Séisme politique en Allemagne : l’extrême-droite de l’AFD a devancé la CDU d’Angela Merkel ! Le triomphe relatif des extrêmes aux élections régionales en Allemagne et en Italie annonce-t-il l’effondrement des démocraties ? Partout en Europe (et au-delà), les scrutins sont marqués par une inexorable dérive vers le nationalisme…
En effet, hier, le 27 octobre, les élections régionales en Thuringe (ex Allemagne de l’Est) ont placé certes l’extrême gauche (Die Linke) en tête, avec 30,7 % des suffrages, devant l’extrême droite avec 23,6 %, soit le double qu’en 2014. Le parti d’Angela Merkel n’arrive qu’en troisième place avec 22 % des voix et les Verts, qu’on imaginait en pleine ascension du fait du péril climatique, sont réduits au rôle de faire valoir avec 5 %.
Le leader local du parti d’extrême droite, Björn Höcke est même un nostalgique du IIIème Reich. Il incarne la ligne dure de l’AFD au niveau fédéral.
On imagine déjà qu’à l’issue des prochaines élections législatives, en 2021, (même si déjà ces jours-ci il sera difficile de créer une coalition gouvernementale), il sera très hardu de constituer une majorité si l’AFD venait à l’emporter, sauf à admettre l’hypothèse d’une alliance des extrêmes.
Des élections régionales se sont aussi tenues en Italie, ce même 27 octobre, avec un triomphe de Matteo Salvini en Ombrie, sa candidate Donatella Tesei, qui représentait tous les mouvements d’extrême droite, obtenant 57,5 %. Les candidats des partis formant la coalition de gouvernement à Rome (le Parti démocrate de centre gauche et le du mouvement 5 étoiles) ne totalisent que 37,5 % des suffrages.
Ces scrutins sont-ils des épiphénomènes ou annoncent-ils un vent mauvais et dévastateur ?
Le phénomène n’est pas nouveau. A des degrés divers, les pays démocratiques, donc les peuples qui y élisent leurs représentants, glissent progressivement vers le repli sur soi et une xénophobie qui contient nécessairement les germes du racisme. Comme toujours, l’extrême droite, incarnation politique du nationalisme, se saisit de ces sentiments malsains, les cultive, les développe, s’en nourrit. Le populisme prend tantôt la forme du Brexit, tantôt celle de l’élection d’un milliardaire antisystème et sans scrupule à la tête de la première puissance mondiale. Plus souvent, elle se traduit par une poussée de l’extrême droite, notamment en Europe, parfois jusqu’à son avènement au pouvoir en Hongrie, en Pologne, en Italie (même si Salvini a, – provisoirement ? – quitté le gouvernement dont il était le dirigeant de fait) ou ailleurs au Brésil, avec Bolsonaro. On pourrait aussi évoquer des démocraties relatives comme la Turquie ou la Russie, où le nationalisme est la pensée dominante.
Comment en est-on arrivé là ? Arrivés ? Malheureusement le bout du tunnel est encore loin, et on peut craindre, à l’instar de nombreux intellectuels comme Alain Finkelkraut ou Michel Onfray qui a consacré un important ouvrage à cette perspective (Décadence, aux éditions Flammarion) que nous avons l’immense honneur (et l’horreur) de vivre le crépuscule de notre civilisation.
Le capitalisme, sorti vainqueur de son duel avec l’empire soviétique, peine de plus en plus à offrir un horizon, un espoir, un avenir au centre de gravité de nos démocraties que sont les classes moyennes. Ces amortisseurs sociaux se paupérisent et refusent de plus en plus d’être les vaches à lait de système qui n’enrichissent qu’une minorité.
Mais la crise est aussi identitaire : faute de pouvoir gérer la question sociale, nos gouvernants ont ouvert une terrible boîte de Pandorre en secouant, lorsque cela les arrange, le chiffon rouge de l’immigration. Et c’est ce chiffon rouge qui légitime la poussée des forces d’extrême-droite.
La lepénisation de l’Europe, initiée en France dès les années 80, est en marche !
La peur de l’étranger est souvent le dénominateur commun à la poussée de l’extrême droite, même si paradoxalement, l’extrême gauche, par essence internationaliste et multiculturaliste, tire également les marrons de ce feu dévastateur, jusqu’à parfois s’allier avec l’extrême droite, comme cela s’est produit en Italie et qui sait, se produira peut-être en Allemagne. La quête du pouvoir justifie bien que l’on prenne quelques aises avec ses convictions ou ses dogmes ! Après tout, que le fascisme soit de droite, de gauche, ou qu’il se revendique du religieux, le résultat pour les peuples est sensiblement le même.
L’immigration bénéficie au pays d’accueil. Elle participe à son enrichissement culturel et économique, à sa croissance, à son épanouissement. Mais il semble exister un seuil au-delà duquel la tendance se retourne. Ce seuil n’est pas prédéterminé, car il dépend de nombreux facteurs, comme la situation économique, notamment le niveau de vie et le taux de chômage, l’origine et les us et coutumes des migrants, leurs propres attentes, la pérennité de leur installation ou la propension à s‘intégrer ou s’assimiler, ces deux finalités reposant sur des considérations philosophiques et politiques distinctes.
Mais souvent, les immigrés et au-delà, les minorités, comme ce fut très régulièrement le cas des juifs, sont des boucs émissaires. Le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et toutes les autres manifestations contre une ou plusieurs minorités, même les « riches » et les élites, sont autant de symptômes d’un mal profond qui gangrène une société, un pays, un système – hier le communisme qui s’effondra, aujourd’hui peut-être le capitalisme -, voire une civilisation.
Pour nous en sortir, il nous faut de nouveaux horizons, une nouvelle exaltation. Construire une Europe puissante et prospère, capable de préserver nos acquis civilisationnels et notre prospérité face à de multiples périls, aurait pu être cet horizon. Raté !
Dans quelques films de science-fiction, l’humanité se soude face à l’ennemi commun : une invasion extraterrestre ou une pandémie qui dévaste la population. La première hypothèse est plus improbable que la seconde, dont nul ne sait quand elle se produira. Mais personne n’imagine qu’elle soit notre planche de salut. Pas plus que la guerre. Pourtant, le péril commun (qui serait donc salvateur) existe. Il a déjà commencé à se manifester. Il s’appelle réchauffement climatique et même catastrophe écologique. Mais on peut craindre qu’il soit davantage porteur de nouveaux conflits, peut-être plus terrifiants encore que tous ceux que l’humanité a connus.
Le pire n’étant jamais sûr, et l’avenir n’étant que ce que l’on en fait, tous les espoirs demeurent permis. À condition d’en prendre conscience.
En France, l’extrême gauche s’est pris une fessée lors des dernières élections européennes. L’extrême droite est puissante et on n’ose imaginer le scénario d’un échec cuisant d’Emmanuel Macron.
Mais si autour de nous, le populisme l’emporte, la France sera-t-elle ce village d’irréductibles Gaulois, qui résistent, encore et toujours, à l’envahisseur extrémiste ? Pourquoi pas, par Toutatis ?!
Michel Taube