Kirk Douglas, né Issur Danielovitch, présenté comme le dernier monstre sacré de Hollywood, s’est éteint à l’âge de 103 ans, des suites d’une longue vie. On a souvent, trop souvent, tendance à oublier qu’un artiste est d’abord… un artiste ! Surtout quand il est engagé, qu’il dérange, parfois quand il dérape, ou que l’homme révèle une noirceur qui tranche avec la lumière qui éclaire ou que génère l’artiste.
Kirk Douglas était un acteur engagé, comme l’était à sa manière le génial réalisateur Stanley Kubrick qui, en 1957, le fit tourner dans Les Sentiers de la Gloire, peut-être le plus grand film consacré à la première guerre mondiale, à son cynisme poussé jusqu’à l’absurde. En 1958, Kirk Douglas acquiert les droits du roman Spartacus, narrant la révolte d’esclaves sous l’Empire romain, également une métaphore du sort que le capitalisme impose aux masses laborieuses. Puis Kirk Douglas choisit Stanley Kubrick pour réaliser le film tiré du roman, mais sans lui en laisser la pleine direction.
En 2016, Kirk Douglas est dans sa centième année, et assiste, horrifié, à l’essor de Donald Trump durant la campagne électorale. Le discours de celui qui deviendra quelques mois plus tard Président des États-Unis lui rappelle les heures sombres de sa propre histoire, lui qui fut témoin de deux conflits mondiaux. Kirk Douglas, héros américain par excellence, s’adresse à ses concitoyens dans une lettre ouverte publiée par le Huffington Post, pour leur rappeler qu’il est un descendant de juifs européens ayant fui les pogroms, un enfant de migrants, comme ceux que Donald Trump exècre. Kirk Douglas croyait voir en Donald Trump le fantôme d’Adolphe Hitler, sans aller jusqu’à le mentionner, et voulait alerter le peuple américain sur le danger de considérer le candidat républicain comme un bouffon, ce qui serait à ses yeux une terrifiante répétition de l’histoire.
Alors que le bouffon achève son premier mandat, et qu’il a toutes les chances d’être réélu, les États-Unis n’ont pas sombré dans un chaos totalitaire, et le contrôle des flux migratoires est de moins en moins considéré à l’échelle mondiale comme une intolérable atteinte aux droits humains et à la démocratie. Mais l’Amérique n’est plus le pays qui avait accueilli les parents de Kirk Douglas, et elle ne le sera plus jamais, avec ou sans Trump.
Kirk Douglas a fait siennes de nombreuses causes, s’opposant au maccarthysme, à la guerre, à l’oppression des opprimés, à l’obsession de la réussite… Pourtant, dénoncer les travers d’une Amérique qui s’est parfois égarée ne l’a pas empêché d’être fier de son pays, fier d’être Américain et d’être enfant d’une nation qui sut donner le meilleur au monde, être généreuse, notamment envers les migrants, et donner sa chance à tous ceux qui voulaient la saisir.
Les artistes ne meurent jamais. Issur Danielovitch est mort, mais Kirk Douglas est éternel. Les Sentiers de la gloire sont aussi ceux de la sienne. Un sentier parsemé de près de 70 films, pas tous des chefs-d’œuvre, il est vrai. Mais quelques pépites pourront être vues et revues avec délectation, comme Paris brûle-t-il ? (René Clément), Règlements de comptes à O.K Corral (John Sturges), Les ensorcelés (Vincente Minnelli), La captive aux yeux clairs (Howard Hawks), La vie passionnée de Vincent van Gogh (Vincente Minnelli et George Cukor)… Ces quelques films très hétéroclites illustrent la capacité de Kirk Douglas à incarner d’innombrables rôles, une qualité que l’on ne retrouve le plus souvent que chez les plus grands.
Son physique athlétique, forgé par une discipline de fer, avec des yeux rieurs et une célèbre fossette au menton l’ont rendu définitivement inoubliable. Son charisme éternel s’est transmis à son fils Michael Douglas, autre grand d’Hollywood. L’ère des géants n’est pas terminée.
Adieu l’homme engagé et chapeau l’artiste !
Michel Taube