International
20H47 - lundi 3 février 2020

La couronne d’Austerlitz : chronique de la nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate

 

Crédit photo : Savy Svay. Statue de Philippe Pinel, devant l’hôpital de La Pitié Salpêtrière, Paris

 

L’Académie de médecine fête son bicentenaire. L’événement passe inaperçu et ce n’est pas juste. En fondant cette institution favorisant la recherche, Louis XVIII (1814-1824), roi mésestimé, frère du guillotiné, avait souhaité un geste d’humanité et d’intelligence. 

Une création tout sauf inutile en1820 ! Outre les centaines de milliers de paysans enrôlés, puis rentrés blessés, amputés, défigurés par cinquante batailles de la Révolution et de l’Empire (1792-1815), outre les épisodes de choléra qui ici et là concurrençaient alors en morbidité la tuberculose de Madame de Mortsauf et autres poitrinaires romantiques, la maladie frappait partout. Sous toutes ses formes ! Une société sans réels remèdes, sans vaccins, sans antibiotiques, sans insuline, sans ophtalmologiste, sans vrai dentiste… sans rien. Pouvons-nous l’imaginer ? La femme de trente ans en 1820 ?  C’est une vieille ! Ainsi, l’impératrice Joséphine, morte en 1814, avait vécu sa vie durant… édentée. Regardez ses portraits, sa bouche toujours fermée, son sourire pincé.

Et puis, il y avait eu pire. Le bruit du canon suscite peut-être l’entrain par certains refrains, mais il avait endommagé bien des tympans des années durant. Et surtout, derrière les tympans, l’intérieur des crânes. Des régiments, des armées de crânes cabossés ! Le Colonel Chabert ne se demande pas s’il est fou, il ne l’est pas. Mais il est entouré de fous, parce que ces traumatisés – comme nombre de leurs ennemis alors au pouvoir – se contorsionnent en schizophrènes dans une société où le faux est devenu le vrai, et la vérité mensonge. En attendant la troisième mi-temps…

Le flou rend fou… Ca ne vous rappelle rien ? Une certaine nouvelle époque, contemporaine, perdue de repères, dans laquelle chaque humain absorbera sa vie durant son poids de médicaments. Pilules pour ceci, gélules pour ça ? Survivre, pas vivre.

En 1820 comme deux siècles plus tard, on oublie la vie au quotidien de ces hommes et femmes meurtris, ces aliénés que, dans un grand mouvement de « containment », on avait alors cru devoir resserrer entre les murs souvent putrides de bâtisses et maisons de force telle celle de La Pitié et fabriques à salpêtre comme La Salpêtrière.

L’arbitraire habituel de la chiourme, le sadisme ordinaire de nos semblables, les poncifs des braves gens fixaient alors une frontière définitive pour nos semblables privés de droits. Des êtres entravés, enchaînés comme des bêtes aux murs des hospices.

Toute la geste du docteur Philippe Pinel [notre photo] et de son jeune confrère Esquirol se réduit à une simple attitude : ne pas se payer d’apparences. Il suffit d’observer sans a priori ! C’est tout ! Sans doute les semblables du colonel Chabert présentent-ils quelques originalités de comportement. Et alors ? Il suffit de leur donner du temps, prendre la peine de les écouter et tenter de comprendre – cette absolue nouveauté ! Alors leur discours prend une consistance, une réalité, une logique. Ils racontent une histoire. Ils incarnent, ils sont l’Histoire.

Apercevant qu’il n’y a pas de différence de nature mais de degré entre la folie scientifiquement établie et la folie ordinaire de l’homme de la rue – établissant la première nosographie mentale – Pinel ne peut qu’en tirer l’évidence de l’inadéquation profonde du sort alors infligé à l’existence des fous. Avec d’autres, il suscite leur « désentravement ». Attention ! être dégagé de ses chaînes ne signifie pas sortir de l’asile. Et la loi finalement publiée en 1838 n’empêchera pas toujours ces infâmes « histoires de famille » avec ordonnance de placement d’office relayant la lettre de cachet. Certains de nos bureaucrates sont si doués pour forger de nouveaux mots afin de maintenir de perpétuelles chaînes…

Pinel, que la statuaire de 1883 a plongé dans le bronze, gagne à être relu. Car la recension de ses ouvrages, ses intuitions, ses constations, ses doutes, est rafraîchissante. Et si actuelle, dans un monde qui se resserre, une nouvelle époque qui replonge sans le dire dans le barbare, l’antique…

Songez un instant. Vous voici devant La Pitié Salpêtrière, qui jouxte la gare d’Austerlitz.

Austerlitz ! L’empereur y a noyé quarante mille Austro-Russes en mitraillant le lac gelé bordant le plateau du Pratzen. Deux ans après le sacre, la victoire d’Austerlitz éclaire du plus impérial soleil le règne de Napoléon. Mais il y a un hic : la guerre tue et mutile. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que, longeant la gare portant le grand nom d’Austerlitz, on y aperçoive non la couronne de feu et de fer de l’empereur, mais la couronne de fleurs dont en cette année du bicentenaire de l’académie de médecine, des mains ont délicatement sertie le buste de Philippe Pinel.

Austerlitz, disiez-vous ? Une seule statue : celle du docteur Pinel (1745-26). Et les fleurs de la vie. Notre vie. Et aucune autre. 

 

 Jean-Philippe de Garate

Arrêtons de dénigrer notre chère Tunisie !

En cette ère où les images ont un pouvoir émotionnel puissant et peuvent fausser la réalité, Nous, enfants de la France et de la Tunisie, et amis de cette terre d’Afrique du…