Les élections du 12 décembre au Royaume-Uni signeront-elles la fin de la saga du Brexit ? Il reviendra alors à Boris Johnson de sortir son pays de l’Union Européenne, lui dont sa propre famille, arrière-grand-père et père, avait des relations si particulières avec notre Continent et ses institutions.
Jeudi 12 décembre prochain, les Britanniques seront appelés aux urnes et nous devrions être fixés sur les conditions et le calendrier de sortie du Royaume-Uni de l’Europe. Au vu du dernier débat télévisé qui a opposé Boris Johnson, premier ministre conservateur et « Brexiter », à Jeremy Corbyn, travailliste et « Remainer » probable, la lecture de la presse fait apparaître que Boris Jonhson garderait quatre à cinq points d’avance sur son concurrent. Classiquement, les deux adversaires se sont invectivés à coups d’expressions manichéennes du type « Get Brexit done » (faisons le Brexit) pour l’un et « NHS for sale » (le système de santé à vendre) pour l’autre (expression en rapport avec le fait que Jeremy Corbyn accuse son adversaire de vouloir le « vendre » aux firmes pharmaceutiques américaines).
Winston Churchill
Si le Royaume-Uni n’en est pas à sa première tentative de « disruption » à l’égard de l’Europe (c’est en 1534 que le roi d’Angleterre, Henri VIII, promulgua l’Acte de suprématie, fondation de l’Eglise anglicane en réaction à son excommunication par Rome suite à son divorce d’avec Catherine d’Aragon), on ne peut que constater qu’avec Boris Johnson culmine un irrépressible goût pour l’indépendance. Vue la personnalité de l’homme (opportuniste, colérique, gaffeur à ses heures mais, à coup sûr, fin politique, capable de flairer les situations difficiles), il n’est pas étonnant qu’il voue une passion sans limite à son modèle, Winston Churchill, au point d’avoir sous-titré la biographie qu’il lui consacra : « Winston. Comment un seul homme a fait l’histoire[1] ». « Quand j’étais petit, c’était une évidence : Churchill était le plus grand homme d’Etat auquel la Grande-Bretagne avait donné naissance », écrit-il en introduction de son livre. Se rêve-t-il d’un destin aussi glorieux que celui du « Vieux lion », qui, à sa mort en 1953, eut droit à des obsèques nationales ? Certes, le Brexit ne peut en rien être comparé aux conditions historiques qui firent que Churchill devint un immense homme d’Etat, mais peut-être faut-il rechercher dans sa propre histoire familiale cet atavisme de Johnson qui le pousse à changer la donne en proclamant « Get Brexit done » !
Empire Ottoman
Alexander Boris de Pfeffel Johnson, dit « Boris Johnson », naquit en 1964 à New York (il renoncera à sa nationalité américaine en 2016, ce qui aurait évidemment fourni un argument de choix à ses adversaires politiques qui l’accusent déjà de pactiser avec Donald Trump…[2]). Outre ses indéniables talents de polémiste, rôdés pendant ses années de journaliste accrédité à Bruxelles pour les tabloïds britanniques) qui l’ont rendu si singulier au point de régulièrement choquer l’opinion publique, ce qui le distingue tient également à sa lignée familiale. Son arrière-grand-père, du côté paternel, portait le patronyme d’Ali Kemal Bey[3] (1867-1922). Celui-ci fut une personnalité de l’Empire Ottoman. Tour à tour journaliste puis ministre du dernier sultan Mehmed VI (1861-1926), il fut connu pour être un libéral-progressiste, un fervent patriote, tout en revendiquant son attachement à l’Europe. « Nul n’est parfait… », doit sans doute penser son arrière-petit-fils, aujourd’hui à la manœuvre pour détricoter le rattachement de son pays à l’Union Européenne. Décidant un temps de s’exiler en Angleterre compte tenu de la percée des « Jeunes Turcs », mouvement politique nationaliste, son retour dans l’Empire Ottoman marqua sa chute tragique quand il fut enlevé à Istanbul et battu à mort sur ordre d’un général proche de celui qui devint, en 1923, le « père de la nation » turque, Mustafa Kemal Atatürk. Peut-être faut-il voir le signe d’une vengeance personnelle dans le fait qu’en 2016, Boris Johnson remporta 1000 livres sterling à l’occasion d’un concours de poésie moquant l’actuel président Turc Erdogan[4].
