Le secret médical est à la fois déontologique et juridique. Depuis environ 300 ans avant Jésus-Christ, il s’impose au médecin et est transcrit dans son Code de déontologie, mais toujours dans les limites fixées par la loi, à savoir le Code de la Santé publique et surtout le Code pénal.
S’agissant des mineurs, le Code de l’action sociale et des familles oblige tous ceux qui participent à la mission de protection de l’enfance, médecins compris, de transmettre une « information préoccupante » au Conseil départemental ou un signalement au procureur de la République, selon le degré de gravité et d’urgence. Mais d’une part, le non-respect de ces obligations n’est pas expressément sanctionné, et d’autre part, le signalement n’est pas dans la culture du médecin. Dans les hôpitaux, il n’est pas rare que le médecin subodorant des sévices sur mineur charge l’assistant de service social de procéder au signalement.
Pour lutter contre les féminicides, les pouvoirs publics envisagent de lever le secret médical, une initiative fort controversée. En réalité, c’est déjà partiellement le cas, comme nous allons le voir. Reste à savoir si cette levée doit être obligatoire, sans même obtenir le consentement de la victime voire sans l’en informer, ou au contraire, si elle doit rester à la libre appréciation du praticien.
Les cas de levée obligatoire du secret professionnel sont extrêmement rares, hormis la protection de l’enfance que nous avons évoquée, la fraude fiscale et le blanchiment (déclaration de soupçon à la charge des banquiers, notaires, experts-comptables, avocats…), ou certaines enquêtes judiciaires.
C’est principalement l’obligation d’assister une personne en péril, directement ou en provoquant un secours, qui s’impose à tout citoyen, sans considération de sa profession et de sa déontologie. L’article 223-6 du Code pénal sanctionne lourdement (du moins en théorie) la non-assistance à personne en péril : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, et davantage si la victime est mineure de quinze ans. Sauf que le péril n’est pas le danger. Il n’est pas une hypothèse, mais une certitude. Faut-il poursuivre tous les passants insensibles au sort d’un sans-abri allongé dans la rue ? Faut-il poursuivre le médecin qui ne signale pas immédiatement la violence conjugale qu’il n’a pas constatée, puisqu’il n’était pas présent au moment des faits ?
Plusieurs hypothèses de levée facultative du secret professionnel figurent à l’article 226-14 du Code pénal, dont l’une concerne spécialement les professionnels de santé (médecin, mais aussi kiné, psychologue, infirmier, opticien…) : le secret peut être levé pour « les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire ».
Seule la minorité de la victime ou le fait qu’elle soit en situation d’incapacité autorisent (et non obligent) le professionnel à effectuer un signalement sans son consentement. Or cette notion d’incapacité est trop restrictive. En droit, l’incapacité renvoie à la notion de handicap ou à celle de majeur protégé (sous tutelle, curatelle…). Il serait opportun d’y ajouter les personnes vulnérables, éventuellement en précisant « telles que… », ce qui permettrait de désigner directement les victimes de violence conjugale, au sens large du terme.
Immunité protectrice
Dernier point important s’agissant de cet article 226-14 : en novembre 2015, son dernier alinéa a étendu l’immunité du signalant : « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi ». Hors mauvaise fois caractérisée, le médecin ne risque ni les foudres du Conseil de l’ordre, ni une action civile en dommages et intérêts, ni des poursuites pénales, non seulement pour violation du secret professionnel, mais pour tout autre motif, comme la dénonciation calomnieuse.
Aller plus loin en rendant le signalement obligatoire, même contre l’avis de la victime, au motif que toute femme victime de violences serait considérée en péril serait une évolution considérable du droit et du secret médical. Peut-être une boîte de Pandore que l’on ouvrirait. N’en déplaise au gouvernement, ce n’est pas demain que toutes les victimes pourront immédiatement être prises en charge, obtenir un logement ou l’éloignement du compagnon violent. Augmenter les hypothèses de signalement doit aller de pair avec une prise en charge immédiate de la victime. Nous n’en sommes pas là.
Il faut simplifier la coopération entre professionnels
Enfin, une autre modification législative serait la bienvenue : en matière de violence sur mineurs plus encore que sur les femmes, on constate et on déplore le défaut de communication entre les différents interlocuteurs. Le secret professionnel, souvent enseigné comme un dogme aux futurs professionnels, finit par se retourner contre les personnes vulnérables qu’il est censé protéger. Il faut dire que « la loi santé » du 26 janvier 2016 et ses décrets ont mis en place un mécanisme de partage d’informations complexe et difficile à appliquer, notamment entre les professionnels de santé et les autres intervenants, en particulier les travailleurs sociaux. Dans certaines hypothèses, le consentement (au partage d’informations) du patient, en l’espèce la victime de violences conjugales, est présumé. Dans d’autres, il faut recueillir son autorisation éclairée. Il serait utile de simplifier ce charabia juridique et administratif, et faire confiance à tous les professionnels qui sont juridiquement soumis au secret ou à une obligation de confidentialité. Sauf opposition légitime de la personne (hors situation de péril), la coopération entre les services doit être simplifiée. C’est si évident que les pouvoirs publics ont fait le contraire en 2016 !
Raymond Taube
Directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique, il est Rédacteur en chef d’Opinion Internationale