Edito
07H00 - mercredi 20 novembre 2019

Le docteur Macron se penche sur l’hôpital : ça va saigner ! L’édito de Michel Taube

 

Emmanuel Macron à l’hôpital de Rouen en avril 2018 – AFP – Christophe Ena

 

À l’occasion d’un déplacement à Épernay, dans la Marne, en réponse à la grande journée de mobilisation du 14 novembre des acteurs de l’hôpital, Emmanuel Macron avait annoncé un « investissement massif » dont les détails seront communiqués à l’issue du Conseil des ministres de ce 20 novembre. Une réunion de travail s’est tenue ce matin autour d’Edlouard Philippe et d’Agnès Buzyn pour en finaliser les détails.

Des sous, des sous, des sous ! Mais encore. L’augmentation des besoins, et donc des moyens, est inéluctable, et il faudra par conséquent innover, réformer, et peut-être remettre en question de vieilles habitudes. Un chantier de plus pour nos gouvernants, qui doivent aussi compenser la relative inertie de leurs prédécesseurs.

L’enjeu est de taille : si le gouvernement déçoit le collectif inter-urgences qui mène la grève aux urgences depuis six mois et le nouveau collectif inter-hôpitaux, les manifestants du 14 novembre risquent d’appeler à rejoindre le mouvement du 5 décembre. Un risque de convergence des luttes qui pourrait annoncer un décembre noir pour Macron et la France.

 

Face au risque de coagulation des mécontentements, alors que se profile une grève reconductible dans les transports, et que les gilets jaunes s’apprêtent à sortir des bosquets proches des ronds-points, le chef de l’État semble dégainer dare-dare la carte de crédit. Crédit gratuit même, puisque les taux d’intérêt sont toujours au plus bas, que le seuil européen de déficit public, qui ne saurait dépasser 3 % du PIB, n’intéresse plus guère que l’Allemagne et quelques pays scandinaves (trop ?) vertueux. De toute façon, mieux vaut un investissement massif aujourd’hui qu’un investissement hyper massif demain, sous la pression d’une crise sociale qui pourrait, comme au plus fort du mouvement des gilets jaunes, devenir politique et coûter beaucoup plus au final.

Emmanuel Macron a retenu la leçon jaune. Il a mis fin à la mauvaise variante de son fameux cocktail « en même temps » : une base de verticalité jupitérienne avec deux (gros) doigts de petites phrases provocantes et vexatoires. Le chef de l’État a compris que le mépris était la pire réponse à apporter à des revendications sociales, fussent-elles aussi extravagantes et dangereuses que celles portées par les gillets jaunes les plus radicaux.

Au risque de se « chiraquiser » ou de reporter les vraies réformes à un éventuel second mandat, Emmanuel Macron écoute, discute, parfois recule. Est-ce la patte de l’équipe partiellement renouvelée, notamment avec Joseph Zimet à la communication, qui l’entoure depuis l’Acte 2 de son quinquennat ?

 Mais s’agissant de l’hôpital, qui concerne chacun de nous, il n’y a pas vraiment matière à débat ni à reculade. Au contraire, il faut avancer, et vite, car la situation de nos hôpitaux (d’aucuns diraient aussi de notre police, notre justice, nos écoles et universités, etc.) ne cesse de se dégrader, au point de mettre le patient en danger.

Comment en est-on arrivé là ? Gestion calamiteuse de la santé publique (et donc responsabilité des gouvernements successifs) ? Responsabilité des directeurs d’hôpitaux et des DRH, car certains établissements s’en sortent mieux que d’autres ? Conséquences des 35 heures ? Il y a de tout cela, sans aucun doute.

Mais posons tout de de même la question qui fâche : les personnels qui se plaignent ont-ils toujours et systématiquement raison ? Dans certains services, en particulier aux urgences, les conditions de travail sont effectivement indignes d’un pays développé. D’autres acteurs de la santé sont comme oubliés, délaissés, par exemple les infirmiers des blocs opératoires.

La réalité est que certains services fonctionnent bien, sans trop de stress, et dans le cadre d’une politique intelligente de ressources humaines. Les conditions de travail ne sont pas toujours si dramatiques. Mais lorsqu’elles le sont, elles ne le sont pas à moitié !

Cette réserve mise à part, il y a effectivement urgence à agir pour que l’hôpital français ne finisse pas par ressembler à un dispensaire de Calcutta, sans Mère Teresa ! L’argent, donc : le nerf de la guerre. Mais cela ne saurait suffire, car les causes évoquées plus haut sont bien réelles. Sans une réforme de l’organisation hospitalière et du management (un gros mot dans la fonction publique), on pourrait déverser 10 milliards que cela s’avérerait rapidement insuffisant.

Priorité aux urgences, donc, auxquelles Emmanuel Macron pourrait ajouter les rémunérations pour rendre à nouveau l’hôpital attractif pour les professionnels de santé, et « l’appareil médical », un concept qu’Agnès Buzyn devra préciser, car outre les équipements de pointe, ce sont de plus en plus souvent les fournitures de base qui semblent être rationnées. Tout cela coûtera fort cher et sera étalé sur plusieurs années, comme l’a rappelé le chef de l’État, non sans souligner que la « gouvernance » de l’hôpital devait être améliorée, tout comme le « système d’accueil » des patients.

À tort ou à raison, les Français sont de plus en plus exigeants : plus d’États, plus de services publics, plus de prestations, plus de santé, mais moins d’impôts, de taxes, de cotisations… Les syndicats (surtout ceux qui défendent les injustifiables régimes spéciaux) essayent même de leur faire croire qu’ils pourront maintenir leur niveau de pension de retraite sans travailler plus, même s’ils vivent jusqu’à 120 ans !

Précisément, l’allongement de l’espérance de vie, si possible en bonne santé, est en partie conditionnée par l’accès aux soins et à leur qualité. Le nombre de professionnels de santé est logiquement amené à augmenter significativement, alors que pourtant il tend à diminuer, en particulier dans les « déserts médicaux » qui eux s’étendent. Plus de personnels avec de meilleurs salaires, plus d’équipements, plus de médicaments nouveaux, eux-mêmes de plus en plus chers… N’est-ce pas la quadrature du cercle ?

Comment en sortir ? Comment s’en sortir ? Le candidat Emmanuel Macron avait déjà mis en exergue l’importance de la prévention. C’est là qu’il faudra agir, notamment par la promotion (peut-être un peu forcée !) d’une meilleure hygiène de vie, par le diagnostic précoce et le télédiagnostic grâce au développement des outils connectés et de l’intelligence artificielle. Peut-être faudra-t-il envisager de toucher à ce pilier de la sécurité sociale qu’est l’égalité de tous devant la prise en charge, égalité qui est déjà grignotée par le déremboursement de certains médicaments et l’importance croissante des mutuelles et assurances complémentaires privées. Pour éviter la généralisation d’une médecine à deux vitesses, pourrait-on envisager qu’à partir d’un certain niveau de rémunération, la Sécurité sociale ne prenne pas en charge la « bobologie » (consultation d’un généraliste, médicaments usuels, kiné…). Quoi qu’il en soit, on ne se soignera pas toujours gratis !

 

Michel Taube

Directeur de la publication