Les puissants attirent sur eux les feux de la rampe. Et semblent se réduire en cette nouvelle époque à une coiffure. Pour autant, le cheveu, ce n’est pas rien. Passer de la tignasse de Bonaparte aux cheveux courts de Napoléon, c’est passer très clairement du XVIIIème au XIXème siècle. Finie, la poudre ! Enfin ! celle qu’on répandait sur la tête… A l’exception des romantiques, Théophile Gauthier comme Franz Liszt, et d’hommes tel Antoine de Tounens – éphémère roi français de Patagonie et d’Araucanie – le siècle de Guizot et Zola aura été celui des cheveux coupés.
En cette année 2019, la question demeure : en quoi l’orange de Donald, la houppe du dictateur nord-coréen ou le jaune-Boris de Downing Street sont-ils expressifs d’une époque ?
C’est drôle : les intellectuels oublient souvent qu’ils ont des mains, des jambes, des cheveux. Les chauves, qui ont eu une crinière, l’ont perdue après avoir connu une période de destruction liée, très clairement, à ce qu’on nomme aujourd’hui le stress, activé par une programmation génétique et encore masculine.
Comme d’autres, le petit caporal puis l’exilé de Sainte Hélène a présenté, lors de la période 1814-1821, le masque d’un homme perdant ses cheveux – comme celui de la dépression. En réalité, quand on lit l’abondante littérature consacrée sans interruption à l’empereur, on s’aperçoit que cet homme, avant de répandre la guerre partout en Europe, n’a jamais été en paix avec lui-même.
Les épisodes ont bien sûr échappé à la geste de Las Cases et aux Mémoires des thuriféraires de l’artilleur corse mais certains gagnent à être mis à jour. Rien de bien nouveau puisque le baron Thiry et nombre d’historiens ont déjà évoqué l’épisode, qui ne se situe pas à la fin mais au début de la vie publique de l’Ogre.
Ami de Robespierre jeune, le capitaine puis général de brigade de Toulon est rappelé à Paris après la chute de l’Incorruptible, et son sort semble scellé par diverses déclarations et une brochure, « Le souper de Beaucaire », son pamphlet très clairement montagnard.
On peut être parcouru de puissantes pulsions suicidaires et ne pas vouloir la mort infligée par la main d’autrui. De surcroît, un soldat peut accepter d’être fusillé, mais être coupé en deux est réservé au champ de bataille, et on ne l’admet pas, à froid, de la machine quasi-médicale du docteur Guillotin.
Toujours est-il qu’aux premiers jours de la Réaction thermidorienne – fin juillet 1794 -, plutôt que de se présenter devant les comités épurateurs, on se terre pour des semaines entières dans un… asile de fous, près de Dijon.
L’épisode est d’autant moins contestable que de ce refuge partent des lettres adressées aux accusateurs et notamment une des plus belles rédigées par ce matheux qui sait écrire : « Le sentiment de ma conscience soutient mon âme dans le calme, mais les sentiments de mon cœur sont bouleversés et je sens qu’avec une tête froide, mais un cœur chaud, il n’est pas possible de vivre longtemps dans la suspicion » (courrier du 14 août 1794).
Toute sa vie en vérité, le partisan jacobin sera la proie du doute.
Et savoir cela est essentiel, aujourd’hui.
Car la foule, bras ou poing levé, veule devant son écran plat ou hystérique dans les stades, voit toujours dans le leader du moment une masse compacte de puissance. Là où, nous le savons, il n’y a que sentiments noués, biographie plus que singulière, épisodes traumatiques superposés. Et doutes ! Des doutes récurrents ! Savoir cela, et revoir la coiffure originale du chef au travers d’un décryptage idoine, permet de comprendre.
Et d’espérer. Car rien n’est jamais acquis. Un exemple mal connu en est la religion officielle. Pendant une journée entière au printemps 1801 (juste avant de signer le Concordat dont on oublie toujours qu’il ouvre une voie pour les religions réformées), le premier consul a opté pour le protestantisme ! Le protestantisme religion d’Etat en France… Henri IV en aurait avalé sa fraise ! Il s’écrit même que Napoléon aurait fait reproche à François 1er de n’avoir eu la force intérieure d’opter pour le protestantisme, ce qui aurait transformé la France en super-Angleterre…
Aujourd’hui, alors que les tweets de Donald, les éclats de Boris ou les missiles de Pyongyang font l’actualité, qui peut ne pas le voir ? Ce qu’on croit du domaine du calcul rationnel obéit pour partie ou pour totalité à des tensions en sens contraire. La France n’échappe pas au travers lié en réalité au stress, l’électricité qu’accumule la planète, étant « en même temps » à hue et à dia, gardienne de l’équilibre et en vérité profondément atteinte dans ce que furent ses raisons d’exister.
Dans le pays de Descartes, on n’ose pas dire, et à peine penser, que les anges déchus – les diables – ou des pulsions de mort puissent animer les principaux « responsables ». Mais il faut décidément relire ce qu’en disait notre Bonaparte, héritier de Jules César : « Brutus est un esprit médiocre. Il croit à la force de la volonté. Un homme supérieur n’a pas cette illusion : il voit la nécessité qui le borne, il ne s’y brise pas ; être grand, c’est dépendre de tout. »
Dépendre de tout ! On veut croire que Donald, Boris et quelques autres, en Orient et ailleurs, sont des volontés faites hommes. Comme si frapper du poing sur la table exprimait autre chose qu’un geste destiné d’abord aux électeurs et aux soutiens dont on procède. « Dépendre de tout » en démocratie, c’est d’abord dépendre des élections. Savoir cela est vraiment très réconfortant. La machine infernale qui semble lancée peut être enrayée. Dès lors que les électeurs savent et admettent que le « Père » dont certains rêvent l’avènement en période de crise, est en réalité une superposition de tensions contraires qui… dépend de tout !
Et donc de chacun de nous.
Jean-Philippe de Garate
Ancien avocat, ancien magistrat, JPG a défrayé la chronique avec son « Manuel de survie en milieu judiciaire » (éd. Fortuna). « Du côté de chez Céline » a mis en relief sa facette littéraire. A paraître : Le juge des enfants, éd. Portaparole, octobre 2019.