Au début, il y eut les gilets jaunes. (Re)vinrent ensuite les syndicats. Mais les Français eurent le dernier mot… Va-t-on vers une grève générale à partir du 5 décembre ? Cette colère française mettra-t-elle à nouveau notre pays aux abois et en panne ?
Les locomotives de la SNCF et de la RATP tractent les wagons de la fronde contre la réforme des retraites. Les syndicats refusent d’admettre qu’ils sont des privilégiés (seuls les riches et les élites le seraient à leurs yeux). Dans un réflexe pavlovien, ils prétextent de leurs insoutenables conditions de travail pour exiger que rien ne change, ni pour eux, ni pour leur descendance !
Dans les wagons de la contestation, la cohorte des bénéficiaires de régimes spéciaux se bouscule, cherchant tous à occuper les places aux fenêtres, pour qu’on les voit bien.
Le mouvement contre la réforme des retraites était-il inéluctable ? On n’est pas Français pour rien ! La colère, ça nous connait. Rappelez-vous ce petit village gaulois qui résistait encore et toujours à l’envahisseur. À quoi résistons-nous aujourd’hui ? Au capitalisme ? Aux inégalités ? À Emmanuel Macron ? Nous sommes un peuple de râleurs congénitaux marqués par un corporatisme – et donc un égoïsme – qui se retourne parfois contre nous.
S’il n’y avait eu les gilets jaunes, il y aurait tout de même eu un 5 décembre de la contestation. Il n’empêche que l’enchaînement des mouvements, et le fait que les syndicats, écartés du premier, soient le fer de lance du second, donne le sentiment d’un scénario dont la majorité (qui ne manifeste pas et ne fait pas grève) se demande si elle en est l’acteur ou le spectateur.
Si les gilets jaunes furent l’acte I de cette colère très française, la fronde contre la réforme des retraites en est l’acte II. Quelle revanche pour les syndicats ! Une double revanche, s’agissant des syndicats de la SNCF, car la réforme du statut de l’entreprise ferroviaire leur a été imposée en 2018 par l’exécutif.
Décembre sera donc le mois de la colère syndicale, de la colère de tous les corporatismes. La réforme des retraites, dont le projet n’est même pas encore rédigé, est décrétée par avance comme toxique par les syndicats. Pas question de toucher au montant des pensions, ni à l’âge de la retraite, ni à la durée de cotisation. Y’a qu’à faire payer les entreprises et les riches, encore ! On n’est pas des Allemands, avec leur horrible système uniformisé et un âge de départ à la retraite compris entre 65 et 67 ans pour une pension à taux plein (et outre-Rhin, on évoque de passer à 69 ans) ! Les damnés de la SNCF sont les sacrifiés de la Nation et leur souffrance au travail est démontrée par des arrêts maladie et des jours de grève sans commune mesure avec ceux des autres travailleurs.
Bien sûr, la SNCF et, à Paris, la RATP sont en première ligne. Leurs avantages hérités d’une époque révolue sont devenus un boulet budgétaire. Dans son rapport de juillet dernier, la Cour des comptes révèle les écarts énormes au bénéficie de ces agents qui travaillent moins que les autres.
Après tout, on peut comprendre que l’on puisse s’accrocher à ses avantages, fussent-ils illégitimes et injustifiables, quitte à nuire à tous les Français, ceux qui triment, qui sont à la merci du chômage, qui ont des salaires – et des retraites – parfois misérables. On peut comprendre, mais on peut aussi blâmer ! Et que l’on ne vienne pas nous reprocher d’opposer les uns aux autres. Ce sont eux, les privilégiés (de la SNCF au premier chef) qui se singularisent en exigeant que leurs avantages soient financés par le contribuable, sans lequel leur entreprise serait en faillite depuis longtemps.
42 colères plus ou moins avouables
Mais s’il n’y avait que les cheminots : on dénombre donc 42 régimes spéciaux ! Les fonctionnaires, les avocats, les clercs de notaire, les marins, les mineurs, les salariés des industries électriques (qu’il est bon de travailler à l’EDF !), les parlementaires, les sociétaires de la Comédie française (quelle comédie !)… Certains, comme celui des commerçants, ne sont pas à l’avantage des cotisants, mais au-delà du débat corporatiste, c’est la complexité et la nature discriminatoire du système de retraite qui légitiment une réforme en profondeur, la retraite par points étant logiquement porteuse de simplicité et d’équité.
Toutes les colères veulent s’agréger à la grève reconductible des 5, 6, 7, 8, 9… 24… 31 décembre. Colère française acte II, avons-nous dit. Puisque la réforme des retraites est la cause ou le prétexte à ce mouvement, les Français qui le soutiennent devraient, au moins cette fois, songer au coup d’après : sans réforme, les pensions de retraite finiraient par ne plus être payées, sauf à lever un lourd impôt qui grèverait le pouvoir d’achat de tous. C’est l’effondrement du système qui nous guette. Il y a quelques mois, les Français semblaient le comprendre. Et puis les pouvoirs publics ont cru bon tergiverser, dire que rien n’était figé, laisser le doute et la méfiance s’installer, notamment en ce qui concerne la fameuse valeur du point.
Sous l’égide de Jean-Paul Delevoye, le Haut-commissariat aux retraites a pourtant fait montre de beaucoup de pédagogie. Emmanuel Macron a même cru bon reconduire la méthode du Grand débat, alors que finalement, il n’y a pas grand-chose à débattre, du moins pas l’essentiel : il faudra travailler plus et abolir les régimes spéciaux.
Le drame, plus pour les Français que pour le gouvernement, serait que prévale l’état d’esprit de 1995, avec un soutien massif aux grévistes, quand bien même en souffriraient-ils durant des semaines : on appelle cela la grève par procuration, dont ils paieraient le prix, le jour où les caisses (de retraite) seront vides. À court terme, tant pis pour le pays si les ménagères de moins de cinquante ans et les touristes désertent les magasins à l’approche des fêtes de Noël. Amazon se frotte déjà les mains !
Pas d’alternative
Si la réforme devait être abandonnée, une alternative logique et légitime à la suppression des régimes spéciaux pourrait être l’inverse : la suppression du régime général. La retraite serait l’affaire des branches professionnelles, sans intervention de l’État, qui ne renflouerait plus les caisses, notamment celles de la SNCF, qui coûte déjà 15 milliards d’euros aux Français, soit 905 € par foyer fiscal (chiffres 2018 de la Cour des comptes), et ce, malgré des billets au coût exorbitant.
Mais Jean-Paul Develoye a raison de rappeler les fondamentaux :dans son livre « Indignez-vous », Stéphane Hessel en appelait à un retour à l’esprit et au projet du Conseil National de la Résistance qui, en 1944, avait jeté les bases de cette nouvelle France dans laquelle nous avons vécu pendant 70 ans. Or le Haut-Commissaire aux retraites et membre du gouvernement fait souvent référence au même CNR pour expliquer que le système de retraite a été détourné de sa vocation universelle au départ pour privilégier des caisses professionnelles devenues franchement corporatistes.
Mais Emmanuel Macron ne peut reculer : en étalant dans la durée la négociation et l’écoute sur ce dossier épineux, le chef de l’Etat aura fait de la retraite l’épine dorsale de sa volonté de réformer la France. Céder serait rentrer dans le rang de ses prédécesseurs qui, souvent, ont plus gouverné que réformé notre pays.
Décembre sera le mois de vérité du quinquennat social d’Emmanuel Macron.
Michel Taube