La très forte immigration maghrébine des années 50 à 70 a permis à la France de relever le défi de la croissance économique des trente glorieuses. Mais les chocs pétroliers ont subitement changé la donne, laissant des pans entiers de la population immigrée face à des problèmes d’intégration souvent inextricables.
L’Etat a mis longtemps à comprendre ses erreurs et n’a jamais su totalement rectifier des politiques publiques complètement hors sols. Des milliers de jeunes de la deuxième génération ont eu à subir une injustice à tous les niveaux de leur existence, de l’école à l’accession à l’emploi.
L’ascenseur social, grand étendard national, ne les concernait pas. Ces jeunes pouvaient prendre la question dans tous les sens, cela se terminait toujours par la même question amère : que faire ?
Beaucoup de jeunes se sont alors tournés vers des voies où l’individu peut, grâce à ses propres ressources, exprimer ses valeurs, sa soif de réussite indépendamment du « système inégalitaire » et de ses normes.
Parmi celles-ci, la création d’entreprise est alors devenue un nouvel et dernier ascenseur social, un espace de liberté pour des jeunes qui voulaient s’en sortir quand même. L’Etat y a considérablement investi pour faciliter l’accession de populations ayant peu de moyens à cet univers. Ainsi, des secteurs entiers délaissés par les autochtones ont vu des jeunes immigrés se lancer dans l’aventure comme la restauration, le bâtiment, et le transport de personnes et de marchandises.
Ces secteurs sont des secteurs qui n’exigent souvent que peu de diplômes, ni une parfaite maitrise de la langue, mais une volonté de fer, une volonté de travailler, se lever tôt le matin et se coucher tard le soir.
Et pour être plus précis, l’ascenseur social s’est mué en escalier social où l’effort est probablement la première valeur cardinale ! Escalier où la première marche est de s’affranchir du système autant que faire se peut.
Imaginez la hauteur de la première marche !
Un cas d’école : le port autonome de Strasbourg
A Strasbourg, le secteur du transport illustre au mieux ce que l’intégration par l’économique peut apporter aux jeunes issus de l’immigration avec son port fluvial, le Port Autonome de Strasbourg. Celui-ci, plus grand port intérieur d’Europe a connu une croissance exponentielle exigeant que le transport routier réponde présent pour irriguer le centre de l’Europe des marchandises qui arrivaient du monde entier via le port d’Anvers.
Dans un premier temps, les structures éducatives locales n’ont pu anticiper et proposer suffisamment de contingents de jeunes formés aux métiers de chauffeurs, mécaniciens Poids Lourds et autres métiers… Il a fallu trouver d’autres solutions ! Ainsi, on a vu émerger des centaines de petites entreprises indépendantes de transport de marchandises, de petits acteurs qui étaient dans la très grandes majorité issue de l’immigration maghrébine.
En particulier, la communauté franco-marocaine s’est intéressée à cet eldorado où les jeunes des quartiers populaires de la métropole strasbourgeoise ont vu une possibilité d’attraper l’escalier social. Cela a permis de voir ces jeunes se jeter dans l’aventure entrepreneuriale, de démarcher des banques, de se frotter enfin au système mais avec une posture de dirigeants.
De jeunes immigrés devenus pour beaucoup Français dès la deuxième génération, ils prenaient le costume de dirigeants en quelques jours ! Quelle révolution personnelle ! Quel espoir !
Puis cette intégration par l’économie a connu un cercle vertueux avec un développement exponentiel des agents économiques d’origine franco-maghrébine : de pléthore de TPE (entreprises de moins de 10 salariés), certaines se sont développées et sont devenus de véritables PME.
TICPE et autres obstacles sur le parcours du combattant
Bien sûr, cette transformation n’a pas toujours été sans mal, et de très nombreux abus ont été constatés, reconnaît Robert Voltaire, du cabinet Réseau Id, qui accompagne les TPE dans le bassin strasbourgeois. La méconnaissance du système de l’entreprise par les dirigeants mal formés ou pas formés du tout a permis à certains grands donneurs d’ordre et d’acteurs classiques du secteur de profiter de l’ignorance de ces nouveaux patrons. En particulier, le non-respect des délais de paiement a entraîné une véritable hécatombe dans le milieu économique franco-marocain. Cette exploitation de l’ignorance a même eu pour effet que de nombreuses entreprises, parfois même accompagnées par un expert-comptable, ne recouvrent pas la TICPE, taxe sur le gazole. Il y a parfois des situations difficiles à expliquer.
Ces abus, somme toute classiques, ont des noms : rapport de force biaisé du « pot de fer contre le pot de terre », racisme parfois.
Mais la plupart ont su se former, s’entourer et ont rencontré des amis de l’ascenseur social, parfois du Maroc aussi où l’esprit marocain sait se traduire en partage et ouverture d’esprit.
Entre le balai incessant des bateaux et des camions, le Port Autonome de Strasbourg a été un exemple d’intégration par l’économie où entrepreneuriat permet à l’âme marocaine pour les uns et à la volonté de réussite pour ces jeunes nouveaux leaders français de toutes origines d’exprimer toute leur force !
Daniel Aaron