Depuis maintenant plusieurs semaines, la grève menée contre la réforme des retraites impacte de manière très forte le quotidien de nombreux travailleurs. Pour éviter la galère du trajet quotidien, ceux qui le peuvent optent pour le télétravail. Mais, si rester chez soi quelques jours semble tout à fait pertinent dans ce contexte, cette solution est-elle réellement envisageable et surtout viable sur le long terme ? L’analyse de Rafaël de Lavergne, CEO de TOTEM.
Quand le télétravail se heurte à la pyramide de Maslow
Avec le développement des nouvelles technologies et outils numériques de collaboration à distance, le télétravail se généralise dans les secteurs du service. Nombreux sont aujourd’hui les salariés qui passent de 20 à 40 % de leur temps de travail hebdomadaire (soit de 1 à 2 jours par semaine) à la maison. Entre flexibilité, levier de motivation et indicateur de la bonne organisation de l’entreprise, les atouts du télétravail sont variés si tant est que les attentes et missions du collaborateur s’alignent. En revanche, peu, voire aucune entreprise n’offre actuellement la possibilité de recourir à cette alternative de manière permanente.
Même les plates-formes de mises en relation avec des freelances, qui plébiscitent pourtant le recours exclusif à ce modèle, disposent de bureaux physiques pour accueillir leurs propres salariés. Un paradoxe qui s’explique en réalité assez facilement, pour peu que l’on confronte le télétravail à la pyramide de Maslow.
Cette dernière considère en effet que la motivation d’un individu dans son travail est déterminée par la satisfaction de 5 besoins : physiologique, de sécurité, d’appartenance, d’estime de soi et de besoin de s’accomplir. Le télétravail remplit parfaitement les deux premiers. Chez soi, on se sent en sécurité et on peut combler facilement ses besoins physiologiques (dormir, manger…). En revanche, difficile dans une telle configuration de gravir les échelons plus élevés de la pyramide. Rappelons, comme Aristote en son temps, que « l’homme est un animal social ». Et si les systèmes de collaboration à distance se sont multipliés et améliorés ces dernières années, ils ne remplacent aucunement les interactions physiques pourtant fondamentales pour notre épanouissement, mais pas seulement…
La création d’un lien physique indissociable de l’engagement
Si le télétravail peut être envisagé pour des tâches d’exécution basiques ou répétitives, il se révèle souvent contre-productif dès lors que l’on développe une approche collaborative, créative ou de gestion de projet. Ne pas voir son interlocuteur, les mouvements de son visage et de son corps, entraîne en effet une grande déperdition d’informations.
Et c’est loin d’être le seul écueil lié au télétravail. Ainsi, en repartant du 3e échelon de la Pyramide de Maslow, le besoin d’appartenance, on comprend aisément que celui-ci soit difficile à combler à distance. Or, ce tissu relationnel est fondamental, notamment au début d’une collaboration, afin de créer de l’empathie avec ses collègues et de donner ainsi envie à chacun de s’investir. Faire des efforts pour des personnes avec lesquelles on n’a jamais échangé véritablement ou que l’on croise une fois dans l’année semble bien difficile… Quant à l’attachement à son entreprise, elle peut vite se rapprocher de zéro !
Sans parler de l’isolement qui pèse durablement sur le moral d’un salarié en télétravail. Ce n’est pas sans raison que plus de 50 % des freelances se rendent dans des espaces de coworking plutôt que de rester seuls chez eux. Si le télétravail est donc un bel outil de motivation quand il est possible d’y recourir un à deux jours par semaine, le généraliser à cinq jours impacte trop négativement le moral du salarié.
L’entreprise : le futur « home sweet home » ?
À trop vouloir mettre en avant les avantages du télétravail (flexibilité, souplesse dans son organisation, autonomie…), on oublie trop souvent de rappeler que l’entreprise, au-delà d’héberger des bureaux, est un lieu de sociabilité. De nombreux couples se sont rencontrés au travail et, bien souvent, une grande partie de notre tissu social en découle également.
Si le télétravail est si largement plébiscité par les salariés, c’est qu’ils ont l’impression, chez eux, de pouvoir enfin être eux-mêmes, sans devoir jouer un rôle social et, surtout, sans que personne ne les juge ! Bien souvent, la perception qu’à un individu de sa journée de télétravail est qu’elle lui coûte moins d’énergie. Pour modifier cette impression, l’entreprise doit favoriser la flexibilité au sein de son organisation, en laissant plus d’autonomie à ses salariés dans la gestion de leur temps et leur façon de mener leurs missions.
Le lieu de travail doit lui aussi évoluer, afin qu’une journée passée dans les locaux de l’entreprise soit aussi gratifiante que celle passée chez soi. Certaines sociétés, notamment les start-up, l’ont déjà bien compris. Elles mettent en place le flex office et s’organisent à la manière d’une maison, avec des espaces dévolus à des fonctions bien définies : des salles de réunions pour brainstormer, des niches pour passer ses appels ou s’isoler, des pièces pour se détendre, une cafétéria où se retrouver… Le mobilier suit la même tendance pour se rapprocher de la décoration d’un appartement particulier, à la fois design et confortable, propice à la convivialité.
Si son recours ponctuel est tout à fait souhaitable, généraliser le télétravail serait donc certainement une erreur. Cela reviendrait à ne plus envoyer son enfant à l’école, alors que celle-ci est aussi un lieu d’apprentissage social. De la même façon, l’entreprise est une école de la vie. À elle, donc, de se transformer pour répondre pleinement à tous les besoins de ses collaborateurs.
Rafaël de Lavergne
[au centre de la photo]