La libre circulation des personnes dans l’espace européen est un principe fondamental de l’Union européenne. Une avancée historique du siècle dernier qui a permis à des millions de personnes de fraterniser, de voyager librement, de se connaître et de mieux se comprendre, en marginalisant les distances et les conflits entre les peuples.
Le dernier avatar en était la chute du mur : tout une génération en liesse a participé à l’abolition de ce rebus de l’histoire. Quand on revoit les images, on se demande de quel siècle on parle. Comme les plus jeunes quand ils disent à leurs parents : « c’est vrai papa, t’avais pas de téléphone portable à ton époque ? » Qui voyage dans des pays qui n’ont pas cette ouverture mesure bien en quoi cette richesse est importante.
Le street art est également le contraire de l’enfermement à l’intérieur des frontières. Le mode d’expression des street artistes est par nature basé sur ce nomadisme fraternel qui colporte, apporte et importe, créant un grand brassage de couleurs et d’idées, une ouverture sans précédent sur l’art et sur nos sociétés. Les street artistes se baladent de villes en villes, de pays en pays, de murs en murs pour créer cette confrérie internationale des murs à coup de battles artistiques, de collaborations joyeuses qui habillent les murs gris de nos cités, car un mur gris reste un mur gris, partout dans le monde.
On commence par sortir de son immeuble et par s’aventurer dans son quartier ; puis on en sort pour coller des pochoirs et des affiches dans sa ville, dans son pays. Puis on part encore un peu plus loin, aspiré par des territoires nouveaux pour exporter son talent et ses messages, se confronter aux autres graffeurs du monde entier. La planète constitue désormais le même terrain de jeu. Cuba, Pékin, Los Angeles, Paris ou Berlin… La liberté des uns nourrit la liberté des autres et les murs comme les arbres se parlent entre eux : « he, t’as vu c’est Shepard Fairey qui est venu me colorier… Suis beau, non ? Et moi, c’est Blu… Et moi c’est Banksy… Moi c’est Vhils ; et moi et moi et moi et moi… Il y a une communauté secrète des murs, l’autre est une richesse.
On ne fait pas que jeter de la couleur sur un support, les street artistes sensibilisent aussi les peuples car l’art et les messages sont imbriqués. Les street artistes sont bien plus que des artistes aspirant à la notoriété des galeries. La majorité n’est pas connue du grand public et ne le sera jamais. Ce qui ne les empêche pas, jour après jour, de s’impliquer pour donner à penser, de brocarder les petits maux de nos sociétés, de mettre en évidence ce qui ne va pas, parfois sans filtre, de mettre à la lumière du jour les grands sujets auxquels il faut se coltiner, d’importer la réflexion dans le salon de tous ceux qui n’ont pas le temps ou l’éducation nécessaire. Une image a pu changer le cours de la guerre du Vietnam, un mur, des murs, sur l’environnement, les migrants, la surveillance et la démocratie, la fraternité, la dureté de nos sociétés peuvent et même doivent inciter à la réflexion, modestement. Une image, un sourire, une évidence.
Alors, à quelques jours de l’intronisation d’un nouveau Parlement Européen, que les chefs d’Etats de l’Union n’arrivent pas à s’entendre pour désigner le président de la Commission européenne et de quelques autres institutions clé,alors que Boris Johnson s’apprête à devenir premier ministre de sa Majesté et de choisir un Brexit dur, alors que certains font de l’Europe le bouc émissaire de tous les maux et souhaitent refermer les frontières, alors que l’autre est montré du doigt, alors que des pseudos leaders politiques que l’histoire jugera durement attisent les braises de l’Histoire, ivres d’eux-mêmes et de leur image, les street artistes célèbrent cette avancée majeure du XX ème siècle, l’abolition des frontières, le voyage libre qui fait de la différence une richesse, la fraternité, l’éloignement de la guerre : l’Europe l’europe l’europe !!!
Je pense à cette phrase de Konrad Adenauer : « Mon objectif est qu’un jour nous puissions applaudir les États-Unis d’Europe ». Je pense à ce drapeau bleu comme la mer et le ciel, plein d’étoiles, car regarder les étoiles c’est rêver. Le ciel n’est pas toujours sans nuages, le temps pas toujours celui que l’on souhaite, mais ce drapeau bleu a fait rêver ma génération qui se sent obligée vis-à-vis de ceux qui ont eu cette idée géniale, ce rêve étoilé, d’abolir les frontières et de favoriser la libre circulation des peuples. Je pense à tous ces street artistes pour qui la frontière n’est pas un mot du dictionnaire : Blek, je l’ai déjà dit, mais aussi Blu l’Italien, Brusk et ses œuvres fantastiques de justesse sur l’Europe et les migrants comme ces gens qui s’agrippent à notre passeport français et européen, Banksy et son pochoir célèbre sur Steve Job, un migrant parmi d’autres, Icy and Sot, Shepard, Dran, Nova Dead et sa fresque rue de la loi à Bruxelles : « the future is Europe ». Et bien d’autres.
« Il n’y a de nouveautés dans l’histoire qu’en vertu d’utopies », Michel Serres |
Alors, comme le disait Daniel Faucher, « l’Europe est (peut-être) trop grande pour être unie, elle trop petite pour être divisée ». Alors please, redonnez du sens à votre politique, Messieurs, qui êtes « in charge ». Votre responsabilité est lourde. Faites les réglages nécessaires et enchantez de nouveau les peuples. Napoléon disait que « les hommes se gouvernent avec des hochets » en créant la Légion d’Honneur : refaites de l’Europe le hochet des peuples européens. Sinon Banksy pourrait bien sous peu enlever d’autres étoiles sur le drapeau européen. Et les étoiles redevenir inaccessibles, obscurcies par les nuages. Et on ne vit pas bien dans l’obscurité.
Philippe Rosenpick
Avocat associé chez Desfilis, organisateur du prix du Graffiti 2016/17, promoteur de la fresque dessinée par Crey 132 en l’honneur du Bleuet France sur la place des Invalides, membre de la commission d’appel de la Fédération Française de Rugby, Chevalier de la Légion d’honneur