Cinq ans après « Charlie », le terrorisme islamique a de nouveau frappé le 3 octobre à la préfecture de police de Paris. Les victimes ne sont plus les citoyens indifférenciés du Bataclan ou de la Promenade des Anglais mais quatre policiers assassinés par un des leurs au sein même de la Préfecture de Paris. Un crime d’autant plus terrifiant qu’il a cette fois été perpétré à l’arme blanche.
Le débat public dénonce la faillite des procédures et l’omerta vis-à-vis d’un homme radicalisé depuis plusieurs années. Faiblesse coupable auto-protectrice, angélisme béat ou clientélisme démagogique ? Il est vrai qu’au nom de la diversité, nous avons parfois légalisé certaines pratiques contraires à nos valeurs, fermé les yeux sur les discours enflammés délivrés dans certaines mosquées ou autorisé la publication d’ouvrages rompant avec le principe de laïcité.
Dans une démocratie, le curseur thérapeutique n’est jamais simple à positionner, les uns le ressentant trop laxiste, les autres trop répressif. Mais, le plus surprenant est l’amnésie collective quant à l’origine de la maladie. La montée de l’intégrisme islamique n’est pas une fatalité. Elle remonte aux années 70 et réside dans la faillite de la politique extérieure des pays occidentaux qui, avec une constance ahurissante, ont répété durant quarante ans les mêmes erreurs.
Une tragédie en quatre actes
Depuis la création d’Israël, la volonté d’émancipation des peuples arabes s’était appuyée sur un nationalisme panarabique fondé sur des régimes autoritaires laïques ou des monarchies rétrogrades. Tout va basculer à la fin des années 70.
Le 16 janvier 1979, quand le Shah d’Iran abandonne le pouvoir, c’est la première fois qu’une dictature laïque est renversée par un régime religieux inspiré par la Charia. Personne n’a alors conscience de la portée historique de cet évènement. Et pourtant, c’est avec une facilité déconcertante que Washington et ses alliés vont lâcher le Shah et brader un régime qui leur était plutôt favorable contre un islamisme conquérant.
Dès la fin 1979, le décor du deuxième acte est planté. Pour contrer les visées expansionnistes de l’URSS en Afghanistan, les Occidentaux vont armer jusqu’aux dents des islamistes intégristes jusqu’alors inconnus : les Talibans. Avec la complicité active des Occidentaux, un second régime fondamentaliste est né. Quinze ans plus tard, il frappera indirectement les « Twin Towers »
Le troisième acte se déroule en Irak et se cristallise autour d’un personnage aussi fantaisiste que brutal : Saddam Hussein. Quand Saddam attaque l’Iran en 1979, il obtient le soutien unilatéral des puissances occidentales. Mais, quinze ans plus tard, soupçonné sans preuve de détenir des armes de destruction massive et d’entretenir des relations de proximité avec les groupes islamiques, il devient l’ennemi public numéro un des démocraties occidentales. Loin du régime démocratique imaginé par l’administration Bush, la désastreuse opération « Iraqi freedom » conduisit à une guerre asymétrique entre factions religieuses. L’Irak bascule à son tour dans le fondamentalisme religieux.
L’Acte 4 est un remake de la révolution iranienne mais suivant le degré d’intervention des Occidentaux, les résultats seront très différents. Sans ingérence, l’Egypte et la Tunisie gèrent le « printemps Arabe » à leur rythme.
En Libye, l’intervention franco-britannique conduit au chaos. Contrôlée par Kadhafi depuis 1967, la Libye bascule à son tour dans l’intégrisme islamique. Le fléau s’étend en Afrique subsaharienne tandis que des vague d’immigrés traversent la Méditerranée. La France y répond en lançant les opérations SERVAL et SANGARIS dont la pertinence sur le long terme reste toujours à démontrer.
En Syrie, les chancelleries occidentales espèrent naïvement l’émergence d’une opposition démocratique pour remplacer le tyran local. Elles soutiennentune hétéroclite « Armée Syrienne Libre » infiltrée de djihadistes. Désorganisée et sans leader, l’ASL est phagocytée par les salafistes qui instaurent un Etat Islamique au sinistre nom de « Daesh ».
En voulant à la fois assurer leurs intérêts économiques, garantir leur sécurité énergétique, se déculpabiliser de leur fardeau colonial et satisfaire un besoin naïf d’humanisme, les chancelleries occidentales ont, en quarante ans, aveuglément transformé un panarabisme nationaliste à dominante laïque en un islamiste transnational. La révolution iranienne en est le creuset. Sans elle, il n’y aurait jamais eu de guerre Irak – Iran ni de guerres du Golfe, Al Qaida et Daesh n’auraient pas vu le jour.
Sans révolution iranienne nous n’aurions pas été Charlie le 11 Janvier 2015, les drames du Bataclan, de la Promenade des Anglais et de la Préfecture de Paris n’auraient pas eu lieu.
Philippe A. Charlez