« Je ne suis pas politique. J’essaie juste de faire rire les gens. » Le Joker
Et si Mélenchon n’était devenu qu’un Joker pathétique ? La question mérite d’être posée après les récents propos de notre histrion populiste en appelant à l’insoumission ou à des actions de toutes natures, avec à chaque fois accolés les mots « non violent » ou « citoyen » pour en atténuer le caractère transgressif.
Il justifie et soutient les intrusions au siège de la CFDT, la perturbation d’une soirée théâtrale à laquelle assiste Emmanuel Macron, l’opposition à la tenue de rencontres de députés de la majorité ou encore l’une de ses proches relayant un message d’appel à la guillotine contre Macron, tout en condamnant à chaque fois la violence, ramenant ces comportements à de simples plaisanteries alors que ces formes d’intimidation ou d’obstruction à la parole libre sont en soi une violence.
Que ne dirait-il si des leaders politiques en appelaient à l’occupation non violente des locaux de la France Insoumise, à une haine salutaire néanmoins mesurée contre leurs dirigeants, à leur entartrage systématique et joyeux, à la perturbation pacifique de leurs réunions ou affirmaient que Mélenchon ne valait pas mieux que la balle… de mousse qui un jour, mettrait fin à ses excès… Humour bien sûr ! Mais le populisme n’a aucun sens de l’humour. Il souffre ou fait semblant avec l’humanité souffrante et n’admet la transgression que pour ses ennemis de classe ou… de race, jamais pour lui-même, toujours victime de procès politiques.
Il y a quelques semaines, je sortais du film de Todd Phillips « Joker », subjugué par sa puissance et la performance de Joachim Phoenix mais aussi par l’esprit traversé de maintes interrogations sur sa signification réelle.
La seule image que j’avais en tête en fin de séance fut celle des « Gilets Jaunes ». Vu à un premier degré, ce film semble porteur d’un réel pouvoir de subversion avec ce paradoxe que ses recettes ont crevé des plafonds et qu’il s’est vu attribuer une kyrielle de récompenses par les jurys de l’industrie cinématographique. La subversion artistique est parfois payante au sens propre comme au figuré. Ce film est une grille de lecture mais de quoi ? J’en serais resté à ces quelques interrogations si je n’étais tombé sur le papier du philosophe Slavoj Zizek publié dans l’Obs : « Pourquoi Donald Trump n’est pas le Joker ? » qui me suggéra en écho « Et si Mélenchon était notre Joker ? » Bien que je sois loin de partager les idées du philosophe slovène, sa plume nous livre une approche intéressante, parfois absconse dont je ne retiendrai que certains aspects, au risque de gommer sa complexité.
Zizek conteste l’approche de « gauche radicale » de Michael Moore qui voit dans le film Joker « une œuvre de critique sociale opportune et une illustration parfaite des conséquences des problèmes sociaux dans l’Amérique d’aujourd’hui » (rôle pervers des banques, défaillance du système de santé, écart abyssal des revenus), un encouragement à la rébellion des démunis et à « leur pouvoir de non violence qui peut être mobilisé chaque jour ». Il n’y a pas de gauche militante dans ce film, dit Zizek mais juste « un monde plat de violence et de corruption généralisées. » Il aurait fallu que le réalisateur retrouve une position « prolétarienne » (qui ne se ferait aucune illusion sur l’ordre établi) pour en faire une œuvre militante, devenue alors sans intérêt d’un point de vue artistique. Dans ce film, poursuit le philosophe, les « éruptions de violence ne sont que des explosions de rage stériles, des manifestations en acte de son impuissance ». « Le Joker est le résultat d’un ensemble de circonstances pathogènes, mais ces circonstances ne peuvent être décrites comme les causes de cette figure singulière que de manière rétroactive, une fois que le Joker est déjà là ». N’est-ce pas là une définition du populisme ? Derrière le masque du Joker, il n’y a rien, poursuit le philosophe, il est le chef involontaire d’une nouvelle tribu, sans programme politique. Il n’est qu’une explosion de négativité.
Rappelons l’échange avec le présentateur de télévision vedette, Murray :
« Pourquoi ce visage alors ? Je veux dire, fais-tu partie du mouvement ? » lui demande Murray.
Réponse du Joker : « Non, je n’y crois pas. Je ne crois en rien. Je pensais juste que ce serait bon pour ce que je fais. » Ainsi on pourrait dire que Mélenchon assume ses positions transgressives parce qu’elles « sont bonnes pour ce qu’il fait ».
De la même manière qu’il n’existe aucune alternative politique à la révolte du Joker, Mélenchon et le populisme n’en proposent aucune, si ce n’est la haine sociale. Zizek parle de posture autodestructrice. Il n’y a rien sous le masque du Joker comme il n’y a rien sous la litanie insurrectionnelle des porte-voix de la France Insoumise. La question que l’on peut se poser est de savoir si le populisme mélenchonien est politique ? L’admirateur des dictatures sud-américaines semble avoir abandonné ses références à la révolution prolétarienne pour les puiser aujourd’hui dans la Révolution française qui s’enracine dans la pensée des Lumières qui, en dépit de ses épisodes variés et contradictoires, demeure une pensée libérale.
Mélenchon, pour reprendre les mots de Zizek, ne serait-il pas à l’instar du Joker « le chef d’une nouvelle tribu »… sans « programme politique », une explosion de « négativité ». Les quelques 19.000 amendements déposés par la France Insoumise, jouant sans projet ni stratégie sérieuse l’obstruction parlementaire, participent de cette même explosion de rage stérile, de manifestations en acte de son impuissance.
Si pour Zizek, Trump, clown obscène et transgressif, n’est pas Le Joker, on peut se demander si Mélenchon, clown tout aussi obscène et transgressif, ne serait pas notre Joker. « Je ne suis pas politique. J’essaie juste de faire rire les gens. »
Encélade