Les nouvelles venues d’Irak où sont jugées et quasi systématiquement condamnées à mort des personnes accusées d’appartenance à l’Etat Islamique, et parmi elles des citoyens Français, au terme de procès expédiés en quelques minutes, heurtent la conscience de toute personne attachée aux valeurs universelles que sont la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable ; et ce, quoique l’on pense des engagements des accusés.
L’avocat que je suis en est tout particulièrement alarmé, voyant que nos confrères irakiens sont dans l’impossibilité d’accomplir leur mission sans parler des avocats étrangers empêchés de prêter leur concours ; plusieurs avocats français ont exprimé dans une récente tribune leur colère et pointé la responsabilité de la France.
Nous partageons leur point de vue mais voulons aller plus avant.
C’est notre expérience à Avocats sans Frontières qui nous dicte de le faire.
Nous avons au cours de notre jeune mais dense histoire été confrontés à des situations de cette nature, au Rwanda d’abord dans les procès de l’après génocide où des dizaines de milliers de personnes étaient traduites devant des juges sans expérience d’un pays traumatisé, sans avocat et avec la peine de mort ; ce fut ensuite au Burundi puis au Pérou de Fujimori, au Nigeria des Tribunaux Sharia, à ceux de la Libye de Kadhafi ou encore aux Tribunaux Militaires de la République Démocratique du Congo.
La première question que tout un chacun se pose est de savoir à quoi peut servir un avocat devant des juges asservis volontairement ou non. C’est notre expérience qui répond : j’affirme haut et fort que c’est dans ces circonstances extrêmes que nous avons pu mesurer combien notre présence était essentielle ; en 22 ans d’expérience aucun de ceux que nous avons défendus, aucun observateur ni aucun d’entre nous n’a émis la moindre réserve sur nos interventions.
D’abord parce que notre arrivée auprès d’un être humain, par hypothèse isolé, se sachant perdu, lui apporte un immense réconfort et lui donne la force de s’expliquer. Or dans de telles situations les responsabilités ne sont pas égales et chaque accusé doit être en mesure de se défendre ; ensuite parce que nous nous sommes dotés de compétences et d’approches spécifiques adaptées à ces conditions. Enfin parce que nos toutes premières expériences nous ont appris que quelques soient les circonstances il pouvait exister des juges attentifs à nos arguments.
Le second obstacle que nous devons franchir est l’accès aux accusés et au Tribunal qui les juge. Ici par contre aucune règle internationale ne peut être invoquée ; c’est au cas par cas et toujours compliqué car nous nous heurtons au sacro-saint principe de la souveraineté des États. Comment l’Etat rwandais a-t-il permis que des centaines d’avocats étrangers viennent devant des tribunaux et y assurent la défense ? Même question pour les autres pays et réponses différentes mais en commun : parce que la situation du pays ne lui permettait pas de s’y opposer. Avec souvent des négociations discrètes sinon secrètes qui nous ont permis d’aboutir à notre injonction de conscience : aller défendre pour tenter de conjurer l’injustice et la mort.
Ici l’Etat irakien ne semble pas en mesure de refuser la tenue de procès équitables et donc la présence, aux côtés d’avocats nationaux, d’avocats étrangers. D’autant que l’Irak a signé et ratifié un traité international garantissant le procès équitable et qu’il est naturel que des États ou des institutions Internationales lui demandent de le respecter.
C’est pourquoi la France et plus largement la communauté internationale avec en tête l’Union Européenne doivent se manifester sans tarder auprès de l’Etat irakien pour exiger de lui qu’il respecte ses engagements internationaux, mette sans délai un terme à ces parodies de Justice et permette la tenue de procès équitable avec la présence d’avocats étrangers.
Les avocats français et européens et notamment le réseau international Avocats Sans Frontières, fort de son expérience et de sa capacité de mobilisation, doivent se tenir prêts à organiser une telle présence.
C’est l’honneur de la profession d’Avocat et bien au-delà de nos démocraties que de rappeler et défendre, dans de telles circonstances, les principes qui fondent l’état de droit.
François Cantier
Avocat
Fondateur et Président d’Honneur d’Avocats sans Frontières France
Fondateur et Président de l’Ecole des Droits de l’Homme