Deuxième édito d’une trilogie française : 1. La haine. 2. Le déclin. 3. L’espoir.
Si la contestation sociale est un thermomètre du déclin, alors la France va très mal et les Français sont un peuple en souffrance.
S’il y a déclin, il est d’abord économique, non pas seulement dans les classements internationaux, mais aussi et surtout dans le quotidien des Français. Si les « riches » sont de plus en plus nombreux et de plus en plus riches, la classe moyenne est, en effet, en voie de paupérisation. Le déclin engendre la pauvreté, parfois la misère. À commencer par celle des chômeurs, ceux de longue durée en particulier. Leur misère n’est pas seulement financière. Ils survivent notamment grâce aux aides sociales dont certains considèrent qu’elles découragent le retour à l’emploi. Leur misère et aussi personnelle, familiale, psychologique. On a beau s’acharner à détruire la valeur travail et instiller dans les esprits des travailleurs qu’ils sont des esclaves du capitalisme, le travail demeure la meilleure activité d’épanouissement individuel. Le chômage est une misère pour la plupart des chômeurs, même pour ceux qui s’y complaisent. Le 7 décembre, la CGT avait organisé une manifestation contre le chômage non loin de la gare de Paris Montparnasse. La mobilisation ridicule est révélatrice de l’indifférence que manifeste ce syndicat au sort des chômeurs. Il est utile de le dire et de le rappeler, car la CGT affirme bloquer la France au nom de l’intérêt général. Baliverne.
La misère, la vraie, est aussi celle des sans-abris que l’on ne sait héberger (Emmanuel Macron, non sans esthétisme, rêvait d’en finir avec eux), des migrants que l’on ne veut héberger, des paysans serfs de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaire, des smicards parisiens obligés d’habiter en lointaine banlieue, et dont le pouvoir d’achat est inférieur à celui des provinciaux qui les considèrent comme des riches, des personnes dépendantes, des malades isolés… Et bien sûr des retraités, ceux en particulier qui sont au minimum vieillesse et qui ne s’en sortent pas (tout le monde n’est pas agent RATP !). Dans la manifestation parisienne du 10 décembre, Jean-Luc Mélenchon évoquait la misère promise aux futurs retraités, par la faute du bureaucrate Edouard Philippe et d’un Emmanuel Macron déconnecté du monde réel. Lui est en tout cas bien déconnecté de la réalité des chiffres. « Y’a qu’à… », comme d’habitude !
Le seul critère de pouvoir d’achat ne suffit à évaluer la véritable situation de la France et des Français. Dans les années 1960, il était inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. Mais chaque génération avait la conviction qu’elle s’en sortirait mieux que la précédente. Le déclin, c’est aussi l’absence de perspective, d’espoir. C’est le pessimisme et parfois la haine (voir le premier édito de la trilogie).
La crise de la réforme des retraites est l’occasion pour tous d’enfoncer une porte grande ouverte : sans chômage, équilibrer les comptes serait bien plus facile. Mais alors pourquoi la France est-elle le seul pays européen à souffrir d’un chômage endémique, alors qu’elle a tant d’atouts (voir le prochain édito demain). La formation en est sans doute une cause fondamentale : quelle erreur a été de vouloir offrir (presque au sens propre du terme) le bac à tous, un bac dévalorisé qui conduit à l’étouffement des universités et au chômage, alors que l’apprentissage garantit un emploi souvent bien rémunéré.
Notre représentation syndicale porte aussi une large responsabilité dans ce fiasco : on doit à la CGT, encore elle, plus de fermetures d’usines que d’emplois sauvés. Par intransigeance absurde, par dogmatisme, par combat politique ou intérêts carriéristes d’un leader. À quand une réforme des partenaires sociaux afin de faire émerger des syndicats apolitiques et représentatifs, véritables prestataires de services au bénéfice de leurs adhérents, et non annexes d’un parti politique (rappelons que nombre des adhérents de la CGT voteraient désormais pour le Rassemblement national… n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis) ?
Il ne devrait pas y avoir de pauvres dans ce pays qui consacre environ 56 % de sa richesse au secteur public. Mais comment est dépensé cet argent. Notre organisation politique et notre administration sont de véritables armées mexicaines. Trop d’élus, trop de fonctionnaires là où ils sont inutiles et pas assez là où ils sont indispensables (dans les fonctions régaliennes, l’éducation et la santé). Une cohorte de petits chefs qui ne font pas confiance à leurs subordonnées, une culture du tapis rouge où le moindre petit galonné du pouvoir, même local, est tenté de se prendre pour un homme d’État. Mais comment réformer l’État, abroger le statut des fonctionnaires, restreindre la grève dans les transports publics, quand il ne semble même pas possible de supprimer les régimes spéciaux de retraite ?
Emmanuel Macron aurait dû prendre le taureau de l’État par les cornes dès son arrivée au pouvoir et le mammouth aurait dégraissé plus rapidement, libérant des possibilités d’investissement et d’action sociale là où sont véritablement les besoins.
Malgré leur déprime générale, les Français ne sont pas (encore) globalement un peuple miséreux. Mais le sentiment général est que la France s’appauvrit, que les inégalités s’accroissent malgré l’importante redistribution, que les services publics se dégradent… Que la France est irréformable et qu’elle décline.
Bref, les Français ne sont pas heureux ! Est-il symptomatique que les suicides et la dépendance aux médicaments soient plus importants que chez nos voisins… La France est-elle si malade ?
Et pourtant… Sans vouloir froisser ni les athées ni les monothéistes, la France est le pays béni des dieux. L’espoir pourrait donc renaître ? À voir et à lire dans le troisième et dernier volet de notre trilogie sur cette colère française.
Michel Taube
Demain : l’espoir
Hier : la haine : https://www.opinion-internationale.com/2019/12/10/une-colere-francaise-1-la-haine-ledito-de-michel-taube_68867.html