C’était il y a cinq ans jour pour jour. La France était entrée un mois auparavant dans une nouvelle ère, annoncée déjà par les crimes commis par Mohamed Mérah quelques années auparavant. L’équipe de Charlie Hebdo venait d’être décimée à Paris.
A Copenhague, d’où était partie l’affaire des caricatures*, en hommage aux victimes de Charlie un mois plus tôt, l’ambassadeur de France au Danemark (et ancien ambassadeur pour les droits de l’Homme), François Zimeray, était invité le 14 février 2015, à ouvrir un débat qui aurait pu se tenir aujourd’hui à Paris : « Art, blasphème et liberté d’expression ».
A l’affiche du petit centre culturel de Kruttonden, un caricaturiste, Inna Shevchenko, une des leaders des Femen et l’ambassadeur, seul officiel présent, commencèrent à intervenir, librement, quand, tout à coup, une fusillade à l’arme automatique retentit dans la salle, comme en témoigne la capture sonore qu’Opinion Internationale a pu récupérer et qui ouvre l’interview vidéo de François Zimeray.
Un artiste assassiné, six policiers gravement blessés, une chasse à l’homme de vingt-quatre heures ponctuée par un attentat mortel contre une synagogue de Copenhague… L’attentat, sur le modèle de Charlie (les caricaturistes, les juifs, la France) fut salué par l’Etat Islamique. François Zimeray est le premier ambassadeur depuis l’assassinat de Louis Delamare au Liban le 4 septembre 1981 à être ciblé, et à travers lui la France, par un attentat terroriste.
Cinq ans après, l’ancien diplomate, redevenu avocat, revient sur ces instants qui ont marqué sa vie. Il explique son incompréhension que cette seconde mort de Charlie Hebdo soit passée quelque peu inaperçue en France, notamment de la part du président de la République de l’époque, François Hollande, qui n’eut jamais un mot pour son ambassadeur, lequel dut même se justifier d’avoir participé à cette réunion…
Il n’en fut pas de même de son successeur… A Copenhague, en août 2018, François Zimeray et les parents des deux tués accueillirent Emmanuel Macron sur le lieu de l’attentat.
L’avocat rend aussi hommage, dans cet entretien, au peuple danois au moment où sort au Danemark une fiction très réaliste tirée de cette tragédie. François Zimeray se rend d’ailleurs à Copenhague, cinq ans après, pour des cérémonies en mémoire aux victimes.
Ce retour mémoriel est aussi l’occasion pour François Zimeray de rappeler que notre société repose sur cette laïcité française décriée tant par les Américains que par les islamistes : « Nous devons faire deux distinctions fondamentales : la première, c’est la différence entre les violences contre les gens, et celles contre les idées. Discriminer quelqu’un à cause de sa religion, de son sexe ou de ses origines, c’est un délit de racisme, et c’est inacceptable. En revanche, critiquer une religion ou moquer une idéologie, cela fait tout simplement partie de notre liberté. Protéger les individus contre la haine, oui. Sanctuariser les dogmes religieux et les rendre intouchables, non. La seconde distinction à opérer, c’est celle entre la sphère privée et la sphère publique, qui oblige, cette dernière, à une certaine neutralité pour justement respecter toutes les croyances et les non-croyances. »
Une façon de marteler encore et encore que si « le blasphème, un des piliers de la civilisation française, est aujourd’hui fragilisé », le droit de blasphémer n’est absolument pas contradictoire avec le respect des croyances.
Et François Zimeray de conclure : « Bien sûr que c’était ma place comme ambassadeur de France ! Les morts de Copenhague et de Paris ne doivent pas être morts pour rien. Aujourd’hui, ceux qui perpétuent ce combat s’appellent Mila, Zineb, Inna. Ils s’appelleront du nom de tous ceux qui parleront librement. Face à ces reculs de nos libertés, il ne faut rien céder. »
Michel Taube
*Le quotidien danois Jyllands-Posten avait parodié Mahomet dix ans plus tôt, en septembre 2005, suite à l’assassinat de Theo van Gogh en 2004 aux Pays-Bas, et Charlie Hebdo avait publié leurs illustrations en février 2006 comme d’autres médias le firent en France et dans le monde.