Afriques demain
07H00 - samedi 7 septembre 2019

La Restitution

 

A l’occasion de la 18édition de Parcours des Mondes qui se tiendra à Paris du 10 au 15 septembre 2019, il est opportun de revenir sur le « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » de Felwine Sarr et de Bénédicte Savoy de novembre 2018.

Ce Rapport commandé par le Président de la République Française a déjà fait l’objet de nombreux commentaires. Quelques-uns favorables. Mais de nombreux, très critiques, notamment en provenance des milieux de l’art africain ancien (conservateurs de musée et marchands).

Notre objectif est ici de prendre du recul, de mesurer les enjeux des propositions et d’introduire de la sérénité dans les discussions qui ne vont pas manquer de se poursuivre.

Le Rapport lui-même allie une hauteur de vue qui convient et un pragmatisme nécessaire à la mise en œuvre d’un projet qui pose de nombreux problèmes pratiques et juridiques. Que dit le Rapport ? Il définit d’abord l’acte de restitution qui « tente de remettre les choses à leur juste place. Parler ouvertement des restitutions, c’est parler de justice, de rééquilibrage, de reconnaissance, de restauration et de réparation mais surtout : c’est ouvrir la voie vers l’établissement de nouveaux rapports culturels reposant sur une éthique relationnelle repensée » (p. 25). Par ailleurs, les pays africains se voient aussi confier une mission : « procéder à une re-semantisation et une resocialisation des objets de leur patrimoine, en reconnectant ceux-ci aux sociétés actuelles et à leur contemporanéité ». Du point de vue pratique, le Rapport propose que les restitutions s’étalent dans le temps et préconise des collaborations et des coopérations entre l’Afrique et le partenaire européen. D’un point de vue juridique, il pose clairement la question de la révision de notre droit de la domanialité. La loi peut toujours défaire ce qu’elle a fait. Le Rapport est aussi clair sur les destinataires africains qui sont les Etats, Etats dont on connaît les fragilités et qu’il faudra accompagner dans le processus de restitution.

Il n’est pas possible ici de mentionner toutes les volées de bois vert dont le Rapport a fait l’objet. Les difficultés pratiques de la restitution ont souvent été mises en avant mais l’essentiel du débat porte sur le principe de restitution et à l’Afrique évidemment. Citons la manifestation de réticences d’Hubert Martin, président du Musée du quai Branly, qui, il faut le noter, a su faire des propositions de coopération entre les musées français et les pays africains tout en ayant préalablement déclaré que le Rapport est « une mauvaise réponse à la question courageuse posée par le Président de la République » car « nous faisons des collections africaines conservées dans les musées occidentaux une sorte de totem… d’une frustration née de la colonisation et de ses conséquences ». Entre Hubert Martin et Felwine Sarr, le débat a même pris une mauvaise tournure lorsque ce dernier a pu accuser le premier d’un manque de respect. C’est dire combien le Rapport a pu soulever de passions. Aussi radical se trouve l’article publié dans le numéro de Tribal Art de l’automne 2018 et signé par Yves-Bernard Debie qui en appelle à celui qui « voudra bien appréhender l’histoire des hommes pour ce qu’elle est, sans analyse anachronique moralisatrice ou sans révisionnisme même bienveillant (P.148). En clair, le Rapport serait anachronique, moralisateur, voire révisionniste.

Dans l’ensemble, il faut donner au débat sur le Rapport de nouvelles bases en interrogeant notre relation à l’Afrique. Pour commencer il suffit de se souvenir que Felwine Sarr a écrit en 2016 un ouvrage fondamental pour l’avenir de l’Afrique, Afrotopia (Philippe Rey éditeur). La prise en compte des analyses de Felwine Sarr, qui sont partagées par de nombreux penseurs et philosophes africains comme Souleymane Bachir Diagne, Naddia Yala Kisukidi et le grand philosophe Achille Mbembe, consiste à clamer : il faut enfin écouter ce que l’Afrique dit au monde et la restitution du patrimoine africain fait partie du message.

Felwine Sarr commence par dénoncer tous ces mots-valises que sont le développement, l’émergence, les OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement) ou les ODD (Objectifs de Développement Durable) qui relèvent d’une mono rationalité et empêchent toute possibilité de créativité africaine. Au développement, Sarr oppose l’enveloppement qui désigne le fait de dérouler ou de déployer. Il perçoit dans l’Afrique cette capacité de réarticuler modernité et tradition au profit d’un mieux vivre ensemble. Pour cela l’Afrique bénéficierait de deux ressources, la première qui consisterait « à prendre le temps de trier, d’expérimenter, de cueillir soigneusement des fleurs venant de divers jardins, d’en humer les fragrances et de construire sereinement son bouquet par son art de l’arrangement floral ». La seconde ressource est dans le refus de la cadence imposée de l’extérieur. Prendre son temps, refuser la course. Tout ne se passe-t-il pas en effet comme si, depuis la colonisation, on n’avait pas laissé aux Africains le temps de réfléchir et de prendre en main leur avenir ?

Il faut reconnaitre que du côté occidental, il est des acteurs de la scène artistique ou scientifique qui sont en parfait accord avec les propos de Sarr. C’est par exemple le cas en France de Benoît de L’Etoile, « Le goût des Autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers » (Flammarion, 2007), qui, à l’occasion de la création du musée du quai Branly, fait un constat simple, à savoir que les objets africains anciens ne peuvent être considérés que par rapport à nos regards contemporains. La question de l’Autre ne peut donc être abordée que dans un processus qui pose la question du métis, de l’hybride, en clair du rapport du Nous à l’Autre. Il faut donc penser les musées des Autres comme des musées de « la mise en relation ». Dans leurs commentaires des penseurs africains en sont venus aux mêmes propositions. Et si la restitution était l’occasion de reconsidérer le musée, voire son principe même (Achille Mbembe) ?

Pour mesurer tous les enjeux des propositions du Rapport, il faut aussi prendre en compte ce qui se joue actuellement dans les changements que traverse le monde. En France, les tentatives de redéfinir nos relations à l’Afrique en repensant l’aide publique au développement se situent dans une problématique comparable. Mais surtout ce qui s’est passé autour du G7 de Biarritz en est un bon exemple, notamment avec les positions du Président de la République sur les feux qui ravagent l’Amazonie, ce qui l’a conduit à poser la question des biens communs de l’humanité. Ce sont de mêmes combats qui se mènent. Un même combat aussi pour l’accueil des migrants comme évoqué aussi par le Président de la République en août 2019.

Sortir de nos pensées enclavées, prendre réellement en compte l’Autre en sachant que, pour nous Occidentaux, l’Autre se situe historiquement en Afrique. Dans ce même esprit, il faut entrer dans une société relationnelle et de partage. Certes le mot partage a été très galvaudé mais il est temps qu’il se traduise dans les réalités. La mise en œuvre du Rapport en est une bonne occasion. Les chantiers sont ouverts. Il n’est plus possible de tourner le dos aux questions qu’ils doivent résoudre.

Mais attention ! Pas d’angélisme ! c’est ce que le Rapport évite en prenant en compte le temps qu’il faut pour agir efficacement. Ce qui est très Africain, Felwine Sarr dixit.

 

Jean-Jacques Gleizal