Présidente de Sachinka, membre du Cercle des décideurs engagés d’Opinion Internationale, Anne Bassi poursuit ses conseils de lecture pour l’été… Après « mots pour maux » fin juillet, un petit détour par l’île de Ré…
Cet été, j’ai eu la chance de participer au Salon du livre de l’Île de Ré du 9 au 11 août 2019. Situé au Bois-Plage, le salon appelé « l’Île aux Livres » est organisé depuis 2007 par Joschi Guitton et Stéphane Guillot. Chaque année, il accueille plus de 13 000 visiteurs. L’entrée est gratuite grâce aux soutiens de la commune de Le-Bois-Plage-en-Ré, de la communauté de communes de l’île de Ré, des sponsors, des donateurs et des soixante-dix bénévoles. Le programme est éclectique, mêlant auteurs confirmés et écrivains en devenir.
« Je souhaite donner de la visibilité à des auteurs moins connus, aux premiers romans par exemple que j’ai découverts et aimés, et partager avec les visiteurs mes découvertes. Bien évidemment nous invitons des auteurs confirmés, connus et des « people » – dont nous avons aimé les livres, je le précise – car en en étant attiré par un auteur reconnu, en venant le rencontrer, le public découvre les autres. », explique Joschi Guitton.
Trois jours de plongée dans les livres, ponctuée de rencontres, de dédicaces, de débats en présence de cent douze écrivains : quel luxe et quel bonheur… Un seul regret : ne pas pouvoir tout lire ni écouter. Quinze conférences ont rythmé ces trois jours et je me suis abandonnée à certaines.
Ces échanges avec certains auteurs m’ont naturellement conduite à sélectionner leur livre. Petit florilège…
Héroïsme et justice
Écrire pour comprendre, exister, témoigner, rendre hommage, transmettre, fuir, oublier. L’écriture est un remède pour des écrivains parfois hantés. Amoureux de la langue française, ils expriment leur vie tourmentée, leurs blessures ou leur raison de vivre avec beauté et subtilité.
Tel est le cas de l’ouvrage Moi Youssef Zouini, 22 ans, emprisonné à tortpublié aux Nouvelles Éditions Bordessoules. Youssef Zouini raconte son histoire, celle d’un jeune homme dénoncé à tort par un ami lors d’un vol à main armé dans un supermarché où les employés sont séquestrés. Il est condamné à dix ans de réclusion. Confronté à plusieurs défaillances du système judiciaire, il ne cesse pourtant de clamer son innocence. En détention provisoire de 2005 à 2007, il découvre les ateliers théâtre et rêve d’une carrière d’acteur. Innocenté en 2009, il a eu besoin de raconter. « J’ai écrit ce livre pour dénoncer l’injustice et dire qu’il faut rester fort en prison », témoigne-t-il.
Aujourd’hui diplômé du cours Florent, il aimerait mettre en scène son histoire. « Il fallait peut-être passer par là, ma vie est plus passionnante aujourd’hui qu’avant », raconte-t-il. Une vie désormais consacrée au cinéma.
Anne-Sarah K, de Mathieu Simonet, publié aux Éditions du Seuil, raconte l’histoire d’une amitié très forte ayant permis de réparer des injustices. Anne-Sarah et Mathieu sont unis dès l’enfance par leur différence : lui est homosexuel, elle handicapée, atteinte d’une maladie très rare qui diminue progressivement l’audition et la vue. Anne-Sarah Kertudo est devenue juriste, elle a créé la première permanence juridique en langue des signes et a mis en place au Palais de justice des procès fictifs dans le noir afin de sensibiliser tout l’écosystème de la justice aux ressentis des aveugles.
Mathieu est devenu avocat et il plaide pour son amie d’enfance victime de discrimination quand elle a passé l’examen d’avocat. Il a aussi réalisé un documentaire qui lui est consacré.
Un très beau portrait d’Anne-Sarah et un bel hommage à leur amitié.
A la fin de la première journée, les organisateurs ont projeté le documentaire de l’invitée d’honneur du salon, Martine Laroche-Joubert : « Une mort sans importance ». 52 minutes très fortes qui relatent l’histoire d’Isabelle Achour, jeune femme de 25 ans engagée dans l’humanitaire. En 1992, elle réussit à ouvrir un couloir pour entrer dans Sarajevo, alors assiégée, avec un convoi de médicaments. Témoignages, portrait et hommage, un magnifique documentaire pour lever le voile sur les conditions obscures de son assassinat. Un documentaire dont on ne sort pas indemne. « J’ai réalisé ce documentaire en hommage à Isabelle Achour. C’est elle qui m’a permis d’entrer dans Sarajevo et d’être la première à témoigner sur ce qui se passait, explique Martine Laroche-Joubert.C’était une femme courageuse et déterminée. Elle a été assassinée dans les conditions obscures que je n’ai jamais acceptées. J’ai décidé de retourner là-bas et de mener mon enquête. Une mort sans importance pour certains mais pour moi Isabelle était importante. Je pense aussi à Salwa, dont je parle dans mon livre, que j’ai connue en Libye. Elle était l’âme de la Révolution et a été assassinée lors d’un printemps libyen dont elle portait le flambeau. Je souhaite rendre hommage à tous les anonymes, aux hommes et aux femmes de l’ombre qui ont eu des actes héroïques, morts dans l’indifférence à cause de leurs idées, à mes confrères décédés et à Thomas Sankara, assassiné en 1987 ».