Bureaucratie bruxelloise
Est-ce le père de Boris Johnson, Stanley, qui légua à son fils, ancien maire de Londres et actuel Premier ministre de sa Gracieuse Majesté, ce sentiment que son pays n’avait rien à voir avec cette Europe bureaucratique ? Peut-être bien comme en témoigne sa connaissance des rouages de la Commission quand, en avril 1973, quelques semaines après l’adhésion du Royaume-Uni, il occupa le poste de responsable de la division des risques environnementaux. Si celui qui sera par la suite élu député européen conservateur dit « aimer Bruxelles, la capitale belge mais non la bureaucratie européenne pour ce qu’elle représente[5] », il s’acharnera plusieurs années contre cette dernière en tant que correspondant du Daily Telegraph. Ses piques journalistiques à l’encontre de Bruxelles devant certainement ravir le Premier ministre d’alors, une certaine Margaret Thatcher, qui ne portait pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la Commission Européenne d’alors dans son cœur.
Interrogé en septembre 2015 au micro de France Inter[6] à l’occasion de la sortie de sa biographie sur Churchill, Boris Johnson évoqua ce que représente pour lui cette figure historique et ce qui motiva l’écriture de son livre : « Churchill a eu une très grande victoire sur soi-même car quand il était jeune il était très faible, très mince et il est devenu Churchill par ses propres efforts. Je trouvais que c’était une histoire psychologique absolument fascinante. Après cette victoire sur lui-même, il pouvait faire n’importe quoi ». Il y a quelques jours, en visite à Manchester, et à la veille de son débat contre Jeremy Corbin, on a vu Boris Johnson monter sur un ring[7], sans doute pour faire la démonstration qu’il était d’humeur combative, comme a pu l’être son héros politique, maintes fois défiant à l’égard des dirigeants européens de l’époque. S’il devait remporter cette victoire au lendemain du 12 décembre prochain, il sera fascinant d’observer la façon avec laquelle il sortira son pays des institutions européennes, lui, Boris Johnson, en tant qu’arrière-petit-fils d’un europhile convaincu et fils d’un eurosceptique déterminé.
Philippe Boyer
Philippe Boyer est un bloggeur reconnu en matière de numérique et d’innovation. Ses écrits paraissent régulièrement dans la presse économique et digitale : La Tribune, Les Echos, Forbes France, Opinion Internationale…
Conférencier et écrivain, Philippe Boyer est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les thématiques du numérique : « Ville connectée- vies transformées – Notre prochaine utopie ? » (2015) et « Nos réalités augmentées. Ces 0 et ces 1 qui envahissent nos vies » (2017). Il a publié son premier roman: « God save the tweet », paru aux Editions Kawa (mars 2019). Un roman qui met en scène la Reine Elizabeth II devenue éprise de numérique et tout particulièrement de Twitter.
Philippe Boyer est actuellement Directeur de l’innovation d’un groupe immobilier européen. Il est diplômé de Sciences-Po Aix et de l’EM Lyon (MBA), et a exercé diverses fonctions communication, marketing et développement dans des groupes liés à l’immobilier et aux services urbains.
[1] https://www.editions-stock.fr/livres/essais-documents/winston-9782234079663
[2] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/02/08/97001-20170208FILWWW00336-boris-johnson-n-a-plus-la-nationalite-americaine.php
[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Ali_Kemal
[4] https://www.theguardian.com/politics/2016/may/19/boris-johnson-wins-most-offensive-erdogan-poem-competition
[5] https://www.telegraph.co.uk/travel/destinations/europe/belgium/brussels/articles/stanley-johnson-why-i-remain-a-fan-of-brussels/
[6] https://www.franceinter.fr/emissions/le-7-9/le-7-9-03-septembre-2015
[7] https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/12/01/boris-johnson-sur-un-ring-de-boxe-c-est-peut-etre-un-detail-pour-vous_6021229_4500055.html