Le 7 octobre 2019, l’Université Saint-Joseph – USJ et le Groupe Interacadémique pour le Développement – GID organisent à Beyrouth une Rencontre internationale « Sciences et technologies au service des patrimoines en Méditerranée orientale », sous le haut patronage du président de la République libanaise, SE. Le Général Michel Aoun.
Cet événement est la première initiative directement inspirée de la déclaration de Paris « Patrimoines, sciences et technologies : une chance pour nos sociétés et l’économie mondiale », paraphée par plus de 500 signataires et adoptée par les Académies membres et partenaires du GID, le CNRS, plusieurs organismes de recherche, institutions culturelles et agences de financement, à l’occasion de la Rencontre mondiale « Patrimoines, sciences et technologies » qui s’est tenue du 13 au 16 février 2019.
Entretien avec Catherine Bréchignac, Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie des sciences de France, Ambassadrice déléguée à la science, la technologie et l’innovation, vice-présidente du Groupe Interacadémique pour le Développement – GID, France.
Catherine Bréchignac, que va faire le Groupe Interacadémique pour le Développement – GID au Liban la semaine prochaine ?
Nous avons adopté en février 2019 la Déclaration de Paris avec 500 signatures sur la science et la technologie au service du patrimoine et sa valorisation, appelant plus précisément à l’action pour mobiliser les savoirs en vue d’améliorer la connaissance, la préservation et la valorisation des patrimoines culturels et naturels, au service du développement durable. Ce fut donc un grand succès. Nous avons choisi comme premier point d’ancrage de travailler avec le Liban pour couvrir la Méditerranée orientale.
Le Liban offre un patrimoine naturel très important symbolisé par son emblématique cèdre. Il est un fleuron du patrimoine méditerranéen. D’abord sur le plan culturel, avec des villes parmi les plus anciennes et continuellement habitées, comme Byblos, qui a environ 8000 ans d’histoire, durant lesquels des civilisations se sont succédées. C’est assez extraordinaire et très émouvant de voir le village de pêcheurs y affleurer à la surface de l’eau.
S’y ajoute un patrimoine de l’esprit, qui est intellectuel et qui puise ses sources dans cette région du monde où l’écriture s’est conceptualisée en écriture alphabétique. Partout ailleurs existaient des idéogrammes, constituant une écriture basée sur un nombre de signes énorme, parfois jusqu’à 10.000 signes pour exprimer ce qu’une langue pouvait porter. L’écriture est une conceptualisation essentielle, puisqu’en très peu de signes – 22 pour le phénicien, 26 pour notre alphabet – elle a permis de faire éclore un nombre extraordinaire de langues. L’alphabet phénicien a été le vrai point de départ, même s’il lui préexistait des alphabets un peu épars, principalement utilisés par des commerçants. Il était fort bien conceptualisé et s’est développé tant vers le nord avec les alphabets étrusque, latin, grec et cyrillique, que vers le sud, avec l’arabe et l’hébreu, qui sont dépourvus de voyelles.
Par son histoire et sa situation géostratégique, le Liban constitue un carrefour particulièrement fédérateur pour décliner les enjeux de valorisation, d’application et de formation qu’impliquent les politiques de préservation patrimoniale à des fins de développement économiques, culturels et sociétaux.
Pour toutes ces raisons, nous avons choisi le Liban, qui est un point de croisement entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Il est également francophone et francophile. Mais nous nous intéressons à toute cette zone orientale, qui va de l’Egypte à la Turquie.
Le patrimoine est-il une matière vivante ?
Nous n’allons pas au Liban avec des objectifs de préservation du patrimoine, mais avec l’idée de développer des écoles de formation au bénéfice des jeunes de la région, afin de les former aux nouvelles technologies de préservation du patrimoine et plus généralement aux métiers du patrimoine d’aujourd’hui.
Souvent, les touristes s’intéressent plus au pays d’hier qu’à celui d’aujourd’hui. Cela se voit notamment à Paris. Leur voyage se fait dans le passé, sur fond d’images d’Épinal. Notre objectif est de promouvoir des formations qui utilisent les technologies et les sciences contemporaines, comme le virtuel, appliquées au patrimoine d’hier pour les ancrer dans le patrimoine d’aujourd’hui et pour penser au patrimoine de demain.
Une autre question essentielle se pose à propos du patrimoine : que doit-on garder ? Tout garder est impossible car cela deviendrait inexploitable. Il faut donc faire un tri entre ce qui doit être conservé intact, ce qui doit être numérisé et ce qui n’a pas vocation à passer à la postérité.
Les journées du patrimoine le loto du patrimoine de la FDJ témoignent de l’intérêt des Français pour leur patrimoine. Quelle est la place des scientifiques dans cet engouement populaire ?
La science est cumulative et indissociable du patrimoine. Elle en est un élément. La science, sous l’angle des technologies, a par ailleurs toute sa place au service du patrimoine. Par exemple, lorsque nous faisons visiter l’Institut de France pendant les Journées du patrimoine, les visiteurs sont fascinés de découvrir un auditorium contemporain ultramoderne adossé à la muraille de Philippe Auguste. Les nouvelles technologies permettent ainsi d’assurer une continuité dans le patrimoine.
La science au service du patrimoine ne remplit pas qu’une fonction utilitaire. Par exemple, au Cambodge, avec lequel travaille le CNRS, il est aujourd’hui possible de découvrir des temples enfouis sous la végétation sans déforester grâce à l’imagerie.
Propos recueillis par Michel Taube