Une émotion similaire m’étreint à la lecture de son livre Une femme au front. Mémoires d’une reporter de guerre, publié aux Éditions du Cherche Midi quand elle dévoile progressivement l’horreur de la guerre et décrit les liens tissés avec les hommes et les femmes rencontrés sur le terrain. Un livre intense où elle exprime son engagement, sa passion pour ce métier, mais aussi le combat des reporters de guerre pour la vérité et leur courage.
Secrets de famille…
Les livres nous prennent par la main et nous emmènent. D’où vient cette passion pour la lecture et l’écriture ? Certains ont appris à lire seuls et ont commencé à écrire très tôt. A 16 ans, quelques un avaient déjà écrit, mais sans publier.
Les secrets de famille sont à l’honneur lors de la conférence « Ces femmes écrivaines » avec Caroline Caugant, auteure de Les heures solaires, Éditions Stock et Emmanuelle de Boysson, auteure de Que tout soit à la joie, Éditions Eho. Emmanuelle de Boysson nous raconte la suite de son livre Les années Solex.Alors qu’elle a 18 ans, Juliette est confrontée à un terrible secret de famille salissant l’image de son grand-oncle qu’elle aimait tant, le cardinal Paul Dantec, mort dans les bras d’une jeune prostituée. Elle décide alors d’écrire un livre sur lui afin de réhabiliter son image. Elle mènera une enquête et cherchera celle qui pourra la renseigner et lui révéler la vérité. Un roman basé sur une histoire vraie, celle du cardinal Danielou.
Avec beaucoup de sensibilité, Caroline Caugant brosse le portrait de trois générations de femmes unies par les secrets d’une rivière. « Il faut être solide pour chercher soi-même ses origines et les secrets de famille, souligne-t-elle.Ils se transmettent et les non-dits sont plus puissants que les mots. Les drames restent incrustés dans la chair de ceux qui vont vivre »
Parrain du Salon avec Madeleine Chapsal, Patrick Poivre d’Arvor vient présenter son dernier ouvrage, La vengeance du loup (Grasset). A la mort de sa mère, Charles apprend l’identité de son père biologique, un célèbre comédien. Leurs retrouvailles vont l’amener sur les traces de ses ancêtres. Chaque génération a ses secrets et ses vengeances qui se transmettent malgré tout. La vérité dévoilée nourrira les ambitions de Charles. Une fresque romanesque passionnante de l’Algérie des années 40 à la France de la Vème République, pleine de suspens avec des personnages très attachants, qui nous fait remonter le temps et voyager autour de la méditerranée. Charles parviendra-t-il à accomplir son destin ? On attend la suite avec impatience…
Devant une salle comble et un auditoire particulièrement attentif, Patrick Poivre d’Arvor nous a rappelé sa passion pour la littérature, lui qui anime une émission littéraire remarquée sur CNews.
Troisième roman de France Cavalié, La fille entre deux chaises, publié aux Éditions Sable polaire, est l’histoire de deux sœurs qui ont grandi ensemble et qui n’ont pas eu droit au même degré d’amour de la part de leurs parents. L’une est maudite, l’autre est favorite. Au cours de la conférence de dimanche sur le thème « Vies bouleversées », l’auteure s’interrogeait encore « Pourquoi certains enfants n’ont pas droit à la même portion d’amour que leurs frères et sœurs ? Rien ne peut les consoler de cela, ni le temps, ni les confidences, rien ne peut avoir raison du manque». Histoire vraie mais pour laquelle l’auteur a toutefois changé le destin de sa sœur. « L’inconsolabilité de ces enfants reste un mystère »,confie-t-elle.
Malgré la forte tentation d’assister à toutes les conférences, j’ai flâné et parmi d’autres j’ai découvert de nouveaux titres : Marina Tsvétaïaeva, mourir à Elabouga (Le mercure de France) de Vénus Khoury-Ghata, Les passagers du siècle de Viktor Lazlo (Grasset) et La folle vie de Lilide Liliane Rovere (Robert Laffont).
Pédagogie et vulgarisation
Certains écrivains ne sont pas intervenus lors des conférences mais il suffit de parler avec Marie Celensi, auteure de Les maths apprivoisées (Éditions Virtutem) pour comprendre le goût de la pédagogie de cette professeure de mathématiques. « C’est une autre approche des mathématiques, une nouvelle méthode pour redonner confiance aux élèves mais aussi aux parents et grands-parents » souligne-t-elle en souriant. Deux ouvrages couvrant les programmes du CP à la Terminale.
