Des falaises rouges impressionnantes plongent dans une mer turquoise : la réserve naturelle de Scandola, en Corse, classée au Patrimoine mondial, cherche un difficile équilibre entre attrait touristique et préservation de ce joyau environnemental.
Après 40 minutes de navigation depuis le petit port de Porto, apparaît cette réserve emblématique de « l’île de Beauté », créée en 1975 et forte de 920 hectares terrestres et 1.000 hectares de zone marine. Saupoudrées de verdure, les falaises de roches volcaniques torturées laissent entrevoir des figures sculptées par le temps qui nourrissent mythes et imagination du voyageur: ici, une tête de cheval ou d’hippopotame, là le chapeau de Napoléon, plus loin deux visages qui s’embrassent ou même un chanteur de polyphonie corse, main sur l’oreille.
Le bateau glisse à proximité des « marches du paradis », des roches en forme d’escaliers qui plongent à 15 mètres de profondeur, avant d’approcher de « la passe du malheur », ancien repaire de pirates. « Epoustouflant ! », lâche Irena Snydrova, une touriste tchèque venue avec mari et enfants. « C’est la magie de la nature qui dessine », explique le guide, un brin poète, sur ce bateau de promenade qui mène touristes tchèques, italiens, espagnols ou français dans la réserve de Scandola protégée par une multitude de labels: réserve naturelle, aire marine protégée, Conservatoire du littoral, Znieff, Natura 2000, Patrimoine mondial de l’Unesco et diplôme européen des espaces protégés.
Pourtant, un paradoxe agite ces eaux tranquilles: sa beauté et son statut de site protégé attirent toujours plus de monde, et cet afflux touristique nuit à l’écosystème.
« La réserve est un joyau pour la Corse et la Méditerranée mais il y a plusieurs voyants rouges allumés: la situation des balbuzards, l’état de l’herbier de posidonie (plante aquatique protégée) ou la diminution importante des effectifs de certaines espèces de poissons, notamment le corb », détaille Charles-François Boudouresque, biologiste marin à l’Institut méditerranéen d’océanologie (IMO) d’Aix-Marseille Université et président du conseil scientifique de la réserve de Scandola.
Perturbés « par la surfréquentation actuelle pendant les quatre mois où les parents élèvent leurs poussins », les balbuzards ou aigles-pêcheurs ont « un succès de reproduction nul ou quasi-nul, avec zéro ou un poussin apte à l’envol chaque année », explique le scientifique, qui pointe une possible disparition d’ici 50 ans.
Poule aux oeufs d’or
Face à ce constat, le conseil scientifique a recommandé en juin d’empêcher toute embarcation d’approcher à moins de 250 mètres des nids occupés d’avril à fin juillet. Une mesure d’urgence appliquée en juillet et « respectée », se félicite M. Boudouresque. « C’est un bon début » qui devra se confirmer l’année prochaine avec quatre mois d’application.
Concernant la chute de fréquentation du corb dans la réserve, le comité scientifique a installé des capteurs sonores sous-marins. « On pense que c’est le bruit des moteurs des centaines de bateaux présents en saison » qui le fait fuir, avance-t-il.
Pour Diego, membre d’équipage d’un bateau de promenade en mer, « c’est la présence de centaines de mérous dans la réserve » qui est plutôt en cause. « Ils bouffent tout, y compris les corb », dit-il. Des divergences d’opinions au coeur des tensions qui opposent depuis des mois certains professionnels de la mer au conservateur de la réserve, Jean-Marie Dominici, ardent défenseur du site visé par des menaces.
Quant à l’herbier de posidonie, il « n’est pas dans un état optimal, en particulier à cause des ancrages » de bateaux, explique M. Boudouresque.
Des mouillages sauvages sont en effet autorisés la journée dans une partie de la réserve.
Une situation qui étonne Pierre Gilibert, un médecin de 65 ans « amoureux de Scandola ». Il juge « bizarre pour une réserve naturelle de voir tous ces bateaux. Il serait peut-être judicieux de ne laisser l’accès qu’à des bateaux professionnels ».
Plusieurs bateliers et touristes estiment aussi que les bateaux privés ne sont pas assez informés et contrôlés. « Ce matin, on a vu encore des gens grimper sur les roches, mouiller dans les failles alors que c’est interdit », regrette Gabriel Pelcot, chef mécanicien à bord d’un bateau de la société de balade en mer de Nave Va.
Les entreprises Nave Va et Via Mare utilisent des bateaux hybrides: le trajet est au diesel jusqu’à la réserve puis passe en électrique dans le site pour réduire le bruit et la pollution. Une option écologique « 30% plus cher », précise Gabriel Pelcot, qui s’attend néanmoins à les voir se généraliser.
« Il faut trouver un compromis entre la nécessité d’exploiter touristiquement ce joyau naturel et celle de ne pas tuer la poule aux œufs d’or », résume Charles-François Boudouresque.
Optimiste, il estime qu’une prise de conscience générale a eu lieu et pointe des solutions pour allier tourisme et préservation de l’environnement, notamment l’installation de caméras sur les nids de balbuzards pour les observer sans les perturber.
Maureen COFFLARD