Et si nous avions tous tort ? Divorce la nuit, nous dit-on, entre Royaume-Uni et Europe ? A force d’empiler les niaiseries officielles comme les assiettes, et ne plus rougir de poncifs plus épais que les vingt étages de cette prétendue Delikatesse – dîtes Schichttorte – que même les Bavarois peinent à avaler, on en oublie la simple réalité. Exceptés les usages assez peu européens, on ne divorce pas de vingt-six ou vingt-sept femmes… Je ne sais plus le chiffre exact. Et il ne m’intéresse pas. Ayant assez peu de goût pour les harems, je confesse.
Et si ce n’était pas le Royaume Uni qui quittait l’Europe mais nous, continentaux, qui avions pris non pas le large, mais un dangereux virage ? Qui étions, pour le coup, complètement à l’Ouest ? Ce n’est pas d’aujourd’hui ! L’Europe, l’Europe, l’Europe, nous répète-t-on … En oubliant ce qu’ont fait des décennies durant nos bureaucrates à demeure, place de la Loi, Bruxelles : empiler du papier… Circulaires, directives, des centaines de milliers de pages, taille des rustines, diamètre des spaghettis, normes plus prussiennes que les passages cloutés – nés en Poméranie. Certains disent Leipzig. Peut-être Breslau. Une Europe qui emm… les Français. Et beaucoup d’autres.
Et si nos paysans mourraient de ce monde désert, eux qui durant vingt générations avaient arrosé de leur sang tous les champs, batailles puis suicides, et condamnés par on-ne-sait quelle logique aux haies arrachées et jachères subventionnées, et si nos ouvriers, ingénieurs et autres travailleurs « détachés » – ah ! ce langage de guillotinés – n’avaient plus aucun goût à rien dans cet espace privé de sens ?
Et si tout cela avait dérivé tel un paquebot fou ? J’étais à Ayr, Lowlands, Scotland, quand Edward Heath [photo], alors leader du parti conservateur, vint y faire une visite électorale à l’extrême fin des années soixante. Oui, je sais, vous n’étiez pas né (e) ! Pompidou – en dépit de ce qu’en avaient prédit Charles de Gaulle et surtout, un certain Couve de Murville dont jusqu’au nom a fondu dans la nuit – voulait l’adhésion immédiate de l’Angleterre pour une seule et unique raison : Heath était, susurrait l’Auvergnat, le seul Européen en Grande-Bretagne. Non, c’était le seul à vouloir ne pas voir le continent tel qu’il était. C’est un peu différent…
Et si Margaret Thatcher pouvait à juste droit s’interroger dès 1982 sur la réalité de ce qu’on voulait nommer un ensemble soudé, sinon un pays : l’Europe ? Alors que le pouvoir dictatorial d’un certain général argentin Galtieri avait fait envahir les Falklands – Malouines – et au passage s’agenouiller dans la boue les soldats britanniques, puis sur ordre express, les faire s’allonger la face contre terre, un Etat membre fondateur de l’Europe – qu’on ne citera pas, il y a prescription – ne votait pas la condamnation de cette violation par la force d’un territoire britannique, et le traitement infligé à des compatriotes européens ? Vous avez oublié, vous n’avez pas vu les « avenidas de las Malvinas argentinas » du côté de Ushuaïa, Mar del Plata et Buenos Aires ? Surtout, ne me croyez pas ! Allez-y et revenez témoigner ! Où est votre Europe ? Mitterrand, dans les deux heures, avait publiquement soutenu Margaret. Seul.
Le problème des vieux, ce n’est pas Aloïs (Alzheimer). C’est précisément leur mémoire. On comprend que Alzheimer soit le vrai maître de cette « Union ». Car dans chaque crise, l’Europe a misé à côté de la plaque.
Des exemples, vous voulez encore des exemples ? En (ex)Yougoslavie, qui a reconnu la Croatie avant même que les accords de sécession soient négociés ? Qui a entendu le pape Jean-Paul II, pas vraiment l’homme à parler « comme ça », exprimer le cœur au bord des lèvres l’aveu de cette faute irrémissible encouragée par nos chers voisins carolingiens : « Mon Dieu, qu’avons-nous fait ? »
Arrêtons-là… Certaines actualités sont si cruelles…
Et disons-le tout net. Quand l’Europe sera autre chose que ce kombinat bureaucratique, cet amas de papiers, de normes, d’ennui, de désamour profond, quand un seul Européen exposera sa vie pour ce territoire, avec une foi commune, alors la question aura cessé de ne… plus exister. Personne n’est mort pour la CED, ni pour la SDN, vous rappelez-vous ? Non, bien sûr.
Il sera alors temps de revenir à l’Europe réelle. Et de poser la seule question : Jean Monnet, combien de divisions ? Il est toujours utile, quitte à jouer le vieux débris, l’animateur d’EPHAD, de rappeler la racine des choses. Nous avons avec l’Angleterre un lien que rien ne pourra rompre. Jamais. Que Boris retourne décidément chez le coiffeur. Nous l’accompagnerons… Quand tout était perdu, en l’an 40, une Union franco-britannique fut établie, avec un seul Etat France et Angleterre unis. … Elle se trouvait sur le point d’être adoptée. Mais certains thermalistes de Vichy, mauvais géographes ignorant l’eau de mer, imaginaient que seules les Alpes bordaient le pays. Jean Monnet ? C’est le nom de dix mille lycées et avenues partout en France. Et de l’autre côté de ce bras qui nous demeure commun, la Manche.
Jean-Philippe de Garate