Edito
09H32 - vendredi 13 septembre 2019

Richard Ferrand mis en examen : un Ferrand Gate après le Fillon Gate ?

 

La loi prohibe les conflits d’intérêts et le favoritisme familial et conjugal. Au risque de mettre tout personnage politique à la merci d’un juge certes indépendant, mais pas plus neutre que tout un chacun. Cette nouvelle épine dans le pied macronien tombe mal. Comme toutes les épines sans doute.

Sauf que Richard Ferrand est un élu, et non des moindres, qu’on ne peut congédier comme un ministre. Le gène risque d’être durable et l’issue forcément nuisible, que l’intéressé reste ou qu’il s’en aille. Reste un point, capital pour les personnes comme pour l’équilibre des institutions : la présomption d’innocence a plus de force que les préjugés que fait naître une mise en examen.

Les faits, rien que les faits tout d’abord.

Richard Ferrand, quatrième personnage de l’État en qualité de président l’Assemblée nationale, a donc été mis en examen pour « prise illégale d’intérêts ». En 2011, les Mutuelles de santé dans le Finistère, qu’il dirige, louent des locaux commerciaux à une société civile immobilière (SCI) détenue à 99 % par sa compagne, Sandrine Doucen. S’en suivent quelques bizarreries, révélées par le Canard enchainé en mai 2017 dont le résultat fut une augmentation vertigineuse de la valeur des parts de la SCI : x 3000 en six ans, selon le Canard. Une start’up californienne ne ferait pas mieux ! Et comme si cela ne suffisait pas, l’hebdomadaire satirique révèle que ce pilier de la macronie avait embauché sa compagne, alors étudiante, en qualité de directrice du personnel de la mutuelle, avant que Le Monde n’en rajoute une couche, révélant à son tour la générosité (de cœur) de l’intéressé à l’égard de quelques proches, y compris lorsqu’il fut élu député.

Le 19 juin 2017, un mois après son entrée en fonction en qualité de ministre de la Cohésion des territoires, Richard Ferrand est exfiltré du gouvernement. Il ne le réintégrera pas après le classement sans suite de la plainte contre X de l’association Anticor pour abus de confiance, laquelle déposera une nouvelle plainte débouchant en janvier 2018 sur l’ouverture d’une information judiciaire pour « prise illégale d’intérêts » puis le 11 septembre 2019, sur la mise en examen du Président de l’Assemblée nationale, presque un an jour pour jour après son élection au perchoir.

Élection, avons-nous dit. Richard Ferrand n’est pas ministre. Il n’est pas nommé. En qualité d’élu, il est institutionnellement bien fondé à se maintenir à son poste, d’autant qu’en droit pénal, il bénéficie de la présomption d’innocence.

Mais l’est-il politiquement ? Son prédécesseur, François de Rugy, avait démissionné du gouvernement pour bien moins que cela. Infiniment moins. Et avant lui, la générosité familiale, et surtout conjugale, d’un certain François Fillon avait très largement contribué à dynamiter tout le paysage politique français et à installer sur le trône de la République un presque inconnu du grand public.

Il est logique que Richard Ferrand bénéficie du (presque) soutien de Jean-Luc Mélenchon, l’homme qui se disait la République lui-même avant d’appeler à l’insurrection, et qui considère que sa propre mise en examen est un complot politico-judiciaire visant à abattre le plus noble des opposants. Il est plus étonnant de voir le Rassemblement national préserver le président de l’Assemblée Nationale, peut-être parce que les casseroles judiciaires s’accumulent aussi pour Marine Le Pen et consorts.

Indéniablement, cette nouvelle mise en examen ne va pas raviver l’image de la classe politique, tous bords confondus. L’idée que les politiques se servent plus qu’ils ne servent, si elle épargne encore les maires, ne peut que s’ancrer plus encore dans les esprits, et donner à quelques-uns l’envie de ressortir leur gilet jaune. Alors que s’amorcent les mouvements sociaux, comme l’illustre la grève à la RATP, Emmanuel Macron se serait bien passé de cette nouvelle embuche.

