Martin Fayulu est le président élu par le peuple congolais le 30 décembre 2018. Son élection achevait un bras de fer de plusieurs années entre Joseph Kabila, président sortant après dix-huit ans de pouvoir, et la société civile, notamment l’Eglise catholique.
Président élu donc, jusqu’à ce que le clan Kabila, qui finalement n’avait consenti que formellement à céder le pouvoir, n’inverse les résultats de la présidentielle et propulse Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat.
Presque un an après cette confiscation démocratique, Martin Fayulu revient d’une tournée de deux mois en Europe : en Belgique, en Suisse, en Grande-Bretagne, en France, le président élu a rencontré la diaspora de RDC et, discrètement, les autorités notamment françaises.
De retour à Kinshasa dimanche 15 décembre, il a été accueilli par une foule nombreuse en liesse qui l’a conduit de l’aéroport au centre ville de la capitale.
Opinion Internationale publie un reportage photos de son retour et un entretien exclusif avec Martin Fayulu.
Michel Taube
Entretien avec Martin Fayulu : « Les Congolais doivent se réapproprier leur destin. Nous allons récupérer notre patrie. »
Monsieur le Président élu, quel bilan tirez-vous de votre tournée européenne ?
J’ai rencontré mes coreligionnaires dans huit villes européennes. J’ai beaucoup écouté et échangé sur l’avenir de la démocratie en RDC. J’ai présenté le plan de sortie de crise que j’ai mis sur la table et il a été très bien reçu.
La diaspora congolaise est droite dans ses bottes et réclame la vérité des urnes. Elle accuse Felix Tshisekedid’être la cause de la misère actuelle du Congo, elle réclame des institutions légitimes.
J’ai aussi rencontré des élus des Parlements et des décideurs clés français et européens qui gèrent les affaires africaines dans les pays visités : tout le monde est préoccupé par le chaos qui s’accroît au Congo.
Vous revenez à Kinshasa au lendemain du discours à la nation prononcé devant les députés par Felix Tshisekedi, président de la République en poste, et à quelques jours du premier anniversaire de votre élection volée.
Je reviens surtout avant la date anniversaire des élections. Mais puisque Felix Tshisekedi s’est adressé à la nation, je ne retiens qu’une chose de son discours et je le prends au mot : il souhaite que le procureur de la République regarde ce qui s’est passé dans les contentieux électoraux et que l’on poursuive ceux qui ont été corrompus, notamment les juges qui ont été complaisants avec le pouvoir sortant de l’époque. Ces investigations et ces poursuites éventuelles ne doivent pas se limiter aux élections législatives : elles doivent être étendues évidemment à l’élection présidentielle du 30 décembre 2018.
En effet, il faut qu’on sache exactement pourquoi la Commission électorale nationale indépendante, la CENI, n’a pas publié les résultats conformément à la loi qui exige que les résultats soient publiés bureau de vote par bureau de vote. Ceci sur la base des résultats compilés dans les centres locaux de compilation des votes. Le procès-verbal doit être dressé et posté par la commission électorale sur le site Internet qui était prévu à cet effet. Or cela n’a jamais été fait.
C’est un secret de polichinelle : Felix Tshisekedi a été nommé par Kabila suite aux résultats fabriqués par la commission électorale. Donc je prends au mot Felix Tshisekedi et je lui demande de faire toute la lumière sur cette élection tronquée.
Qu’attendez-vous de la communauté internationale à quelques jours de l’anniversaire de votre élection ?
J’attends qu’elle se ravise, qu’elle ne se contente pas de prendre note des faits imposés, comme elle le fait en Algérie contre l’intérêt du peuple algérien. En adoubant Felix Tshisekedi, la communauté internationale a contribué à envenimer la situation car elle subit elle aussi les incompétences du pouvoir en place.
Respecter le vote populaire est la condition de toute stabilité démocratique. En Grande-Bretagne, Boris Johnson a gagné les législatives parce qu’il a proposé que l’on respecte le vote souverain de 2016 sur la sortie de l’Union européenne. Eh bien, il doit en être de même en RDC.
Si les Occidentaux veulent de la stabilité dans ce pays de 85 millions d’habitants (110 en 2030) aux richesses innombrables, que les épidémies sanitaires reculent, que la gangrène islamiste n’arrive pas chez nous, eh bien il faut nous laisser revenir au pouvoir car tout le monde sait que c’est moi que le peuple congolais a élu président de la République le 30 décembre dernier. Seul un pouvoir légitime peut traiter ces problèmes.
Fin décembre 2018, un homme, une idée, un peuple se sont reconnus. Il est temps que le peuple souverain soit respecté et entendu. Les Congolais doivent se réapproprier leur destin. Nous allons récupérer notre patrie. C’est la condition du redressement du pays.
Propos recueillis par Michel Taube