« Tout Français désire bénéficier d’un ou plusieurs privilèges. C’est sa façon d’affirmer sa passion pour l’égalité ». Charles de Gaulle.
Jean-Paul Delevoye, Haut-Commissaire aux retraites et membre du gouvernement, a sans doute cette phrase à l’esprit chaque fois qu’il prend son bâton de pèlerin pour aller expliquer que notre système de retraite actuel est condamné à muter s’il ne veut pas s’écrouler sur lui-même au bénéfice d’un mécanisme de pure capitalisation.
Emmanuel Macron aura certainement cette citation en tête à Rodez devant 500 citoyens lecteurs de www.ladepeche.fr (La dépêche du midi) en lançant cette consultation sur les retraites.
Car cette formule du père de la Vème République permet d’aller à la racine des raisons qui ont poussé à l’instauration du système actuel, dit de répartition, mais qui en fait, au lieu d’organiser une solidarité universelle, a créé une solidarité professionnelle et corporatiste. La vérité est que, comme souvent en France (pays de classes sociales et sociétales plus que d’autres), les privilèges ne bénéficient qu’à quelques corporations ne représentant qu’une minorité de Français.
Les Français le savent et le pensent : un régime unique de retraite est plus juste et équitable que 42 régimes existants. C’est l’atout maître du projet de réforme des retraites d’Emmanuel Macron.
Deuxième atout, la majorité des Français sont parfaitement conscients de l’équation qui s’impose à eux : l’augmentation de la durée de vie, le nombre croissant d’inactifs supportés par les actifs, conduira inéluctablement à un allongement de la période d’activité, à une augmentation des cotisations ou à une baisse des pensions. C’est vrai en France comme ailleurs, et il est regrettable – et dommageable – que pareille évidence fasse l’objet de tant de résistance, au point que les plus ardents pourfendeurs des privilèges en deviennent soudainement les plus grands défenseurs.
Mélenchon et consorts de la CGT sont pour l’abolition des privilèges… des autres, et en sont réduits à rabâcher des arguments usés jusqu’à la corde : entre le « y’ a qu’à faire payer les riches et les entreprises » et le « il faut niveler par le haut » les syndicats et partis d’opposition, enfermés dans une logique voire une doctrine de refus, de rejet et de confrontation, ne proposent aucune solution crédible.
Plus drôle est de voir les professions libérales défendre les mêmes privilèges que les salariés de la RATP et de la SNCF. Sans parler des sociétaires de la Comédie française, régime particulier qui aurait inspiré à Molière une pièce de théâtre d’anthologie dont les comédiens ne seraient pas sortis grandis.
Les Français contre les corporatismes
Pourquoi ce Grand Débat national bis version retraites ?
Nous sommes précisément au moment où les syndicats (aidés par ces corporations professionnelles) tentent de faire du dossier des retraites la mèche qui peut rallumer le feu que nous avons connu avec les gilets jaunes. Après tout, quelques-unes des plus grandes grèves de l’histoire du pays furent motivées par la réforme des retraites. S’il n’est pas certain qu’en 2019, les Français approuvent une grève dure et longue pour défendre les régimes spéciaux, comme ce fut le cas en 1995, le risque ne peut néanmoins être écarté.
La France va-t-elle perdre une année de plus en déclenchant une nouvelle guerre civile pour au final adopter une réforme ajustable mais nécessaire ? Puisque cette colère française, celle des gilets jaunes, s’est calmée lorsque le pouvoir a lâché du lest (un peu) et surtout organisé le Grand Débat National, grand moment de thérapie collective à prendre très au sérieux, eh bien, pour éviter cette nouvelle flambée, l’exécutif propose de faire le chemin inverse à celui que la France a emprunté fin 2018 et début 2019.
Cette fois-ci, l’idée du gouvernement est de procéder par anticipation, par prévention, et de transformer dès le départ cette colère et son cortège de violences urbaine et publique en discussions apaisées et pacifiques. L’organisation d’un grand débat national au niveau des Régions tentera de répondre à cette demande d’explication.
Car une réforme d’une telle ampleur nécessite d’immenses efforts pédagogiques : il faut expliquer, encore et encore, démontrer, clarifier, rassurer… Ce travail doit être mené avec les Français directement, en parallèle des discussions avec les partenaires sociaux et les représentants professionnels des 42 régimes spéciaux, dont la représentativité est souvent trop étriquée.
Le candidat Emmanuel Macron s’était engagé en 2017 à mettre en place un régime unique. Ceux qui se plaignent des promesses non tenues devraient s’en souvenir. Mais ni lui ni Jean-Paul Delevoye n’ont jamais eu l’intention de remplacer le système actuel par un bloc monolithique ne tenant pas compte des spécificités de certaines situations et des particularismes de certains métiers. La pénibilité, les interruptions de carrière qui concernent majoritairement les femmes, les arrivées précoces ou tardives sur le marché de l’emploi en sont quelques exemples.
Jean-Paul Delevoye avait tenté en son temps de transformer le Conseil Economique, Social et Environnemental en Maison des citoyens. Il a parfaitement compris cette demande de démocratie plus participative et interactive en se rendant à l’Université d’été des Verts, puis à la Fête de l’humanité il y a quinze jours. Il retrouvera à Rodez ce contact direct avec les Français.
Car oui il faut débattre pour recueillir les doléances et prendre pleinement conscience des difficultés, des injustices, des particularismes. C’est parce les régimes spéciaux ne leur apportent guère de réponse qu’ils sont devenus des privilèges. Débattre pour mieux réformer et expliquer la réforme, et non débattre pour savoir s’il faut réformer. Tel est l’enjeu.
Michel Taube