Vous achetez sur Le Bon Coin, vous postez vos photos de croisière sur Facebook alors que vous êtes aux minimas sociaux : rien n’échappera plus à Bercy !
L’article 57 du projet de loi de finances 2020 vise à autoriser l’administration fiscale à analyser les réseaux sociaux pour traquer les fraudeurs, une perspective qui semble inquiéter la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui s’en est émue dans sa délibération du 30 septembre. Son raisonnement s’appuie sur le sacro-saint principe de proportionnalité entre la fin et les moyens. Repérer et redresser quelques fraudeurs justifie-t-il une intrusion dans la vie privée de millions de contribuables ?
La CNIL prend parfois des positions maximalistes ou courageuses. Question de point de vue, sans doute ! Par exemple, elle est plus réservée sur la vidéosurveillance des salariés que ne le sont globalement les tribunaux. Cette fois, elle se fait remarquer par ses réserves à l’égard d’un article du projet de loi de finance dont elle s’inquiète de la nature inquisitrice, au regard des résultats qui peuvent en être attendus. La CNIL face au fisc… David contre Goliath en somme !
En matière de protection des données, force est de reconnaître qu’il ne lui est pas toujours facile de protéger le citoyen des abus des GAFA (et s’il n’y avait qu’eux !), alors que des entreprises plus modestes qui négligent de sécuriser les données de leurs clients d’un point de vue informatique se font parfois épingler. Mais elle fait avec les outils que le législateur lui donne. En l’espèce, il s’agit pour l’essentiel du RGPD, le fameux règlement européen qui se veut être le bouclier de notre vie privée. Il est d’une efficacité toute relative, comme on peut le constater à la lecture de son article 6 et des multiples exceptions à la règle du consentement qu’il édicte.
La CNIL s’inquiète donc que le fisc puisse déduire de l’exhibition de notre vie privée sur les réseaux sociaux et de nos transactions sur des sites de ventes entre particuliers, comme Le Bon Coin ou eBay, que nous puissions avoir quelques revenus occultes. Rien de nouveau, sur le principe : c’est son train de vie qui fut fatal à Al Capone !
Juridiquement, l’article 57 du PLF n’est pas contraire au RGPD (dont on rappellera qu’il est supérieur au droit national). D’une part, le règlement européen ménage les intérêts publics (recouvrer l’impôt en est un) et d’autre part, il dispose qu’une donnée n’est plus personnelle dès lors qu’elle est rendue publique par son propriétaire. Dans un même esprit, ça fait belle lurette que l’on peut être licencié pour avoir injurié son patron sur Facebook ou y avoir publié les photos de ses vacances aux Baléares alors qu’on était en arrêt maladie.
Sauf que les réseaux sociaux, en particulier sur Facebook, ce n’est pas nécessairement le propriétaire des données qui les publie. Internet est un univers où la confidentialité n’est qu’un leurre, puisque l’on peut y apparaître même si on ne s’y est jamais connecté. Tout le monde sait tout sur tout le monde. Il est trop tard pour s’offusquer qu’il en aille de même du fisc. Celui qui fraude a donc intérêt à faire preuve de discrétion, à compter sur celle de ses amis, et à ne pas avoir trop d’ennemis.
Alors bien sûr, tout cela a tout de même un petit côté Big Brother. L’hyper flicage de la population, l’espionnage permanent de notre vie privée, ce n’est pas le monde dont on rêve. C’est pourtant celui que l’on contribue chaque jour à créer, en utilisant internet et les réseaux sociaux.
Propos recueillis par Raymond Taube, rédacteur en chef d’Opinion Internationale et directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique