Mustapha Laabid, député d’Ille-et-Vilaine, président du groupe d’amitié France – Maroc de l’Assemblée Nationale, sera l’invité exceptionnel de l’Hebdo Opinion Internationale spéciale « Maroc » organisée demain mercredi 24 juillet 2019 à l’occasion de la Fête du trône qui marque l’accession au pouvoir du Roi Mohammed VI le 30 juillet 1999, . Participeront également à cet événement où vous pouvez encore vous inscrire Chakib Benmoussa, Ambassadeur de Sa Majesté le Roi du Maroc en France, Aymeric Chauprade, géopoliticien, auteur de « Géopolitique d’un Roi » (éd. Ellipses), et Michel Taube, fondateur d’Opinion Internationale.
Grand entretien avec Mustapha Laabid sur la relation franco-marocaine, ses enjeux, ses espoirs.
Monsieur le député, vous êtes le président du groupe d’amitié France – Maroc à l’Assemblée Nationale depuis juillet 2017. Voilà vingt ans que le Roi Mohammed VI a accédé au trône. Que vous inspire cet anniversaire ?
Cet anniversaire m’inspire d’abord du respect. Arriver au pouvoir à 36 ans et succéder à 40 ans de règne d’un personnage aussi charismatique qu’Hassan 2 n’est pas chose aisée. Je retiendrai de ses vingt années des réformes sociétales courageuses et des projets structurants pour le pays.
Aujourd’hui, le Maroc est l’un des pays arabes les plus stables, et son potentiel économique est considérable. D’un point de vue géopolitique, il est un partenaire incontournable dans les relations Nord-Sud, Occident-Orient ou encore Sud-Sud.
Nous pouvons largement mettre ce succès à l’actif de la monarchie marocaine car elle a su opérer les réformes nécessaires. En effet, dès son accession au trône, le roi Mohamed VI a ressenti et incarné les attentes des Marocaines et des Marocains, tant en matière de réformes structurelles que de modernisation respectueuses de l’identité marocaine.
Il fallut tout d’abord réconcilier la nation marocaine avec son passé douloureux, celui des « années de plomb » et trouver un cadre (Instance équité et réconciliation) permettant aux Marocains de pouvoir librement mettre des mots sur des maux. A travers ces séances d’auditions publiques retransmises en direct à la TV, les Marrackchi ont pu découvrir les témoignages bouleversants de familles de disparus du Moyen Atlas et du Rif, et les habitants de l’oriental le vécu des Casablancais durant les émeutes de 1981. On dit souvent que « c’est dans les non-dits que règne le chaos » : Sa Majesté Mohammed VI l’a très bien compris et a eu le courage d’affronter ce passé douloureux. Cette « thérapie collective » a sans nul doute permis à tout un peuple de faire corps et d’avoir espoir en l’avenir.
Je pense également à l’évolution du code de la famille, la Moudawana de 2004, permettant une avancée substantielle du droit des femmes (tutelle matrimoniale, co-responsabilité des conjoints, divorce…). Ce texte, bien au-delà de son aspect juridique, a eu pour effet de reconnaître et de promouvoir le rôle de la femme dans la société marocaine, et lui offrir une forme d’émancipation.
Mohammed IV a également toujours eu la volonté, mais aussi la capacité de rencontrer son peuple. Il a de suite instauré une relation directe avec les Marocains, bousculant les codes en vigueur et révolutionnant l’image de la monarchie.
Parallèlement, le souverain marocain a impulsé des réformes économiques fortes en engageant le Maroc à travers des projets structurants et la construction d’infrastructures de grandes envergures. Ainsi, 70% de la population marocaine est directement liée par une autoroute, quasiment toutes les régions sont dotées d’un aéroport international, le royaume dispose d’un immense complexe portuaire (Tanger Med), le TGV Al Borak a franchi la barre du million de passagers seulement six mois après son lancement, trois grands barrages sont édifiés chaque année, une politique ambitieuse a été initiée en matière d’énergies renouvelables (Centrale Noor, parc éolien de Tarfaya…), de grands pôles industriels compétitifs ont été créés (Tanger, Kénitra, Casablanca Nouaceur…), 80 % du pays bénéficie d’une couverture 4G… Et ce ne sont là que quelques exemples qui expliquent l’excellente place du Maroc dans le classement Doing Business.
En se penchant sur le bilan de ces deux décennies, on mesure le chemin que le Roi a fait parcourir à son pays. Un parcours jalonné de crises majeures (Attentas Casablanca 2003, tremblement de terre Al Hoceima 2004, mouvement du 20 février 2011, événement d’Al Hoceima 2017…) dont le Maroc est toujours sorti renforcé.
