Opinion Internationale lance le 26 août une édition spéciale Tunisie au cœur des prochaines élections présidentielles et législatives. Michel Taube, fondateur d’Opinion Internationale, en décrypte ici les enjeux.
Alors que la Tunisie achève un deuil de sept jours et pleure Beji Caid Essebsi, son défunt président décédé le 25 juillet, une des rares (sinon la seule) démocraties libérales du monde arabo-musulman est à nouveau à un tournant décisif de son destin.
Avec la disparition de son président, c’est toute l’histoire contemporaine du pays dont les Tunisiens tournent la page. Imaginez un peu : feu Essebsi, que la Tunisie a enterré avec grande dignité samedi 27 juillet, a vécu l’indépendante en 1956 et accompagné le règne du grand Bourguiba. L’époque des bâtisseurs. Essebsi en était un.
S’il est revenu aux affaires, après vingt ans comme avocat d’affaires pendant les années Ben Ali (de 1991 plus précisément à 2012), c’est parce qu’en 2014 la Tunisie cherchait un homme de consensus pour équilibrer les institutions encore frêles et ballotées entre des forces politiques contradictoires.
Essebsi fut l’homme de la situation.
La Tunisie du consensus
Comme il le confia à Opinion Internationale en 2013, le consensus a été le maître mot de son parcours politique. Mehrez Boussayene, son concurrent à la présidentielle 2014, aujourd’hui président du Comité national olympique tunisien, éminent avocat d’affaires lui aussi, a été le voisin de bureau d’Essebsi pendant les années Ben Ali.
L’auteur de « Ma Vision Pour la Tunisie »rend hommage à ce grand homme de consensus et souligne le fait que la transition se déroule aujourd’hui dans le strict respect des institutions républicaines, Mohamed Ennaceurassurant la présidence par intérim. Cette maturité, les Tunisiens et l’opinion publique internationale ont pu la constater le 27 juin dernier lorsque Beiji Caid Essebsi a eu un premier accident de santé, et que deux attentats terroristes ont à nouveau ensanglanté Tunis le même jour. On pouvait craindre le pire. La normalité républicaine a pris le dessus.
Car les institutions sont solides et s’imposent aux hommes. Et si elles sont solides, si la Tunisie a déjà réussi son printemps arabe et sa révolution, c’est grâce à une société civile d’une maturité que de vieilles démocraties occidentales en proie aux sirènes du populisme pourraient envier.
En ce sens la Tunisie est profondément libérale : la solidité de l’Etat repose sur la vivacité de la société civile, les femmes tunisiennes en tête bien sûr.
Essebsi parlait de consensus tunisien… La Constitution de 2013 en est l’émanation, l’expression subtile et la gardienne vigilante.
Le bal des prétendants est ouvert
Oui, l’heure de la maturité a sonné. Mais il n’en demeure pas moins que la Tunisie vit des Jours J qui vont dicter son destin pour cinq ans et au-delà.
Le deuil s’achève. Les élections présidentielles, avancées au 15 septembre, et législatives un mois plus tard, ouvrent un sprint politique qui, heureusement, sera plus un 100 mètres qu’un 110 mètres haies semé d’obstacles.
Mais qui sera la ou le prochain président tunisien ?
Un tenant du projet néo-destourien ? Un néo-islamiste (honnêtement, nous voyons mal les mères et les jeunes tunisiennes aller voter islamiste) ? La démocratie tunisienne ne manque pas de leaders politiques en soif du pouvoir suprême. Les uns et les autres fourbissent leurs armes. Ils étaient presque tous là lors des obsèques d’Essebsi : le fils, Hafedh, en disgrâce, le premier ministre, Youssef Chahed, très bon technicien mais dont les adversaires reprochent le manque de charisme, l’ancien président Moncef Marzouki, Rached Ghannouchi, leader des islamistes d’Ennahdha, étrangement placé au cimetière du Jellaz samedi dernier entre religieux et politiques (faut-il y voir un message politique ?).
Qui d’entre eux se lancera dans la bataille d’ici la clôture des candidatures le 9 août ? Nabil Karoui, le charismatique patron de la chaîne TV Nessma, ou le constitutionnaliste Kaïs Saïed, bien placés dans les sondages, iront-ils jusqu’au bout ? Madame Abir Moussi, nostalgique des années Ben Ali, est aussi sur les rangs.
Rached Ghannouchi, leader des islamistes (Ennahdha est la force politique la plus organisée) se lancera-t-il ? Candidat aux législatives dans Tunis 1, il est donné favori pour présider la future Assemblée Nationale… Consensus quand tu nous tiens…
Comme Essebsi il y a cinq ans, un autre leader saura-t-il faire consensus à son tour ?
Car la Tunisie a besoin d’un homme de vision, d’un Sage expérimenté qui, conformément à la nouvelle Constitution de 2013, sache rassembler le peuple au-delà des postures partisanes, et qui aura la lourde tâche de nommer ensuite, à l’issue notamment des législatives d’octobre, un gouvernement technicien à même de répondre à la promesse sociale de la révolution tunisienne.
D’après nos informations, Abdelkrim Zbidi, actuel ministre de la défense, a été reçu par le président Essebsi quarante-huit heures avant de mourir. Il pourrait être l’homme de la situation.
Très respecté dans la population, homme intègre, héritier du défunt président Essebsi et de cette école destourienne de la modernité tunisienne qu’incarnait Bourguiba, Abdelkrim Zbidi pourrait être l’homme du consensus, cette potion magique de la démocratie tunisienne.
Un défi pour la France
Ces élections concernent la France au plus haut point. Emmanuel Macron l’a bien compris qui a rendu un hommage ému à Beiji Caid Essebsi le 27 juillet devant plusieurs grands dirigeants de ce monde dont le Roi d’Espagne, le président portugais, l’Emir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani,le frère du Roi du Maroc Mohammed VI, Moulay Rachid.
Les Tunisiens de France et les Français de Tunisie font vivre un partenariat stratégique entre les deux pays. Pays le plus laïc de la rive sud de la Méditerranée, la Tunisie regarde vers Paris et la France qui, trop souvent, oublient d’accueillir cette main tendue. Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur iconoclaste et flamboyant, défend avec efficacité cette alliance de cœur et d’intérêts entre la France et la Tunisie. Nous pourrions aussi citer Bertrand Delanoë qui vit entre Bizerte et Paris.
Une chose est sûre : la révolution tunisienne fait partie des grandes révolutions de l’histoire, de celles qui constituèrent un pas de géant pour chaque homme et pour l’humanité ! Si la démocratie a un parfum, c’est le jasmin de Tunisie. Et Opinion Internationale, en retrait de la République (tunisienne) depuis 2013, compte bien en faire savourer les délices à ses lecteurs jusqu’à fin octobre… et espérons-le, cette fois-ci, bien au-delà.