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07H00 - jeudi 3 octobre 2019

Riss raconte la tuerie de Charlie Hebdo

 

Riss, directeur de Charlie Hebdo, à Paris, le 16 juillet 2019 – AFP/Archives / JOEL SAGET

 

« Il est impossible d’écrire quoi que ce soit ». C’est ainsi que débute « Une minute quarante-neuf secondes », le récit vibrant de Riss, directeur de Charlie Hebdo, sur l’attaque meurtrière du 7 janvier 2015. Comme Philippe Lançon qui avait raconté son calvaire dans « Le lambeau », couronné l’an dernier par le prix Femina, Riss est un survivant.

Le livre, coédité par Actes Sud et les éditions des Échappés (320 pages, 21 euros), ne redonnera pas vie aux disparus. Mais il permet de ne pas oublier que le 7 janvier 2015, en une minute et quarante-neuf secondes, douze personnes ont perdu la vie. Les dessinateurs Cabu,Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, la psychanalyste Elsa Cayat, l’économiste Bernard Maris, le policier Franck Brinsolaro qui assurait la protection de Charb, le correcteur Mustapha Ourrad ainsi que Michel Renaud, Frédéric Boisseau et Ahmed Merabet ont été fauchés par des tirs de kalachnikovs.

Blessé d’une balle à l’épaule, Riss se souvient de sa première nuit terrifiante à l’hôpital. « J’étais convaincu que les tueurs étaient à la recherche des blessés pour les achever ». « Il n’était pas nécessaire de s’endormir pour faire des cauchemars. Il suffisait de rester éveillé ».

« Il est impossible d’écrire », soutient Riss car « on ne transmet pas une désagrégation ». Pourtant, avec abnégation, beaucoup de courage et une écriture magistrale (on se demande pourquoi ce livre ne figure dans aucune sélection des prix littéraires), Riss parvient à démentir cette affirmation trop péremptoire.

Les raisons d’écrire sont multiples même si, se révolte Riss, après l’attentat, « il ne fallait pas se révolter, ne pas désigner de responsables, ni tendre le doigt en direction des lâches et des coupables ».

Ni surtout, s’indigne-t-il, « dénoncer le prosélytisme de croyances archaïques, de concepts réactionnaires, afin de ne pas heurter ceux qui les pratiquent et veulent les propager pour se sentir moins seuls, enfermés qu’ils sont dans leur pensée moyenâgeuse et totalitaire ».

Pourtant, « la violence (…) n’a pas disparu. On l’a supportée. On l’a encaissée. On l’a absorbée ».

« Ceux qui croient qu’elle est derrière nous n’ont pas compris qu’elle est maintenant à l’intérieur de nous. Il n’y aura pas de reconstruction. Ce qui n’existe plus ne reviendra jamais », insiste Riss.

Comme lors de la lecture du « Lambeau » la vue est parfois brouillée par les larmes quand Riss évoque ses amis disparus. Le doux Cabu, le dessinateur au « rire facile », ancien du Club Dorothée…

 

AFP/Archives / JEAN-FRANCOIS MONIER

Candeur et audace

A aucun moment Riss ne nomme les deux frères assassins. Mais il ne se prive pas de dénoncer « les fanatiques » qui « n’acceptent de perfection que celle de Dieu ». « Si croire est une liberté fondamentale, remettre en cause les fondements des croyances religieuses en est une autre tout aussi fondamentale », rappelle-t-il.

L’attentat contre Charlie Hebdo « fut avant tout un crime politique », affirme-t-il. « Le but des terroristes du 7 janvier était de faire disparaître des idées, ceux qui les portaient et qui étaient parfois les seuls à les exprimer ».

Riss, alias Laurent Sourisseau, n’a pas de mots assez durs contre ceux qu’il nomme « les collabos ». « En janvier 2015, on nous infligea de belles théories pour expliquer que les manifestations du 11 janvier (après l’attentat) étaient le fait d’une France blanche de zombies catholiques. On eut droit aussi au réquisitoire infamant du racisme », s’insurge-t-il. « 2015 me fit comprendre ce qu’avait été la collaboration, car je pus observer à quel point le confort intellectuel copulant avec l’instinct de survie pousse les esprits les plus brillants vers la complaisance et la lâcheté », ajoute-t-il.

Le récit est dédié « aux innocents, vivants, morts ou fous ». Le superbe dessin de couverture est un détail du « Chasseur à cheval » de Géricault.

« Gamin, se souvient Riss, j’étais fasciné » par ce tableau notamment par « l’oeil écarquillé (du) cheval traversé par la peur ou la folie ». Il raconte avoir à maintes reprises tenté de reproduire ce tableau même si « oser copier un tableau aussi fabuleux était sacrilège ».

« Mais enfant, poursuit Riss, rien n’est sacré ».

« C’est peut-être pour cette raison que les dessinateurs de Charlie Hebdo ont publié les caricatures du prophète Mahomet sans l’ombre d’un doute, Parce qu’ils avaient gardé de leur enfance la candeur et l’audace ».

 

Alain JEAN-ROBERT

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