Fondateur de l’association « Surdouessence » qui a pour vocation de faciliter la connaissance des personnes à haut potentiel, Alban Bourdy nous en parle dans son dernier livre Lettres à un jeune zèbre publié aux Éditions Rosso. Pensée en arborescence, vitesse de traitement élevée, hyper-sensibilité, mental envahissant, empathie et lucidité particulièrement développées, font partie des caractéristiques des surdoués. Pourtant, être surdoué n’est pas aisé au quotidien. La majorité d’entre eux a souvent l’impression de souffrir d’un handicap et a du mal à se construire. Victimes d’incompréhensions, ils peinent à exprimer ce qu’ils ressentent, à construire leur identité et à trouver la voie dans laquelle leur talent pourra s’exprimer. J’espère que ces lettres pourront les aider à une meilleure connaissance d’eux-mêmes.
Bruno Salomone est intervenu lors de la conférence « La rage de vivre » et a présenté son livre Les misophones publié aux Éditions du Cherche-Midi. Il raconte l’histoire de Damien, misophone. Littéralement, la misophonie est la haine du son. L’intensité peut varier mais les sons restent spécifiques à chacun. Mastication, respiration, reniflement, ronflement, bruit des chips ou de popcorns, contact des couverts, autant de petits sons imperceptibles pour la majorité mais entraînant chez les misophones des réactions émotionnelles fortes et parfois disproportionnées, telles que la colère, le dégoût, la tristesse, le désespoir, voire la haine.
Un trouble qui complique donc la vie sociale. Bruno Salomone a choisi d’en rire à travers une fiction relative à l’amitié entre deux misophones. « J’ai voulu écrire un livre sur l’univers sonore et décrire avec humour ce que certains ressentent », explique-t-il au micro avec humour bien sûr. Mais quand il se confie, c’est sérieusement qu’il s’exprime sur cette pathologie dont il souffre également. « Enfant, j’avais du mal à finir un repas en famille, trop de petits bruits, notamment la mastication. On se sent moins seul en partageant. Une personne m’a confié avec beaucoup d’émotion lors du salon qu’elle avait enfin réussi à mettre un mot sur son ressenti ».
« Un roman drôle et original », murmure mon voisin.
Des écrivains à l’honneur
Autres temps forts du Salon, les prix ! Véronique Le Goazioua été récompensée du prix « Île aux livres / Palais Royal » pour son roman Monsieur Viannet.
« Monsieur Viannet a cinquante ans et vit dans un minuscule appartement, du côté de Bastille. Monsieur Viannet a autrefois été bel homme. Sportif. Monsieur Viannet a fait l’armée. Monsieur Viannet, surtout, a été acquitté après avoir été accusé du meurtre de son père. Entre la prison, les foyers d’urgence et les hôtels minables, Monsieur Viannet appartient à ce qu’il est convenu d’appeler le quart-monde. Il ne voit plus ses enfants, et sa femme n’est plus qu’un témoin de son passé. Monsieur Viannet ne sort plus. Il a ses cigarettes qu’il fume à la chaîne, ses bières qu’il vide du matin au soir, son écran plat qu’il n’éteint jamais. Monsieur Viannet est, que cela nous plaise ou non, notre exact contemporain. Dans ce roman âpre et tendu, Véronique Le Goaziou explore un fait social par son versant humain, construisant un dialogue poignant qui nous emmène du côté de Beckett et de Kafka ».
Franck Bouysse a reçu le prix « France Bleu la Rochelle / L’Île aux livres » pour son livre Né d’aucune femme(La Manufacture des livres). Le prix « Premier prix / L’Île aux livres » a été attribué ex aequo à Joffrine Donnadieu pour Une histoire de France (Gallimard) et à Marin Fouqué pour 77 (Actes Sud).
Sans oublier bien sûr, la présence de Marie-Christine Barrault et sa lecture bouleversante d’extraits de Né d’aucune femme de Franck Bouysse, accompagnée par Valentine Perrain au violoncelle, tous très émus.
Les pieds dans l’eau et la tête dans les embruns, les auteurs s’expriment volontiers sur la puissance de l’écriture et sur les facteurs d’inspiration et de réconfort des livres. Une ambiance estivale et décontractée alimentait chaque jour le partage, le goût, l’envie et le plaisir de lire.
Mettre à l’honneur l’écriture et amener les auteurs à se révéler, tels étaient les objectifs que s’étaient donné les organisateurs du salon. Les mots ont l’effet d’une gifle ou d’une caresse, ils sont sorciers et nous font voyager à travers leur halo affectif. « Les livres sont nos maîtres à penser », disait Gaston Bachelard. Ils n’obéissent qu’aux lois de la littérature.
Les livres ont besoin d’exister : lecteurs, bibliothèques, librairies, médiathèques, cercles de lecture et salons leur donnent vie. Une fois encore « L’Île aux livres » a rassemblé petits et grands, jeunes et moins jeunes. L’amour des livres n’a pas d’âge.
Anne Bassi
Ces livres à lire pour la fin de l’été et la rentrée littéraire « portraités » par Anne Bassi :
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