Le président de la République de Pologne, Andrzej Duda, boycotte la commémoration des 75 ans de la libération d’Auschwitz qui se tiendra à Yad Vashem en Israël les 22 et 23 janvier 2020 parce qu’il lui a été refusé de prononcer un des discours officiels réservés à la France, le Royaume-Uni, la Russie, les Etats-Unis (tiens, Donald Trump sera absent) et Israël.
Le travail mémoriel est toujours utile, surtout lorsqu’il est d’une actualité brûlante. Malheureusement, l’antisémitisme revient en force en Europe, notamment en Allemagne et en France (un sondage Ifop publié le 21 janvier 2020 révèle que que 34% des juifs de France se sentent menacés en tant que juifs et que 84% des jeunes juifs confessent avoir été victimes d’actes antisémites). Une piqûre de rappel sur la massivité et la singularité du génocide commis contre les juifs dans l’histoire des hommes sera malheureusement et éternellement nécessaire.
Mais le travail sur ces mémoires partagées est aussi confronté à des enjeux géopolitiques dont le présent ne fait que raviver des conflits plus anciens…
Le président russe Vladimir Poutine avait fait sensation le 23 décembre dernier et prouvé une fois de plus qu’il ne porte pas la Pologne dans son cœur. Il avait choisi la veille de Noël pour accuser ce pays, où le catholicisme est une quasi religion d’État non déclarée, de collusion avec Hitler du temps des heures sombres qu’a connues l’Europe.
Certes, Staline était antisémite lui aussi et un des grands bouchers de l’histoire. Mais ce fait n’a pas empêché le maître du Kremlin de cibler son propos sur l’éradication des Juifs à l’époque : se fondant sur des archives récupérées par l’Armée rouge, le maître de la Russie (qui a bien entendu oublié le Pacte germano-soviétique et les pogroms antisémites commis dans son pays) s’était dit « insulté par la manière dont Hitler et la Pologne ont discuté de la soi-disant question juive ».
On sait la Pologne particulièrement sensible aux accusations d’antisémitisme dont elle fait régulièrement l’objet, tant cette haine a sévi non seulement avant et pendant la Seconde Guerre mondiale mais aussi dans les décennies qui suivirent, jusqu’à aujourd’hui.
Posons donc la question : pas du tout antisémites, les Polonais ? Tous ces Juifs, originaires du beau pays de Chopin, qui survécurent aux pogroms des années 20 puis à la Shoah, ou leurs descendants auxquels ils transmirent le récit de leur horrible expérience, sont sans doute des affabulateurs ! Des délinquants, même, puisque depuis 2018, attribuer « à la nation ou à l’État » polonais les crimes nazis commis en Pologne est puni d’une amende ou d’emprisonnement. Ces récits, tout comme de nombreuses autres sources historiques, ne laissent pourtant aucun doute sur la réalité et la profondeur de la haine que les Polonais ont voué aux Juifs.
« Pire que les nazis ! », entend-on souvent dans la bouche de ceux qui subirent leur antisémitisme. Si l’État polonais n’a pas directement pris part à la Shoah, celle-ci n’a été dénoncée que par son gouvernement légal en exil. En Pologne, les dénonciations et les pogroms contre les Juifs sont des faits établis. Les nier est du négationnisme. L’antisémitisme virulent ne s’est pas arrêté en 1945. Fervents catholiques, les Polonais semblent avoir eu beaucoup de mal à négocier le tournant du Concile Vatican II qui, sous la houlette du Pape Paul VI, abrogea l’accusation d’assassinat de Jésus que le christianisme portait sur les Juifs. Le « peuple déicide » paya au prix fort ce totem chrétien par des massacres et des persécutions durant près de deux millénaires. En Pologne, la bête immonde n’a jamais totalement regagné sa tanière, et le regain actuel de nationalisme lui donne une vigueur nouvelle.
Nous le rappelions au soir des dernières élections législatives le 20 octobre 2019 en Pologne qui ont conforté le pouvoir des nationalistes au pouvoir depuis 2014.
Vladimir Poutine n’a fait que rappeler en décembre l’histoire que trop de Polonais veulent oublier et les autorités polonaises même effacer. Puisse son initiative contribuer à les aider à l’accepter, sans exclure ses pages les plus sombres, comme le firent l’Allemagne… et la France, certes tardivement avec la célèbre et courageuse déclaration de Jacques Chirac en 1995 au Vélodrome d’hiver.
Donner la parole à la Pologne pour les 75 ans de la fin de la Shoah eut renforcé et légitimé la stratégie négationniste du gouvernement polonais du du PIS (Droit et Justice) de Jaroslaw Kaczynski.
Si la Pologne a souffert de l’occupation nazie, dire qu’elle s’est parfaitement accommodée de la persécution et même de l’extermination de sa population juive est un euphémisme.
Une leçon de l’Histoire est que l’antisémitisme est un bon thermomètre de la vitalité de l’État de droit et de la démocratie. Sa résurgence en Pologne, comme dans toute l’Europe et en Amérique du Nord, avec une nouvelle vague islamo-gauchiste qui en renouvelle largement les contours, ne devrait pas seulement inquiéter les Juifs.
Michel Taube