Lubrizol : plus de 5 000 tonnes de produits détruits, près de 2 000 manifestants à Rouen
« Lubrizol coupable, l’État complice » : quelque 2 000 manifestants dont plusieurs parlementaires, ont réclamé la vérité mardi sur l’incendie de l’usine chimique Lubrizol à Rouen, au cours de laquelle plus de 5 000 tonnes de produits chimiques sont partis en fumée. « Nos enfants en danger », « le préfet doit sauter », scandaient les manifestants, partis du palais de justice en direction de la préfecture de Normandie. « Ils cachent la vérité, à nous tous d’enquêter », lisait-on aussi sur une affiche brandie par une manifestante, tandis qu’une banderole réclamait le retour d’un « air normalement pollué ».
La préfecture de Seine-Maritime a publié dans la soirée la liste des 5 253 tonnes de produits chimiques qui ont brûlé dans l’incendie de l’usine jeudi dernier, conformément à la promesse faite par le Premier ministre Édouard Philippe mardi après-midi devant l’Assemblée nationale. « Tous les produits ne sont pas dangereux », a assuré la préfecture. Un peu plus tôt, le préfet Pierre-Yves Durand avait d’ores et déjà exclu devant la presse tout « risque » lié à l’amiante au vu des premières analyses, tout en évoquant 160 fûts « en état délicat » qui attendent toujours d’être évacués.
« Vous mentez, monsieur le Préfet! », a rétorqué dans un communiqué l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva). « L’important est ce qui s’est passé dans la colonne de fumée où une masse de fibres d’amiante a voyagé avec les suies. » Les agences publiques chargées des risques industriels (Ineris) et de la santé (Anses) vont être consultées sur l’éventualité de rechercher de nouveaux produits dans les retombées, a annoncé la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne.
Le parquet de Rouen, qui s’est dessaisi de l’enquête au profit du pôle de santé publique de Paris, a lui annoncé avoir recensé « plus d’une quarantaine de plaintes » à la suite de l’incendie. Le parquet a en outre précisé que l’origine du feu était pour l’heure impossible à déterminer « avec certitude ». La société Lubrizol avait affirmé lundi que l’incendie avait vraisemblablement commencé à l’extérieur du site, en se basant sur « la vidéosurveillance et des témoins oculaires ».
Depuis l’incendie, le gouvernement multiplie les propos rassurants et promet « la transparence » mais sans convaincre.
Des rapports officiels consultés mardi par Mediapart évoquaient en 2016 la présence dans l’usine Lubrizol de produits « très dangereux pour l’environnement » et « nocifs », et estimaient qu’un incendie pourrait donner lieu à la « formation de substances toxiques ». Mme Borne a indiqué mardi qu’une partie des produits avait pu être évacuée jeudi lors de l’incendie par les services de secours.
Le média en ligne écrit également qu’un mur couvre-feu demandé en 2010 à Lubrizol par arrêté préfectoral n’avait pas été construit en 2016. Enfin, une augmentation, début 2019, de l’autorisation de stockage de produits inflammables dans l’usine n’aurait pas, selon Mediapart, fait l’objet d’une procédure spécifique et obligatoire d’autorisation.
Constatant « le climat de suspicion généralisée », le préfet de Normandie Pierre-André Durand s’est demandé « quel serait l’intérêt des pouvoirs publics de mentir ».
Mardi, à Rouen, l’odeur était encore très marquée dans certains quartiers, a constaté une journaliste de l’AFP.
Selon le cabinet du maire, mardi cinq à six écoles rouennaises sont « soit fermées car les enseignants ont fait usage de leur droit de retrait, soit ont demandé aux parents de venir chercher leurs enfants quand ils le pouvaient à cause de l’odeur ».
Alors que l’inquiétude se manifeste toujours à Rouen sur les conséquences de l’incendie sur la santé et l’environnement, un nouvel incident s’est produit dans une autre usine Seveso classée seuil haut située dans l’agglomération.
La préfecture a annoncé la « mise à l’arrêt » de cette usine Borealis, qui produit des engrais, en raison d’un incident sur l’alimentation électrique.
Selon Guillaume Blavette, représentant France Nature environnement au Conseil départemental de l’environnement et des risques (Coderst), Borealis contient « la plus grande cuve d’ammoniac d’Europe ». « Il y a de quoi vitrifier la moitié de Rouen », a-t-il dit.
Sur le front judiciaire, l’association Respire a notamment engagé lundi soir un référé-constat auprès du tribunal administratif de Rouen pour obtenir la nomination d' »un expert afin de constituer les éléments du dossier de manière contradictoire », a expliqué à l’AFP Me Corinne Lepage.
