Edito
07H00 - mardi 7 janvier 2020

Carlos Ghosn n’a qu’à réclamer un procès équitable en France ou aux Pays-Bas ! L’édito de Michel Taube

 

A la veille de sa conférence de presse à Beyrouth, attendue comme un show médiatique planétaire, on peut se demander si l’évasion de Carlos Ghosn du Japon est une fuite légitime ou un aveu de culpabilité.

« Carlos Ghosn n’est pas au-dessus des lois ». C’est le commentaire qu’inspira à Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, l’évasion de l’ancien patron de Renault, assigné à résidence au Japon. Elle ajouta qu’étant Français, le désormais fugitif a droit à la protection consulaire de la France, protection dont il n’a en réalité jamais trop bénéficié. Certes, à l’occasion de l’intronisation du nouvel Empereur, Nicolas Sarkozy a rencontré Carlos Ghosn à la demande d’Emmanuel Macron à la mi-novembre 2019. Mais l’ancien patron de Renault – Nissan devait se sentir bien seul face à une justice accusatrice.

Joseph EID – AFP

 

Carlos Ghosn a choisi le Liban plutôt que la France pour s’enfuir. Il semblerait que le Liban, contrairement à la France (?), ne l’avait jamais abandonné.

Au pays des gilets jaunes et de la CGT, un capitaliste richissime qui fraude est un pestiféré. Dimanche 5 janvier sur LCI, Philippe Martinez, ancien salarié de Renault, ne compatissait nullement sur son sort, l’accusant de « folie des grandeurs », d’avoir supprimé cent mille emplois sous son « règne » et de « ne pas être un honnête homme comme lui… et les journalistes présents ».

Ni les circonstances troubles dans lesquelles l’accusation a été poursuivie, vraisemblablement sur fond d’égo national de Japonais qui n’ont jamais accepté que le petit Renault franchouillard gobe l’ogre aux yeux bridés Nissan, ni la procédure pénale japonaise, archaïque et pas toujours en phase avec notre conception de l’État de droit et d’une justice équitable, n’ont ébranlé la conscience des Français. Le moindre touriste arrêté sur un aéroport étranger avec une cargaison de cannabis provoque l’émoi de la population, et parfois des interventions au sommet de l’État. Mais ce ne fut pas le cas de Carlos Ghosn, coupable sans être jugé.

Mais coupable de quoi, outre sa prospérité et le fait de l’avoir ostensiblement affiché ? Il est mis en cause au Japon pour abus de confiance aggravé. S’y ajoute une plainte déposée par le groupe Renault aux Pays-Bas, pour que lumière soit faite sur 11 millions d’euros de dépenses suspectes, et celle d’un actionnaire de Renault pour abus de bien sociaux et diffusion de fausses informations.

Nous l’avons écrit : le samouraï Ghosn aurait dû être soutenu davantage par la France. Mais maintenant qu’il est pleinement libre de préparer sa défense, pourquoi ne proposerait-il pas à la France de lui garantir un procès sur tous les chefs d’accusation qui lui sont reprochés ?

Carlos Ghosn devrait s’en expliquer, en France et aux Pays-Bas, où la Convention européenne des droits de l’Homme lui garantit un procès équitable. Au Japon, il était à la merci d’un procureur qui semblait en avoir fait une affaire personnelle, sous la pression d’intérêts économiques voire politique supérieurs, s’agissant du contrôle de Nissan. Dans le système judiciaire japonais, il semble bien difficile à la défense de faire valoir ses droits (les avocats de Ghosn considèrent que la présomption de culpabilité y est la règle), en particulier pour un étranger. Si l’on admire le Japon pour certains aspects de sa culture, c’est un euphémisme de considérer qu’il est l’un des pays les plus nationalistes de la planète.

Maintenant que l’ancien PDG de Renault a échappé à cette justice qu’il estime inéquitable, il lui faudrait accepter de rendre des comptes à la lumière des principes fondamentaux qui régissent la justice européenne. Car s’il demeurait caché au Liban (où d’autres poursuites sont intentées contre lui), il signerait aux yeux des Français un aveu de culpabilité déjà considéré comme acquis par les Japonais.

Carlos Ghosn n’a cessé de réclamer un procès équitable. Ce procès ne pourra se dérouler qu’en France ou aux Pays-Bas, sans quoi l’opinion européenne penserait que la première faute du Japon n’aura pas été de le poursuivre, mais de l’avoir laissé s’échapper.

 

Michel Taube

Directeur de la publication