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10H16 - jeudi 21 novembre 2019

« Qu’ils s’en aillent tous ! »… Oui, mais lesquels ? La chronique de Jean-René Garcia

 

« Que se vayan todos !» ou « Qu’ils s’en aillent tous ! » en français, est une expression utilisée depuis une dizaine d’années contre les dirigeants politiques généralement conservateurs dans les démocraties en Amérique latine. Elle serait l’expression dans certaines manifestations populaires d’une volonté de changement total des dirigeants de la classe politique au pouvoir. Au-delà, il s’agirait aussi avec cette phrase d’inventer un système politique donnant un accès plus direct du peuple au processus de décision politique.

Cette expression peut nous rappeler ce que faisait dire le philosophe Louis Althusser à Montesquieu dans son livre Montesquieu. La politique et l’histoire : « bien faire n’est pas faire le bien ». En effet, que cela soit en Amérique latine ou ailleurs, le mode de sélection par les citoyens des dirigeants politiques fait de plus en plus débat. Démocratie représentative ? Démocratie directe ? Mécanisme de démocratie directe dans le système de représentation politique ? Ces options sont débattues tant par les hommes politiques que par les chercheurs ou les peuples.

A ce titre, nous souhaiterions rappeler une anecdote que raconte Nicolas Machiavel dans son ouvrage Discours sur la première décade de Tite-Live. L’écrivain florentin raconte que lorsque Pacuvius Calavius occupait la magistrature suprême à Capoue en Italie en 216 avant J-C, et ce après la défaite des romains devant Hannibal, il fit le dessein de réconcilier la plèbe avec la noblesse. Il réunit donc les sénateurs et leur parla de la haine du peuple envers eux. Les sénateurs étaient donc en danger d’être livrés à Hannibal et tués. Pacuvius eut l’idée d’enfermer les sénateurs dans le palais et d’en appeler à la plèbe pour connaître le châtiment qu’elle voulait leur réserver. Mais il prévint la plèbe que si elle décidait de tuer les anciens sénateurs, il fallait aussi en créer de nouveaux. Il mit donc dans une bourse, les noms de tous les sénateurs et dit au peuple qu’il les ferait mourir l’un après l’autre lorsqu’on leur aurait trouvé un successeur. Après avoir commencé à extraire un nom de sénateur de la bourse, une grande clameur se leva, car il était connu pour son arrogance et sa cruauté. Cependant lorsque Pacuvius demanda de le remplacer, toute l’assemblée s’apaisa et les clameurs de rage cessèrent. Puis, le nom d’un plébéien fut prononcé pour remplacer le sénateur. En entendant le nom du plébéien proposé, les uns commencèrent à siffler, les autres à rire, d’autres encore à en dire du mal. Le processus continua ainsi et tour à tour, tous ceux qui furent cités furent jugés indignes de la charge sénatoriale. C’est alors que Pacuvius dit : « Puisque vous jugez que cette ville va mal sans le Sénat et que vous ne vous accordez pas pour remplacer les anciens sénateurs, je pense qu’il est bon que vous vous réconciliiez. En effet, la peur qu’ont éprouvée les sénateurs les aura totalement intimidés que l’humanité que vous cherchiez ailleurs, vous la trouverez auprès d’eux. »

Le problème évoqué par Machiavel et l’anecdote de Pacuvius, même si certains spécialistes pensent qu’elle fut totalement inventée par l’auteur du Prince, n’en demeure pas moins une leçon en matière de philosophie politique. « Qu’ils s’en aillent tous ! » peut-être, mais pour les remplacer par qui ? Et comment ? Cela reste semble-t-il encore de nos jours un débat permanent.

Alors, peut-on espérer comme Pacuvius que « l’humanité » peut encore se trouver dans la classe politique en Amérique latine ou ailleurs ? La question reste posée.


Jean-René Garcia

Directeur de programme au Collège international de philosophie
Chercheur associé HDR, IDPS – Université Paris 13

 

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