Côté police, Yan Bertrand, secrétaire du syndicat Unité SGP police Seine-maritime, a indiqué avoir saisi le préfet. « Nous voulons savoir si toutes les dispositions ont été prises pour assurer la sécurité des fonctionnaires qui sont intervenus au moment du sinistre ».
Des avocats rouennais ont décidé d’organiser « des consultations gratuites spécifiques » sur l’incendie. A titre personnel, plusieurs d’entre eux ont aussi porté plainte.
Au moins 1 800 agriculteurs ont été touchés par les suies de l’incendie de l’usine Lubrizol, selon le ministère de l’Agriculture. Les premières indemnisations pourraient intervenir sous une dizaine de jours.
Balladur et Léotard seront jugés dans le volet financier de l’affaire Karachi
Un procès près de 25 ans après les faits : l’ancien Premier ministre Edouard Balladur et son ex-ministre François Léotard ont été renvoyés devant la Cour de justice de la République (CJR) pour le financement présumé occulte de la campagne présidentielle de 1995.
M. Balladur, 90 ans, et son ancien ministre de la Défense, 77 ans, seront jugés pour « complicité d’abus de biens sociaux » dans cette affaire, portant sur le volet financier de l’affaire Karachi. L’ancien chef de gouvernement devra également répondre de faits de « recel » de ces délits, a précisé le procureur général François Molins dans un communiqué.
Plusieurs protagonistes, dont Thierry Gaubert (ex-membre du cabinet du ministre du Budget de l’époque, Nicolas Sarkozy) et Nicolas Bazire, alors directeur de la campagne balladurienne, ainsi que l’intermédiaire controversé Ziad Takieddine, doivent être jugés devant le tribunal correctionnel de Paris du 7 au 31 octobre pour ces mêmes faits.
Le cas des deux ministres avaient été disjoints en 2014 et confiés à la CJR, seule instance habilitée à juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Contestée, son existence pourrait être remise en cause dans une prochaine réforme constitutionnelle.
« M. Edouard Balladur est confiant dans l’issue de cette procédure, dans la mesure où il n’a jamais commis aucun des actes qu’on lui reproche », ont réagi dans un communiqué ses avocats, François Martineau et Félix de Belloy, assurant que les comptes de campagne de l’ancien candidat « étaient conformes aux règles en vigueur ».
Edouard Balladur et François Léotard sont soupçonnés d’être impliqués dans un possible système de rétro-commissions illégales sur des ventes de sous-marins au Pakistan et de frégates à l’Arabie Saoudite (Sawari II), lorsqu’ils étaient au gouvernement entre 1993 et 1995.
Ces rétro-commissions, estimées à quelque 13 millions de francs (près de deux millions d’euros), auraient pu servir en partie à financer la campagne de M. Balladur.
L’anniversaire du régime chinois éclipsé par la violence à Hong Kong
La violence à Hong Kong a éclipsé mardi les colossales célébrations du 70e anniversaire du régime communiste chinois, un manifestant ayant été pour la première fois blessé par un tir à balle réelle de la police dans l’ancienne colonie britannique.
Alors que 15.000 soldats avaient défilé au pas de l’oie au coeur de Pékin, à 2.000 km au sud, des manifestants pro-démocratie ont défié à nouveau la police hongkongaise pour dénoncer l’emprise jugée croissante de la Chine continentale sur le territoire autonome. Des dizaines de milliers de protestataires sont descendus dans les rues ce mardi, également férié dans l’ex-colonie britannique rendue à la Chine en 1997. Des actions qui ont donné lieu aux pires violences à Hong Kong depuis le début de la mobilisation.
Selon la police, un agent qui craignait pour sa vie a fait feu sur un jeune homme de 18 ans, qui a ensuite été conduit à l’hôpital. Les autorités médicales ont fait état de 31 personnes hospitalisées, dont deux dans un état critique.
Dans l’île de Hong Kong, des manifestants ont marché vers le bureau de représentation du gouvernement central, régulièrement la cible de la contestation. Ils ont jeté des oeufs sur un portrait du président chinois Xi Jinping et arraché de grandes affiches célébrant l’anniversaire du régime communiste, avant de les piétiner. « Trois mois plus tard, nos cinq revendications ne sont toujours pas satisfaites. Nous devons poursuivre notre combat », a déclaré à l’AFP un manifestant portant un masque.
La ville a été le théâtre de longs affrontements. Des policiers et des journalistes ont été blessés par des projections de liquide corrosif par des manifestants. Et des barricades ont brûlé dans plusieurs quartiers.
