Le phénomène est aussi galopant qu’inquiétant : depuis quelques années, le plus vieux métier du monde s’installe dans nos banlieues et profite de la fragilité d’une jeunesse en perte de repères.
Alors que nous célébrions en 2017 les 40 ans de la Politique de la Ville, les inégalités ne cessent de se creuser entre les territoires, et nos quartiers accumulent les handicaps. Les chiffres sont sans appel : 40 % de la population de ces quartiers vivent dans la « pauvreté » contre 16% dans l’ensemble de la population.Ces personnes font face à des difficultés sociales, en termes d’éducation, d’emploi et de revenus, sans commune mesure avec le reste des Français. Ces 1514 quartiers les plus pauvres de notre pays, dits « Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville », représentent pourtant 5,5 millions d’habitants, soit presque 1/10ème de notre population !
Parmi eux, les jeunes, l’avenir de notre pays, sont les plus à plaindre. Ceux-ci souffrent du chômage, 45% des moins de 25 ans y étant sans emploi, soit 20 points de plus que la moyenne nationale, mais aussi de la déscolarisation et du désengagement associatif et citoyen.
Ces quartiers désertés par ce qui génère des liens sociaux sains d’ordinaire tournent de plus en plus en « circuit fermé » et tombent dans des moyens de subsistances peu recommandables, voire criminels. C’est ainsi qu’a vu le jour un nouveau phénomène alarmant, qui devrait tous nous interroger : le proxénétisme et la prostitution dans les quartiers.
Ce crime, le plus rentable du monde a pris naissance dans le terreau des réseaux sociaux comme Facebook, Instagram et Snapchat, qui ont fait émerger chez les jeunes un sentiment d’anxiété lié à un culte exacerbé de l’image, car toute leur vie devient sujet de comparaison avec « celle des autres ».
Sur ces réseaux florissants s’est en outre épanouie toute une génération d’influenceurs. Suivant les exemples de certaines jeunes femmes en vogue, qui n’hésitent pas à afficher leur sexualité sur la toile, la prostitution séduit les jeunes filles qui revendiquent la liberté de leur corps et rêvent d’ascension sociale. Dans une société où l’image de la femme est hypersexualisée, nous assistons ainsi à une affligeante banalisation de l’acte sexuel et de la pornographie.
La « glamourisation » de la prostitution est aussi à l’œuvre. Le phénomène « Zahia Dehar », du nom de la jeune fille au cœur d’une affaire de proxénétisme impliquant des joueurs de football de l’équipe de France à la fin des années 2000, alors qu’elle était mineure est significatif : Zahia devenue riche, beaucoup de jeunes filles s’identifient à elle. Elles considèrent que la prostitution a été une étape, comme un « ascenseur social » pour pouvoir sortir de son milieu socio-professionnel.
À sa suite, les jeunes filles issues de familles défavorisées imaginent qu’en rencontrant des hommes dans des boîtes de nuit de luxe, elles peuvent prétendre à la même success story, ce qui est faux, bien entendu !
Cette banalisation du commerce du corps aboutit aussi parfois à un autre phénomène, baptisé le « michetonnage » : des adolescentes, elles aussi issues de quartiers paupérisés, entretiennent une relation avec un homme plus âgé afin d’obtenir des cadeaux ou autres avantages en retour, une sorte de prostitution que les jeunes filles refusent de reconnaître, pensant être en position de force vis-à-vis de ces hommes alors que c’est généralement l’homme qui tire profit de leur vulnérabilité.
Ce qui frappe chez les jeunes mineurs qu’ils soient proxénètes, clients ou prostitués, c’est le fait qu’ils ne se voient pas comme tel : pour eux une prostituée exerce forcément sur le trottoir et un proxénète met une fille sur le trottoir et la frappe. Ils n’ont pas conscience du caractère prostitutionnel de leur activité.
Ceci doit nous alerter sur notre capacité en tant que société à aider nos jeunes les plus fragiles, et à détecter le besoin d’aide même quand il n’est pas ou mal exprimé. Sur 193 cas de prostitution jugés en 2018, plus de la moitié (52%) des victimes recensées étaient mineures et, en moyenne, âgées de 15 à 16 ans ! Et leurs proxénètes ne sont guère plus vieux !
Les réseaux de drogues sont saturés et déjà bien installés. Le braquage ou l’escroquerie demandent une expertise et une logistique qui n’est pas à la portée de ces jeunes hommes. Les réseaux de prostitution sont plus simples à mettre en place : pas de matière première, aucune mise de départ, des bénéfices rapides et rentables. Plus lucratif que le trafic de stupéfiants, le proxénétisme des cités opère via des plateformes en ligne, loin des stéréotypes de la prostitution, ce qui complique leur identification.
Détecté seulement en 2014, avec quelques cas recensés seulement, ce phénomène est en plein boum ! Quatre ans plus tard, en 2018, le nombre de procédures pour les mêmes faits a explosé : plus de 120 (chiffres de l’Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains) en une seule année ! Et sur les 238 proxénètes interpellés en 2017, 15% étaient encore mineurs !
Cette misère humaine s’ajoute à la misère sociale omniprésente dans ces quartiers, du fait des abandons successifs infligés par notre société(économie, services publics, tissu associatif délité…). Ne dit-on pas, en psychologie, que les victimes – ces jeunes que nos politiques ont privés d’avenir – finissent très souvent par se transformer en bourreaux, ou par rejouer indéfiniment le scénario qui légitime leur statut de victime ?
La loi du 13 avril 2016 à permis d’améliorer l’accompagnement des personnes prostituées, en instaurant des parcours de sortie de la prostitution, 65 personnes ont déjà bénéficié de ce type de dispositif, mais la lutte contre le proxénétisme des cités ne représente pas moins de 45% de l’activité de la brigade de répression de Paris !
Or les moyens d’enquête manquent cruellement. Le budget de l’Office Central pour la Répression de la Traite des êtres humains s’élève à 12 millions d’euros par an, alors que les revenus générés par la prostitution dans l’Hexagone sont estimés à 3 milliards d’euros annuels.De plus, seuls 20 enquêteurs y travaillent, contre 50 il y a quelques années, dont seulement 10 personnes pour l’Office Central de Lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication.
Ce nouveau danger pour nos jeunes soulève de nombreux défis, le plus grand d’entre eux étant que gouvernants et grand public assument notre responsabilité collective, en tant que société individualiste et inégalitaire, dans cette nouvelle forme de détresse humaine, et osent ne pas détourner les yeux de ces quartiers, qui sont le reflet de l’état de notre France.Nous devons agir maintenant, et nous devons agir vite, car les phénomènes observés dans les quartiers sont loin d’y être circonscrits et nous pourrions tous être concernés par l’un d’entre eux, un jour ou l’autre, j’en veux pour preuve les soupçons de prostitution étudiante, non encore prouvés par la Justice, mais l’absence de preuves ne signifie pas l’absence de faits…
Bruno POMART
Ex-policier du Raid, Police Nationale – Major de Police
Maire sans étiquette de la commune de Belflou dans l’Aude
Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation : www.raid-aventure.org
Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités » paru aux éditions Anne Carrière
Chevalier de la Légion d’honneur, Chevalier de l’ordre National du mérite