Le futur défi du Royaume consistera à instaurer plus d’équité sociale et territoriale. C’est tout le sens des discours que le Roi a prononcés en octobre 2017 et 2018 à la chambre des Représentants où il avait appelé à une réévaluation du modèle de développement national et à l’élaboration de politiques publiques en capacité de réduire efficacement les disparités et les inégalités existantes.
Quel regard portez-vous sur les relations entre la France et le Maroc ?
Ces relations sont séculaires, traditionnellement excellentes et marquées par un dialogue dense et régulier. Le Roi Mohammed VI avait choisi la France pour effectuer sa première visite d’Etat à l’étranger en mars 2000, et le président de la République s’est rendu au Maroc pour une visite d’amitié à l’invitation du Roi, les 14 et 15 juin 2017, soit moins d’un mois après son investiture, et pour le premier déplacement bilatéral du chef de l’Etat hors d’Europe.
Des Rencontres de haut niveau (RHN) se tiennent régulièrement : en témoigne la visite de Jean Yves Le Drian le mois dernier et celle de la Ministre Frédérique Vidal la semaine dernière.
La France et le Maroc sont engagés dans un dialogue permanent et franc dans tous les domaines et sur tous les sujets. Le Royaume est un pays ami et allié dans le cadre des priorités définies par la commission commune entre les ministères concernés par la coopération internationale.
Au-delà, de ces relations « officielles », la société civile a été à l’avant-garde de certaines transformations et innovations. Ainsi, près de 900 filiales de groupes et entreprises françaises opèrent au Maroc, employant 100.000 personnes, 1,5 million de Marocains vivent en France (deuxième communauté dans l’Hexagone), 2 millions de touristes français visitent le Maroc, 80 000 Français résident au Maroc (première communauté étrangère) … Les Marocains occupent la première place parmi les étudiants étrangers en France, où ils étaient 38 000 en 2017. Le Royaume est le premier partenaire commercial de la France en Afrique et reste la destination privilégiée des investissements français.
Je suis agréablement surpris par la vitalité des échanges entre nos deux pays. J’ai pu constater, lors de mes nombreux déplacements au Maroc et dans le cadre d’échanges avec des Marocains résidents en France, une énergie incroyable et une profusion de projets, qu’ils soient économiques ou associatifs. Je sens une envie et une créativité notamment par le biais de l’entreprenariat. Il me semble que les deux pays doivent travailler à faciliter et à sécuriser ces investissements.
Le Royaume ne représente pas seulement un partenaire économique de premier ordre, il est aussi un partenaire politique dont le rôle est précieux sur le plan international.
Qu’il s’agisse de questions migratoires, d’enjeux autour du terrorisme international ou encore d’urgence climatique, tout conduit à renforcer la collaboration entre les deux pays.
À l’heure où la méfiance, l’incompréhension et la peur gagnent du terrain sous l’action conjuguée de l’extrémisme religieux et du repli sur soi, l’espoir viendra d’un axe franco-marocain fort, élargi à un axe euro-africain revivifié.
La France n’est plus le premier partenaire économique du Maroc, l’Espagne nous ayant dépassé. Comment l’expliquez-vous et quelles solutions pour y remédier ?
Si la proximité géographique y est pour beaucoup, je pense que nous avons commis une erreur qui persiste depuis près de dix années : pour nous Français, l’essentiel de nos relations commerciales reposait sur les entreprises du CAC 40. A contrario, l’Espagne a favorisé l’accompagnement d’un tissu de PME performant et plus pragmatique dans sa façon d’aller conquérir de nouveaux marchés.
Il nous faudra donc être plus agile, plus humble et moins naïf !
Néanmoins depuis deux ou trois ans, on sent une dynamique s’opérer côté français, favorisant l’implantation au Maroc de TPE/PME, d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou encore de start-up, et une volonté des services consulaires d’être une force d’appui et d’accompagnement pour nos petites et moyennes entreprises. Pour reprendre notre place, nous devrons sortir des sentiers battus, opérer un véritable maillage du territoire marocain de Tanger à Lagouira. Le forum d’affaires Maroc-France organisé en octobre prochain à Dakhla dans le Sahara marocain par la Chambre Française de Commerce et d’Industrie du Maroc est l’exemple type de cette nouvelle stratégie qu’il nous faut adopter.
