Deux célébrations pour un seul rêve : la légèreté ! Devenue trop rare, précieuse en cette nouvelle époque, décidément lestée de borborygmes « politiques », algorithmes « intelligents », époque en vérité encombrée tel le Rhône de Vincent en Arles d’alluvions du plus noir désespoir ! La légèreté, elle, telle une rivière aux eaux claires, sollicite, amène à éclosion notre sensibilité, écartant comme inutiles ces boues, ces remous, ces gangues !
Le premier sujet favorise l’entreprise : nous voici au cœur de la Renaissance, à Florence, à Milan, et jusqu’au cœur de la Sérénissime République ; et pour conclure, dans les jardins français, avec violes de gambe pour menuets de ce Valois dont on ne se lasse pas : François 1er. Et Amboise : La Loire, avec sa marine, la mer… l’océan bientôt !
Mais le Pô ? Le Milanais ? Légèreté n’est pas faiblesse, ni surtout, abandon des rêves. Charles VIII : le soleil de Naples ! Son Vésuve tellurique ! Le roi François à Pavie – bataille perdue en 1525 – voit son cheval éventré sous lui. Désarçonné d’un coup, il tombe à genoux… relève ses 2 mètres 03 alourdis d’une armure de trente-cinq kilos. Il était temps : les Basques avaient déjà glissé leurs dagues sous le plastron.
Le film présenté bientôt par la chaîne Histoire (Léonard da Vinci, Chaîne Histoire, 24 octobre 2019, 20 heures 40)ne fait, avec une délicieuse subtilité, que lisser les événements de l’époque, pourtant hérissés de dards, de bûchers, pour placer en relief les génies successifs d’un certain Léonard. Le jeune Da Vinci ! L’intelligence au pouvoir ! Avec une maestria dont le spectateur accepte très vite d’être la très consentante victime, le film suit, comme les méandres d’un fleuve, telle une artère du cœur, les filaments ténus de la pensée.
Ce qui est proprement fascinant – et finalement, résume tout -, tient en ceci : bien sûr, Léonard a mené sa vie d’homme, de la somptueuse Toscane aux ateliers de tels maîtres florentins, sans doute passa-t-il au service de Ludovic le Maure – mort reclus à Loches – pour lequel, des décennies durant, avec la pâte d’un potier, et la maestria d’un sculpteur, il emplit de matière, de puissance, de démesure, ce cheval, ce condottiere, ce maître… Bien sûr il avait d’abord prétendu à l’état d’« ingénieur militaire ». Oui, nous savons… Il inventa char d’assaut, parachute, avion, sous-marin… Bien sûr ! Mais …
Mais en bout de course, que reste-t-il ? Les chars d’assaut ? ils avaient les roues à l’envers ! Le sous-marin ? Jamais ils n’eurent la grâce, la vitesse, et pour toute dire, l’intelligence et la magnificence des poissons multicolores, la souplesse des anguilles, pour ne rien dire des sirènes…
De Léonard, comme le rappelle Serge Bramly, il reste le plus compliqué, le plus insaisissable, le plus subtil. Ce qui ne paraît rien et qui, depuis Lascaux, est tout : la peinture. La Joconde n’a pas de sourcils, mais pas davantage de limites… Et Sainte Anne, accueillant sur ses genoux l’Humanité ! Quand on compare Léonard et Vasari, ou d’autres pourtant pas ordinaires, on est saisi. D’un côté la vie, de l’autre : des formes.
C’est un peu la différence qui, des siècles plus tard, opposa les lourds travaux, ponts et viaducs d’acier, cuirassiers éperons et trains, à cette dame de fer dont le prénom ne sera jamais Margaret. Mais Paris ! En inaugurant l’intéressante rétrospective des 130 ans de cette tour aspirée vers le ciel – et uniquement vers lui, c’est tellement évident ! -, dans L’Exposition des 130 ans de la Tour Eiffel (à voir sur place du 28 septembre au 24 novembre 2019), les admirateurs de Gustave Eiffel, ingénieur modeste demeurant à Levallois, 42 rue Fouquet, ont bien saisi l’enjeu. De ces ateliers.
Oui, la France a été grande. Oui, ce pays de terre et de fer a su produire, se hisser au-delà de ses collines, avec ses ouvriers, ses peintres à trois cents mètres du sol, si courageux, ses ingénieurs si ingénieux, mais surtout, mais d’abord, ce pays a aspiré à une légèreté retrouvée.
On appelait ça l’élégance.
Jean-Philippe de Garate