La République apprécie ses savants titrés, deux trois lettrés officiels, en un mot ses bons élèves. Le pli est d’ailleurs pris chez nos concitoyens : à l’heure du café, laisser tomber d’une indifférence feinte que son fils de vingt ans et quatre mois sort « major de l’X » demeure du meilleur effet. A voir la moue repue du géniteur, cela semble même dépasser toute autre forme de félicité. Ce culte des premiers de classe nous aura pourtant coûté, de Poincaré Raymond dont on sait aujourd’hui qu’il fut – avec autres Izvolski – à l’origine directe du déclenchement de la guerre d’août 1914, au toujours sémillant Giscard, avec ses regroupement familial et facéties inconséquentes, décidément dignes l’un comme l’autre du formatage dont ils procèdent.
Je suis d’un pays mental qui préfère Rimbaud à nos pathétiques présidents, qui suivra toujours Flaubert par les champs et par les grèves, Maupassant et Barbey sur les falaises et dans les flots, sans la moindre envie de m’en excuser. La liberté, frappée au marbre sur nos monuments officiels, s’avère le temps passant le plus puissant gag conçu dans le pays de Mirabeau : les vigiles contrôlent jusqu’à l’accès des fleuristes ! Ce n’est pas tout ! J’en témoigne : fuchsias et tulipes numérotées, cartes bancaires… cartes de ceci cela, codes d’immeubles, parcmètres avec immatriculation, numéro d’accès casier… et j’oubliais ! Tapez zéro, tapez étoile. Mais quelle étoile ? Adar ou l’étoile du berger ?
Finalement, il ne reste qu’un réfractaire : l’article 717 du Code civil…Si ! vous avez bien lu ! Continuez plutôt avec cet extrait : « (…) les effets jetés à la mer, de quelque nature qu’ils puissent être, sur les plantes et les herbages qui croissent sur les rivages de la mer… ».
Cet article du Code n’a jamais été modifié – une gageure dans un pays aux deux records mondiaux imbattables ! 1. la croissance du taux de suicides. 2. la collection insensée de normes, lois, règlements, circulaires, arrêtés préfectoraux, municipaux, règlements campings copropriété, jusqu’aux placards humides des gardes champêtres forestiers… Le Royaume du papier et de l’interdit… pour les autres ! Fouché et successeurs, seuls maîtres !
A l’exception, toutefois, de la marge… la marge géographique : la plage, des siècles durant, demeura zone fermée et militaire par panique d’invasion… enlèvements razzias barbaresques et contrebande non taxée ! Pour nous en convaincre, la longue tradition des fortins jusqu’au blockhaus 40-44 dont l’esthétique teutonne a pu un temps charmer nos hordes de punks et autres fripés gothiques avec hard music… blockhaus devenus depuis des musées des cent mille canettes de bières pas toujours homologuées.
Le premier bain de mer de l’histoire
Pourtant, de cette tourbe marine se détache un épisode béni d’élégance. En 1824, la duchesse de Berry, cette femme libre (qui – tout un symbole – finit politiquement derrière une cheminée) décida de braver l’infini. Dieppe, vous connaissez ? Il faut avoir la foi chevillée au corps pour ainsi se lancer dans la mer illimitée et froide, sur cette plage très pentue aux galets promus projectiles pour malléoles ducales…
Le 3 août 1824, Caroline, alors âgée de vingt six ans, mère de l’héritier du trône, trempe ses orteils – sagement chaussés de bottines – dans la Manche. Dix coups de canon saluent celle qui retrouvera la côte d’Opale chaque année jusqu’à la chute de la monarchie légitime. Le temps passant, on s’en douterait, elle aura allégé sa tenue…
D’autres viendront ensuite. Brummell et d’autres plus tard, Oscar Wilde, arrivé à Berneval, Seine-Maritime, de sa prison de Reading.
Ce premier bain de mer est-il anecdotique ? Quelle importance accorder à cette mode ? Jugez-en : les « amis de la terre » n’ont aucune chance. Il suffit de regarder une mappemonde. Les trois quarts de la planète bleue sont couverts d’eau. Il y a bien un plancher terrestre – et volcanique – sous-marin, mais les poissons ne votent pas. Les enfants non nés non plus. Et pourtant !
L’élément aqueux est premier. Toute femme, tout homme, a passé les neuf premiers mois de son existence dans l’eau maternelle, et la première sensation éprouvée dans les eaux tièdes de sa baignoire est celle de retrouvailles chaleureuses, d’un vrai délassement.
Pour autant, l’océan déborde de la baignoire et se rappelle à nous par ses mascarets et autres tsunamis. Michelet le rappelait en 1861 dans son petit livre « La Mer » : l’élément maritime demeure pour les humains, synonyme de terreur. Il a raison sur ce point et il n’est pas inutile de décidément mettre les points sur les « i » : nos contemporains refusent d’imaginer ce que voient les migrants, une fois leur embarcation chavirée, juste avant la noyade : la mort les regarde. Les marins pour leur part, on le sait, refusent d’apprendre à nager. Une coque de noix, c’est la peau des navigants.
Alors que les vacances d’été sont encore loin, le quotidien se rappelle à nous, et les factures remplacent les serviettes de plage : place au « tangible » ! On en oublie les bains de mer : ils ont été initiés par une femme à tous égards non conforme, une duchesse ultra. En y pensant, on éprouve une certaine difficulté à imaginer comment se mouvoir sur les galets de Dieppe et nager avec ces robes à volants, corsets sanglés et chaussures de ville. Qu’on se le dise ! Les révolutions ne proviennent pas toujours des révolutionnaires… Car regagner la mer, c’en sera une !
Plantes, herbages, troncs d’arbres – bois flottant – et… sacs plastiques, des milliards de sacs ! Ce n’est pas tout ! Décharges de métropoles entières, des centaines de millions d’objets, toitures en fibrociment et frigos déversés, des dizaines de milliers de conteneurs tombés de porte-conteneurs rouillés jusqu’à la passerelle et flottant entre deux eaux. Demandez aux commandants de navires quel est leur premier sujet d’inquiétude… Une grande unanimité ! Le cloaque putride !
Le temps passant, le monde occidental découvre les vertus des algues, que tel poète en verve comparaît aux cheveux d’une sirène marine évanouie.
Nous avons perdu les sirènes, pas la duchesse de Berry, dont la séputure se trouve par les hasards de l’Histoire dans la fort peu maritime Autriche. Mais on n’en est décidément plus là. Si les algues garnissent les assiettes de sushis et autres plats, la mer qu’on n’a jamais autant vantée, s’avère désormais un cloaque.
L’essentiel pour cette décennie est décidément de la rendre à elle-même. En un mot, de la nettoyer puis lui ficher la paix.