C’est une femme battante et déterminée qu’Opinion Internationale a rencontrée à la veille d’une décision de justice qui pourrait constituer le tournant du second tour de l’élection présidentielle en Tunisie. La femme de Nabil Karoui, qui dans le civil est parmi les dirigeantes d’une multinationale du numérique en Afrique et au Moyen-Orient, se bat pour suppléer comme elle peut son mari incarcéré.
Car face à un candidat au second tour de l’élection présidentielle donné comme favori, Kais Saïed, le chef d’entreprise et patron de la chaîne de TV Nessma, Nabil Karoui, fait campagne du fin fond de sa prison. Empêché de mener campagne depuis son incarcération surprise le 23 août, il a malgré tout réussi à se qualifier pour le second tour. Après le rejet de trois recours (les juges se sont dits incompétents !), un nouveau recours sera instruit demain.
Dans un article sur Kais Saïed, nous avons suggéré au professeur de droit constitutionnel qu’il a été d’appeler lui aussi à la libération de son concurrent de second tour… Appel resté sans écho. La question est pourtant posée : le droit politique (le débat démocratique en vue de choisir le Chef de l’Etat) n’est-il pas plus important que des considérations de droit fiscal ?
Entretien exclusif avec Salwa Smaoui à la veille d’une décision très attendue.
Michel Taube
Madame, avant toute chose, comment va votre mari ?
Mon mari est un homme solide. C’est un homme optimiste, il est anxieux par rapport à ce qui peut arriver à ce processus démocratique tunisien mais il est vraiment solide et optimiste. Et il pense qu’il a quand même de grandes chances de remporter ces élections. Mais il faut qu’il sorte de prison pour que ses chances soient équitables. Il y a un vrai sentiment d’injustice.
J’ai « rencontré » Nabil à travers une vitre et le téléphone mardi dernier, soit à peine une fois par semaine car nous nous partageons des visites d’à peine 15-20 min avec ma fille et sa mère. Je suis sûre qu’on est sur écoute, donc on ne peut pas parler librement… Ce sont des conditions vraiment déplorables.
Quel est votre état d’esprit à la veille d’un quatrième recours demandant sa mise en liberté ?
J’espère avoir de bonnes nouvelles demain. Beaucoup de personnes se mobilisent en Tunisie et à l’international pour rectifier cette injustice envers l’homme mais surtout envers le processus démocratique.
Mon mari est un homme innocent, il doit bénéficier de la présomption d’innocence. Car aujourd’hui, il n’y a aucune preuve : c’est un dossier vide, il n’a jamais mis les pieds dans un tribunal pour être jugé pour ces accusations : c’est tellement injuste. Et j’appelle la magistrature encore une fois à veiller à la justice de chaque citoyen tunisien. Je rappelle que l’Association des magistrats tunisiens (AMT) a appelé à une vraie investigation pour savoir exactement ce qui s’est passé, ce qu’ils considèrent déjà comme complètement injuste et même une vraie infraction à la loi tunisienne. Vraiment, je fais à nouveau appel aux hommes honorables de notre justice pour mettre fin à cette injustice envers mon mari, une injustice envers les libertés dans ce pays et une injustice envers la démocratie en tant que telle.
Franchement je ne peux pas vous dire à quel point je suis frustrée par cette injustice. Je voudrais que mon mari sorte parce qu’il doit sortir. Son incarcération a cassé une dynamique électorale qui le mettait loin devant tous ses concurrents. Depuis que Nabil est en prison, les sondages baissent. C’est pourquoi je parle d’un coup d’Etat. En le mettant en prison, on a privé le candidat préféré des Tunisiens de la victoire au premier tour. Et l’on voudrait qu’il en soit de même au second ? Il en est hors de question !
Pourquoi parlez-vous d’un coup d’État ? La Tunisie n’est-elle pas le phare de la démocratie dans le monde arabe ?
Absolument. Et c’est pour cela que je suis autant en colère par rapport à ce qui arrive. Parce que je suis tellement fière de mon pays, tellement fière de notre trajectoire dans la construction d’une démocratie transparente. Cette incarcération est une faute politique majeure.
Tout le monde dit que M. Kais Saïed est donné gagnant au second tour de la présidentielle. Qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas que cela soit le cas. Franchement, Nabil a vraiment de grandes chances de remporter ces élections : par son programme moderniste (voyez celui de son concurrent !), par son lien avec le peuple – lui, il parle la langue du peuple ! – moi je pense qu’il a toutes ses chances. Il s’est entouré d’équipes extraordinaires : des équipes modernes, qui placent l’économie de la Tunisie comme LA priorité de sa présidence. Les Tunisiens ont besoin de travail et de relance de l’économie !
Qu’est-ce qu’il y connaît à la Tunisie Monsieur Saïed ? Les Tunisiens réclament un président qui parle d’une Tunisie qui prospère, qui met la liberté, la Constitution, la justice, la justice sociale au cœur de son programme. Un président qui a fait des choses concrètes et fortes de sa vie, contrairement à d’autres candidats qui restent accrochés à la théorie. C’est un acteur de terrain qui connaît l’économie. Je pense qu’il a de nombreuses chances.
Et puis nous, nous avons une force politique, des candidats en campagne pour les législatives qui sont donnés gagnants dans de nombreuses circonscriptions. Notre adversaire est seul !
Voudriez-vous adresser un message à l’opinion publique française à la veille de la décision sur son éventuelle libération ?
La France doit continuer à nous soutenir. Elle est le pays des droits de l’homme et elle ne saurait accepter que les droits fondamentaux de celui qui sera demain son interlocuteur de tous les jours, de tous les projets, d’un avenir partagé soient bafoués comme ils le sont.
Vous sentez-vous appuyée dans la demande de libération ?
Pour le moment oui. Je voudrais continuer à faire appel à toutes les personnes qui veillent sur le processus démocratique localement et à l’échelle internationale.
Si Nabil Karoui est toujours maintenu en détention après ce mercredi, qu’allez-vous faire ?
Je crois que je remettrais en cause fermement le processus même de ces élections.
Propos recueillis par Michel Taube avec Sofia Farhat
L’interview a été traduite en arabe (sans notre accord mais nous les en remercions et les invitons à intégrer notre url ! 🤔 ) par le site : http://acharaa.com/ar/448182