée samedi partout en France, il proposera à la caserne une démonstration de basket-fauteuil.
Les blessés, il aimerait les voir défiler un jour sur les Champs-Elysées, pour le 14 Juillet, « pour changer l’image qu’en ont les Français ».
L’armée, tous corps confondus, compte quelque 12 000 blessés depuis 25 ans.
Murielle KASPRZAK