Au sujet du Sahara, quel est le rôle de la France dans le règlement de ce dossier que « surveille » le Conseil de sécurité des Nations tous les six mois ?
La France a une position claire et ceci de longue date. Nous soutenons la politique marocaine qui est crédible et sérieuse. Les députés n’hésitent pas à se rendre au Sahara et à s’exprimer pour le Sahara marocain. Un colloque sur la question s’est tenu cette année à l’Assemblée Nationale.
Et sur les autres enjeux internationaux, la France et le Maroc sont-ils concurrents ou partenaires ?
Partenaires bien entendu. La France est la locomotive des relations entre le Maroc et l’Europe. Nous avons tellement d’intérêts partagés. J’en vois un en particulier, au-delà des relations économiques : il s’agit du lien entre la France et les pays africains hors Maghreb. Nous connaissons les volontés d’ouverture et d’investissement de sa Majesté Mohammed VI. Le président Emmanuel Macron a clairement énoncé l’ambition de la France de renouer avec l’Afrique. Faisons-le ensemble !
Votre groupe d’amitié est le plus large de tous les groupes d’amitié de l’Assemblée. Comment l’expliquez-vous ?
Le succès du groupe d’amitié est à l’image des liens indéfectibles entre la France et le Maroc et de la vitalité de leurs relations. Il démontre si besoin la place qu’occupe le Maroc dans l’imaginaire, la société et le paysage français.
J’ai pu aussi mesurer combien les membres du groupe d’amitié portent à travers leurs histoires individuelles et collectives cette relation unique et historique, longue de quatre siècles.
Avec mes collègues parlementaires, voici maintenant deux ans que nous contribuons à développer les relations, les coopérations entre la France et le Maroc, qu’elles soient d’ordre institutionnel, parlementaire, ou encore à l’échelle de la société civile. En complément des réunions de travail du groupe et des auditions, nous avons effectué, en groupe ou à titre individuel, de nombreuses visites au Maroc où nous avons pu constater la permanence et la solidité des relations franco-marocaines. Par ailleurs, je suis attentif à faire vivre ce partenariat y compris en France en accueillant nos amis marocains au sein de l’Assemblée nationale, en élargissant les échanges aux acteurs associatifs français ou encore en favorisant les liens avec la jeunesse marocaine.
Enfin, j’ai la chance de pouvoir m’appuyer sur un noyau dur de députés très disponibles et investis à porter haut cette remarquable amitié franco-marocaine.
Et une question plus politique : la diplomatie parlementaire a du mal en France à « exister », tant la politique étrangère est cornaquée par l’exécutif. Comment arrivez-vous, en l’espèce, à peser dans les relations franco-marocaines ?
La diplomatie parlementaire a du mal à être visible, c’est vrai ! Pourtant, elle est présente et importante au vu du nombre de groupes d’amitié à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je crois que nous pouvons aussi nous réjouir d’un Président et d’un gouvernement pour lesquels les affaires étrangères et européennes sont essentielles.
A titre personnel, j’apprécie la disponibilité du Quai d’Orsay et de l’Elysée sur tout ce qui peut nous préoccuper au sein du groupe d’amitié, ou en ma qualité de président du groupe. Ainsi, à chaque déplacement du Président ou du Premier ministre, une délégation de parlementaires français les accompagne. De ce fait, auprès du Premier ministre Edouard Philippe, j’ai participé à la 13ème Rencontre de Haut Niveau à Rabat des 15 et 16 novembre 2017. Ce fut l’occasion pour le Premier ministre d’ouvrir le Forum économique franco-marocain et de resserrer les coopérations entre les entreprises des deux pays. Le 15 novembre 2018, j’ai accompagné le président de la République, Emmanuel Macron, lors de l’inauguration de la LGV Tanger-Casablanca.
Je pense que ces différentes diplomaties sont nécessaires et utiles, chacune à leur échelle, et dans un souci de cohérence et d’efficacité. De plus, il ne faut pas oublier que les relations diplomatiques obligent à considérer le temps long dans l’évaluation de la portée de chaque engagement.
Comme j’ai pu le dire, l’engagement et l’investissement des deux sociétés civiles sont tout aussi anciens qu’étoffés. Ils participent à nourrir les relations franco-marocaines. Et il me semble primordial de nous y intéresser et de les valoriser.
En septembre prochain, Opinion Internationale organisera, avec votre groupe d’amitié, un événement de mémoire, quatre-vingt ans après le discours du Sultan Mohammed V appelant à être au côté de la France qui venait d’entrer dans la seconde guerre mondiale. Quel est le sens de cette date et quelle est son actualité aujourd’hui ?
