Redevenue chinoise en 1997 après 155 années passés sous souveraineté britannique, Hong Kong peine à se fondre dans le moule communiste de la Chine populaire. La répression répond à la résistance sur ce territoire anachronique qui inquiète au plus haut point les apparatchiks de Pékin. Ce 29 juillet, le bureau chinois chargé des relations avec Hong Kong a appelé à « sanctionner les actions violentes et illégales ». Plusieurs indices permettent de penser que les événements de Hong Kong ne sont pas un épiphénomène local et ponctuel, et que les autorités chinoises n’ont pas droit à l’erreur… qu’elles s’apprêtent peut-être à commettre.
L’été hongkongais est décidément chaud, si brûlant que l’on se demande si les braises de liberté qui illuminent l’ancienne colonie britannique ne pourraient pas se propager à toute la Chine, une Chine puissante en passe de devenir la première économie du monde, et devant laquelle l’Occident se soumet parfois pour avoir droit à une part de ce gigantesque gâteau.
Vus du ciel, Pékin ou Shanghai ressemblent à tant de villes modernes : immenses et dentelées de gratte-ciels symbolisant grandeur, puissance et modernité. En Chine, le business, ou plus prosaïquement le commerce, est roi. Faire du fric n’est plus une répugnante maladie capitaliste, surtout si cela profite à l’État et au Parti. Surtout si on ne fait pas de politique. Car liberté de commercer ne signifie pas liberté d’exprimer ses opinions, de critiquer le régime, de réclamer plus de liberté. De ce point de vue, la Chine est bien une dictature, une autocratie quasi monarchique, la réforme constitutionnelle de mars 2018 ouvrant à son président Xi Jinping la perspective d’un mandat perpétuel.
D’aucuns estiment que ce serrage de vis politique est la contrepartie indispensable au développement économique, et que sans lui, la Chine sombrerait dans une sorte de chaos anarchique, qu’elle serait déstabilisée et que finalement, la seule véritable liberté acquise ces dernières décennies, celle de commercer, s’en trouverait compromise. D’ailleurs, la plupart des Chinois de la diaspora partagent largement cette analyse. En France comme ailleurs, ils travaillent ou font des affaires, envoient souvent une partie de leurs gains au pays pour soutenir leur famille, et ne se mêlent pas de la chose politique.
Tout régime autoritaire est, tôt ou tard, confronté à la révolte, laquelle évolue parfois en révolution. Et en Chine, celle-ci pourrait bien venir de Hong Kong. Le 28 juillet, bravant l’interdiction de manifester, des milliers de Hongkongais ont encore investi la rue pour protester contre la mainmise de plus en plus pesante du gouvernent central sur cette ville si longtemps libre. La manifestation dégénéra en affrontements avec la police, qui fit abondamment usage de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc, et bien entendu, d’arrestations. Des triades d’hommes masqués ont frappé des étudiants, avec l’assentiment de députés pro-Pékin.
Le refus des Hongkongais de se plier au dictat de Pékin n’est pas nouveau. Depuis le départ des Britanniques, ils manifestent chaque 1er juillet leur attachement à la démocratie, comme pour rappeler en permanence à Pékin que Hong Kong n’est pas tout à fait la Chine. Mais le pouvoir central supporte de plus en plus mal le principe « un pays, deux systèmes », accordé à Hong Kong lors de son retour sous sa bannière, avec son propre système juridique, sa propre monnaie et, chose impensable en Chine, le multipartisme.
En reprenant possession de la presque-ile en 1997, Pékin s’était engagé à conserver à Hong Kong une autonomie partielle pendant cinquante ans, soit jusqu’en 2047. Mais à mi-parcours, la République Populaire de Chine prend conscience que Hong Kong refuse obstinément d’entrer dans son moule. Il est donc temps d’agir, vite et fort, en commençant par se donner les moyens de nettoyer les mauvaises herbes du merveilleux champ communiste.
Pour se faire, Pékin a présenté un projet de loi permettant d’extrader vers l’intérieur de la Chine les opposants politiques hongkongais, une atteinte fondamentale à la démocratie et au multipartisme, provoquant le 9 juin 2019 une manifestation d’un million de personnes, puis une autre de deux millions de courageux le 16 juin. Trois semaines plus tard, le 8 juillet, la chef de l’exécutif local, Carrie Lam, annonçait un renoncement ambigu au projet qu’elle avait soutenu, une ambiguïté sont les Hongkongais ne se sont manifestement pas satisfaits.
Certes, tous les Hongkongais ne sont pas dans la rue. Tous ne sont pas hostiles au gouvernement central, mais l’ampleur de la protestation ne laisse aucun doute sur le fait que ce caillou n’est pas près de disparaître de la grande chaussure de Xi Jinping.
Pékin gronde et menace d’un recours à la force. Comment interpréter ces menaces ? Aujourd’hui, le maintien de l’ordre est assuré par la police. En 1989, place Tian’anmen, les autorités chinoises avaient envoyé les chars pour mater en une nuit les manifestations contre la corruption et en faveur de plus de démocratie.
Mais la place Tian’anmen est à Pékin et non à Hong Kong. L’emploi de la force pourrait-il aller jusqu’à la prise de contrôle par l’armée dans l’ancienne colonie britannique ?
Le président Xi Jinping est un animal à sang froid, intelligent et pragmatique. Il privilégiera vraisemblablement des méthodes moins radicales, mais si nécessité fait loi, il n’hésitera pas, comme le laisser présager la réponse du bureau chargé des relations avec Hong Kong, annonciatrice de répression sévère. Sur le plus long terme, on peut penser qu’il s’efforcera de tisser sa toile rouge sur Hong Kong sans trop la déchirer, par petites touches. Mais rouge est aussi la couleur d’une ligne que le régime refusera sans doute qu’elle soit franchie. Ce serait au premier chef celle de la contagion. Hong Kong est la Chine et Hong Kong est libre. Le syllogisme s’invite dans le débat. La Chine sera-t-elle libre et Hong Kong sera son guide ? Un cauchemar pour Xi Jinping !
Michel Taube