 

Le cas des conjoints des politiques

On remarquera que nombre de ces affaires, en particulier s’agissant de François Fillon (tiens, son procès en correctionnelle est enfin annoncé pour le 24 février 2020… jusqu’à mi mars… date du premier tour des élections municipales) et maintenant de Richard Ferrand, ont comme amorce l’implication de leur compagne ou épouse, grosso modo utilisées (ainsi est perçu ces duos) comme prête-nom pour améliorer les revenus du couple. C’est pourquoi il faut s’interroger sur l’état de la législation et en particulier l’efficacité de la loi du 15 septembre 2017 « pour la confiance dans la vie politique », confiance que devait initialement incarner François Bayrou avant d’être, lui aussi, soupçonné de quelques étranges usages des attachés parlementaires européens du MODEM, et de quitter le premier gouvernement Macron/Philippe, juste après l’avoir intégré (lui aussi a été entendu par la justice avant-hier). Ce texte prohibe le favoritisme, tout spécialement au bénéfice de l’entourage familial (conjoint, partenaire lié par un PACS, concubin, enfants, parents…).

Photo by Christophe Petit-Tesson / POOL / AFP

 

La loi modifie en outre la définition du conflit d’intérêts, initialement visée par une loi de 2013 : « Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Ces outils juridiques auraient-ils permis d’éviter le « Fillon Gate » que nous avons connu, et peut-être le « Ferrand Gate » que nous nous apprêtons à vivre ? A priori non, car tous les magistrats n’ont pas la même interprétation du droit. Mais le texte fait référence à « toute situation d’interférence ». Cela devrait non seulement faire obstacle à toute tentation de copinage et de douteux mélange des genres, mais inciter à une prudence quasi paranoïaque.

Il a toujours été dans l’ordre des choses de « pistonner » ses enfants, ses amis. Même le progressiste moralisateur, le gauchiste ou fasciste antisystème, le gilet jaune le plus déterminé, n’hésite pas à passer un petit coup de fil à un ami qui pourrait trouver un stage ou un travail à sa progéniture ou sa moitié. Est-ce un conflit d’intérêts si le requérant exerce une responsabilité politique quelconque ? La formulation de la loi autorise un juge à le penser… ou à ne pas le penser. Une condition doit néanmoins être remplie : celui qui accorde la faveur doit être en situation d’attendre un retour, ce qui pose la question de l’influence sur l’exercice indépendant de la fonction.

Si l’on veut laver plus blanc que blanc, il faudrait obliger les épouses et époux (notamment) de responsables publics à être femme ou homme au foyer ou à travailler dans des structures ou pour des clients et fournisseurs totalement étrangers de près ou de loin à l’institution dirigée par leur conjoint de politique. Ce serait absurde.

Un autre débat, largement porté par l’association Anticor, porte sur l’indépendance du Parquet, mais de ce seul point de vue, la mise en examen d’un macronien de la première heure serait plutôt rassurante.

Enfin, il y a la fameuse présomption d’innocence. Ce droit justifie à lui seul le maintien de Richard Ferrand car sa mise en examen ne vaut évidemment pas jugement. D’autant que le droit et les interprétations qu’en font les juges seront de plus en pressants sur les politiques. Il faut bien garantir la stabilité de nos institutions.

En attendant, le perchoir de Richard Ferrand est devenu fort glissant. De ce que la presse a révélé, on n’en est pas au coup de fil à un ami pour embaucher la compagne. La lenteur de la justice (faudrait-il accélérer les procédures sensibles ?) va faire durablement peser sur l’intéressé une chape de soupçons.

Il faudra que la macronie fasse bloc derrière son président Ferrand, comme elle n’a pas su (ou voulu) pour François de Rugy, et que ses opposants ne perturbent point trop ses séances au perchoir, pour que le fidèle parmi les fidèles du chef de l’Etat se maintienne à la présidence de l’Assemblée nationale.

 

Michel Taube

Directeur de la publication