La légendaire cantatrice américaine Jessye Norman s’est éteinte à 74 ans
La cantatrice américaine Jessye Norman, soprano dont la voix à la fois sombre et majestueuse avait conquis les publics du monde entier, est décédée lundi à New York à 74 ans, des suites d’une septicémie. « C’est avec une profonde tristesse que nous annonçons la mort de la star internationale de l’opéra Jessye Norman », a indiqué sa famille dans un communiqué transmis par une porte-parole. « Nous sommes si fiers de ses réussites musicales et de l’inspiration qu’elle a été pour le public dans le monde entier, qui continuera à être une source de joie », a-t-elle ajouté.
La cantatrice devenue icône, qui avait marqué les esprits en France en chantant « La Marseillaise » en 1989 pour le bicentenaire de la révolution, est décédée d’une septicémie consécutive aux complications d’une blessure à la colonne vertébrale subie en 2015, selon le communiqué. Les hommages ont commencé à affluer lundi soir.
« Le Met pleure Jessye Norman, l’une des plus grandes sopranos des 50 dernières années », a indiqué le grand opéra new-yorkais où elle s’est produite plus de 80 fois, dans un répertoire allant de Wagner à Poulenc, en passant par Bartok, Schönberg et Strauss. « Elle était l’une des plus grandes artistes à chanter sur notre scène », a souligné le directeur du Met Peter Gelb. « Son souvenir vivra à jamais ».
Née le 15 septembre 1945 à Augusta, dans un Etat de Géorgie alors soumis à la ségrégation, Jessye Norman, issue d’une famille de cinq enfants, s’initie à la musique par l’église, en chantant les traditionnels « spirituals ». En grandissant, elle se met à écouter les opéras à la radio, notamment ceux du prestigieux Metropolitan Opera, où elle allait elle-même devenir une star. « Je ne me souviens pas d’un moment dans ma vie où je n’ai pas été en train d’essayer de chanter », disait-elle en 2014 à la radio américaine NPR, après avoir remporté cinq Grammys, dont un récompensant l’ensemble de sa carrière en 2006.
Jeune femme noire dans un milieu de la musique classique essentiellement blanc, elle décroche une bourse pour étudier la musique à l’université Howard, un établissement historiquement noir de Washington. Engagée dès 1968 – elle n’a alors que 23 ans – au Deutsche Oper de Berlin, elle débute en France cinq ans plus tard, dans l' »Aïda » de Verdi. Des invitations suivent au Festival d’Aix-en-Provence (« Hippolyte et Aricie » de Rameau en 1983, « Ariane à Naxos » de Richard Strauss en 1985), à l’Opéra-Comique (1984) et au Châtelet (1983, et régulièrement depuis 2000). Elle s’installe en Europe où, avec son timbre sombre et pulpeux, elle s’impose comme l’une des sopranos dramatiques les plus reconnues, en particulier pour ses interprétations de Wagner.
« La beauté et le pouvoir, la singularité de la voix de Jessye Norman: je ne me souviens pas d’autre chose de semblable », déclarait en 2014 la Prix Nobel de littérature Toni Morrison, décédée elle-même en août dernier, lors d’une soirée d’hommage à Jessye Norman. « Je dois dire que parfois lorsque j’entends votre voix, cela me brise le coeur. Mais à chaque fois, lorsque j’entends votre voix, cela soigne mon âme », avait poursuivi l’écrivaine.
Jessye Norman était aussi une femme de convictions, socialement engagée, notamment pour les artistes des milieux défavorisés. Elle avait notamment fondé dans sa ville natale d’Augusta la Jessye Norman School of the Arts, gratuite pour les plus désargentés.
Si elle avait chanté aux cérémonies d’investiture des présidents américains Ronald Reagan et Bill Clinton, ou pour le 60e anniversaire de la reine Elizabeth II, en 1986, avant de recevoir la Médaille nationale des arts des mains du président Barack Obama en 2009, la cantatrice s’était retirée de la scène ces dernières années.
Ses dernières interviews remontent pour la plupart à 2014, année de la publication de ses mémoires, « Stand Up Straight and Sing! ». Elle y racontait en détail les femmes qui l’avaient marquée, et le racisme auquel elle avait été confrontée, enfant puis adulte.
Sa vie amoureuse était un mystère. Lorsque le Telegraph l’interrogeait sur un passage de ses mémoires où elle évoquait une demande en mariage que lui aurait faite un jour un aristocrate français, elle avait qualifié l’épisode de « fascinant », sans rien révéler. « Les Français m’ont toujours beaucoup soutenue, restons-en là », avait-elle dit en riant.