Les deux guerres mondiales ont participé à créer entre les Français et les Marocains une sorte de « fraternité d’armes ». Spahis, Goumiers, Tabors, Tirailleurs marocains ont versé de leur sang dans le combat pour la liberté de l’Europe et en particulier pour celle de la France.
Cette histoire commune, il ne faut pas l’occulter, et ce d’autant plus qu’un nombre important de jeunes franco-marocains l’ignorent.
De même, nombre de Français ignorent le rôle joué par S.M. Mohammed V en faveur de la France et sa confiance dans les « destinées de la France », même dans les moments les plus sombres de son histoire, alors même qu’il était un fervent partisan de l’indépendance marocaine.
Ainsi, il nous paraissait essentiel de commémorer l’un des actes forts de cette fraternité franco marocaine : l’appel du 3 septembre 1939 du Sultan Mohammed ben Youssef dans les mosquées du Royaume. Lors de cet appel solennel en faveur de la France et de ses alliés, il déclarait : « C’est aujourd’hui que la France prend les armes pour défendre son sol, son honneur, sa dignité, son avenir, et les nôtres, que nous devons être nous-mêmes fidèles aux principes de l’honneur de notre race, de notre Histoire et de notre religion […] A partir de ce jour et jusqu’à ce que l’étendard de la France et de ses alliés soit couronné de gloire, nous lui devons un concours sans réserve, ne lui marchander aucune de nos ressources et ne reculer devant aucun sacrifice. »
Il convient de souligner cet autre appel du Sultan au lendemain de l’armistice du 22 juin 1940 : « Si la France était un petit pays, si l’histoire du peuple français ne datait que d’une cinquantaine d’années, nous aurions des craintes justifiées pour votre avenir, mais votre pays étant l’immense et riche France que je connais si bien et l’histoire du peuple français étant cette histoire qui force l’admiration, ce serait un crime que de douter des destinées de la France ».
Sous l’impulsion du Sultan, le Maroc a aidé la Résistance française et a participé à la lutte contre le nazisme. N’oublions pas que le Sultan s’opposa à la législation sur les Juifs du gouvernement de Vichy sur son territoire. Il refusa toute discrimination au motif qu’ils étaient « sujets du Roi », au même titre que les Marocains musulmans.
C’est ainsi que cette particulière relation franco-marocaine s’est traduite dans les échanges entre le Général de Gaulle et le souverain marocain. Ce dernier écrivait dans ses Mémoires de guerre: « je nouai, avec lui des liens d’amitié personnelle. Mais aussi, nous conclûmes une sorte de contrat d’entente et d’action commune, auquel nous ne manquâmes jamais, ni l’un ni l’autre, aussi longtemps que moi-même je pus lui parler au nom de la France. ».
Cette confiance et cette amitié se manifesta alors par la reconnaissance de l’engagement du Sultan, distingué en qualité de Compagnon de la Libération.
Aujourd’hui, nous sommes les héritiers de cette histoire. Nous pouvons être fiers que cette amitié et ce compagnonnage aient été préservés, quels que soient les aléas. Notre devoir est un devoir de mémoire et de fidélité. Car « celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va ».
Avez-vous un message à adresser à l’opinion internationale (pour reprendre le nom de notre site d’information) ?
Je crois en notre capacité à nous rassembler et à nous fédérer autour d’enjeux majeurs. Qu’elle que soit notre origine, notre religion, notre orientation politique, notre sexe, nous nous devons d’offrir à nos enfants un monde multipolaire, plus égalitaire, plus tolérant et plus sûr.
Les défis environnementaux, économiques, sécuritaires ne seront surmontés qu’au travers d’actions internationales proactives, favorisant le co-développement et la co-émergence. Notre vision de ce monde se doit d’être multilatéraliste, basée sur une stratégie collective beaucoup plus inclusive et non infantilisante pour les pays en développement.
Chacun à notre échelle, préservons notre capacité à faire ensemble, faisons preuve de résilience. Nos nations, nos peuples ont tout intérêt à aller vers davantage de coopération, de complémentarité. Cessons de perdre notre temps à comptabiliser ce qui nous divise, concentrons-nous sur ce qui est en mesure de nous rapprocher.
Chères lectrices, chers lecteurs pour faire écho à la précédente question, à la manière du goumier, je vous crierai haut et fort : « ZIDOU L’GOUDAM »!
Propos recueillis par Michel Taube