Cette fois, on ne peut éviter le terme : les autorités « minorent » les données. Le verbe est d’ailleurs impropre. Disons pour rester aimable que les gouvernements sont « dépassés ». La Lombardie était hier annoncée seule atteinte, avec une douzaine de décès et un nombre lui aussi minoré – ce que confirmera le personnel hospitalier – de patients en réanimation, tandis que parallèlement se développera la recherche frénétique du « contaminateur », le patient numéro zéro. Au même moment, les réseaux sociaux répertoriaient des cas recensés en Sicile, île pas vraiment limitrophe de l’Italie du Nord…
Le pire n’était pas là. Le coronavirus se propage à la vitesse de l’électricité sur cette radiale qui relie Milan à l’Adriatique, cette diagonale qui traverse la plus active région du pays, la plaine du Pô : après Lodi, Parme, Modène, Piacenza. Personne ne prêtait grande attention à ces Cités, de taille encore modeste. Piacenza, cent mille habitants ! Avec son hôpital réclamant avant midi des secours ! En urgence. Et en vain.
Car cette fois, on ne joue plus : ce matin est apparu à Bologne, capitale de la puissante Emilie-Romagne, une lourde métropole de 400.000 âmes intramuros, 850.000 avec faubourgs et villes annexes, un cas qu’aucune autorité n’a cru devoir déclarer en temps utile. Les visages défaits et le silence buté du personnel hospitalier, eux, ne mentaient pas. Ce n’était pas un cas isolé.
Et puis soudainement, quand ce ne sont pas deux trois mais une collection d’éruptions qui se sont déclarées, l’ensemble de la région s’est embrasée. On a alors eu droit à un long communiqué officiel, dont les lecteurs pardonneront la traduction approximative. Cette traduction tente de « coller » aux approximations du discours, bien emprunté, suppurant la gêne. Aux entournures…
Toutes les écoles d’Emilie-Romagne sont fermées, de la maternelle à l’Université, dans toute la province de Forli à Cesena. Sans limitation de date. Toutes les rencontres sportives – même celles de football (en Italie !) – reportées aux calendes. Tous les événements, commémorations, réunions, annulés. Le président du gouvernement de la Région, Bonaccini, et son ministre de la santé Speranza sont allés beaucoup plus loin. Serait-ce un méchant cauchemar ? Ou se retrouve-t-on sous Louis-Philippe et le choléra de 1832 : les réunions privées sont interdites. Dîner en famille ? Réunions de copropriété, syndicats, associations, clubs de bridge… Bars restaurants discothèques fermés…. Et les églises ?
Il faut croire que ces deux responsables politiques détiennent des informations d’une telle nature qu’ils annoncent désormais agir en liaison constante avec l’Organisation Mondiale de la Santé. Musées, jardins publics comportant des zones fermées – kiosques, cloîtres historiques- fermés. Les maisons de retraite, les internats ? Bouclés ! La zone est-elle « contenue », à croire que Marco Polo arrive de Chine ? Juste un extrait de la presse locale, d’une discrétion pourtant bien remarquable : un restaurant vient d’être fermé près de Rimini, dont l’hôpital connaît le sort de Placenzia … aucun lit disponible.
Cela nous renvoie à une certaine atonie, de l’autre côté des Alpes. Etes-vous passé à CDG Roissy ? Rien, aucun contrôle sanitaire. Il faut le voir pour le croire… Et qui n’a entendu récemment à la radio, toutes chaînes confondues, dans notre douce France, et croyant regagner son préau de l’école communale : « Le bon réflexe, lorsqu’on présente les symptômes du Coronavirus, consiste à appeler le 15 et rester cloîtré chez soi. On attend le spécialiste des maladies infectieuses. » CQFD : Surtout, ne pas se répandre dans la salle d’attente des urgences locales, et y propulser ses miasmes !
Mais que faîtes-vous lorsque vous vous trouvez dans cet espace singulier qu’on nomme un bateau ? Le Diamond Princess, bâtiment de croisière croisant dans la mer nippone, avec ses presque quatre mille passagers et membres du personnel navigant, n’en finit pas de laisser filer sa traîne et mouiller dans le port de Yokohama, après Kagoshima et Naha… d’autres prétendent que nombre de ses patients agonisants ont été transférées dans divers lieux de soins, Tokyo, Chiba, Saitama et principalement Shizuoka, port au pied du Mont Fuji et détenteur d’unités d’hospitalisation et de recherche spécialisées en virologie. Les autorités japonaises demeurent bien plus réservées que d’autres sur la structure, plus encore les mécanismes d’infection, les évolutions, et donc l’éradication à terme de 2019-nCoV. Un coronavirus mutant qui tue. La vérité que laisse filtrer nombre de médecins est que la « souche » est nouvelle. Et on évite d’évoquer l’avenir proche… Le silence règne.
Irruption de la décennie débutante, 2019-nCoV est issu de Chine. Le « containment » a pu être mis en œuvre car l’Etat chinois, par-delà ses propres limites bureaucratiques, demeure en position de confiner depuis la mi-janvier une région entière, onze millions d’habitants enfermés dans Wuhan, ancien comptoir français, ville universitaire où on trouve même un buste d’Alain Peyrefitte… Ne l’accablons pas, mais constatons : la Chine s’est éveillée, ses diables aussi ! Pourtant, ce n’est pas dans les esprits libres, voire dissidents, qu’avait commencée la contagion, mais par une étrange pneumonie des écailleurs, transbordeurs et autres dockers du marché de gros des fruits de mer de cet immense nœud fluvial. Tout cela est désormais « contenu », nous dit-on. Il aura suffi au gouvernement chinois d’appuyer sur la touche : pause.
Mais ce serait oublier l’effet principal de cette forme de contention : la pression. Enfermer des populations, maintenir en quarantaine cités italiennes et passagers nippons, faire succéder aux messages politiquement corrects des préconisations médicalement insuffisantes, c’est oublier que l’enfermement génère des effets. Pas seulement sur ceux sur lesquels ce confinement s’exerce. Mais sur l’ensemble du « corps social » le bien nommé. Tout se resserre dans ce monde qu’on nous prétendait ouvert parce que les porte-conteneurs raient désormais la surface de la mer, et que nos hommes d’affaires et travailleurs détachés survolent notre terre. Quant à notre liberté : tous ces visages hallucinés devant les écrans… Le « containment », voilà le mot nouveau ! on parle d’accompagnement psychologique, voire psychiatrique, des « contenus ». La belle affaire ! Et les milliards d’humanoïdes qu’on conditionne pour demain être à leur tour « contenus » ?
L’âme humaine se révèle une bien curieuse chose. Dès que les nuages s’amoncellent, et que semble fondre le soleil de la vie facile, nous, Occidentaux nous imaginons passer sans transition du paradis aux enfers. C’est décidément oublier l’Italie. Et Dante. Dans sa Divine Comédie, s’étage une longue période… le purgatoire. La vieille époque, marquée par le coronavirus, se termine. Personne ne la regrettera. Car viendra, et Dante de l’annoncer, cette purge !
« Ouvre ton cœur aux vérités qui viennent (les nouvelles vérités) et sache que dès l’heure où le fœtus se trouve bien chevillé de cervelle, vers lui se tourne alors le moteur prime, que réjouit l’art de la nature ».
Pandémie : l’acte 2 prendra fin. Il sera alors temps de resserrer nos énergies, oxygéner nos neurones et alors sortir de l’épreuve « bien chevillés de cervelle ». Non ?
Jean-Philippe de Garate