Alost, Belgique flamande. En ce dimanche 23 février 2020, l’édition annuelle de ce carnaval centenaire touche à sa fin. En apothéose : des caricatures de juifs reprenant l’iconographie nazie (représentation sous forme d’insectes nuisibles, au nez crochu, exhibant leur argent…), porteurs de messages évocateurs de complots, sont exhibées ostensiblement. Autour des chars défilent des carnavaliers en uniforme nazi, rigolards et sympathiques. La population, enfants en tête, applaudit. Certains habitants arborent également des masques de juifs au nez crochu.
La recrudescence de l’antisémitisme s’inscrit dans une montée globale du racisme, qui peut se matérialiser par des cris de singes dans les stades de football italiens, comme par des assassinats de migrants ou des fusillades aussi meurtrières que celle qui, le 19 février dernier, coûta la vie à neuf clients de deux bars à chicha, dans la commune allemande de Hanau. L’assassin était sans doute un illuminé, au psychisme dérangé, tout comme le sont les tueurs islamistes. Mais dans les deux cas, la matérialisation criminelle de leur « folie » est alimentée par une idéologie dont ils s’imprègnent comme des éponges. Fascisme de droite, de gauche, ou pseudo spirituel : les ressemblances sont troublantes.
Mais dans l’esprit des élus et des organisateurs du carnaval flamand, dans une région de Belgique où l’extrême droite, le Vlaams Belang, progresse et se prépare à gouverner tôt ou tard, il ne saurait évidemment y avoir le moindre lien entre les caricatures d’Alost (ou les cris de singe dans les stades italiens) et les crimes racistes et antisémites. Bien au contraire, ils rejettent toute critique, déplorent le manque d’humour des juifs ou crient au complot fomenté par Israël. Leur carnaval n’est en somme qu’un Charlie Hebdo monté sur des chars.
La représentation des juifs dans les rues d’Alost rappelle furieusement leur déshumanisation par le IIIème Reich. Quelques années plus tard, cette représentation des juifs légitima, aux yeux des exécutants des basses besognes, l’extermination des juifs dans des chambres à gaz par l’utilisation d’un insecticide, le zyklon B.
La réalité politique de cette faute d’humour est que la dérive antisémite de ce carnaval coïncide avec la montée de l’extrême droite en Belgique flamande. Elle ne peut en aucune manière être comparée aux caricatures de Charlie Hebdo, de même que les sketchs que faisait Dieudonné sur les Juifs à l’époque de son duo avec Élie Semoun (qui, lui, blaguait sur les Noirs) ne peuvent être comparés avec ses vociférations antisémites plus récentes.
On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. Charlie Hebdo n’a jamais été contre les musulmans ni raciste. Charlie Hebdo rit de tout dans une posture humaniste qui fait la différence ! En Flandre, comme ailleurs, le racisme et l’antisémitisme progressent et des racistes se permettent de faire de l’humour qui transmet des messages nauséabonds et surtout dangereux en terme d’ordre public.
C’est l’intention qui est nauséabonde, dangereuse et parfois mortelle. L’extrême droite flamande est donc très admirative de l’humour nazi, il est vrai bien plus renommé et subtil que l’humour juif ! Elle se l’approprie et le revendique. Les habitants d’Alost sont à l’unisson : ils refusent de voir dans ces caricatures la moindre trace d’antisémitisme ou de racisme. Les admirateurs d’Hitler n’étaient sans doute pas antisémites. Ils avaient juste intégré le fait qu’il était salutaire d’éradiquer cette vermine juive qui n’était pas humaine.
L’UNESCO, que l’on ne peut soupçonner d’être aux ordres d’Israël (qui en a claqué la porte), ne s’y est pas trompée, en retirant ce carnaval de sa liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. La Commission européenne considère qu’il est une « honte » et la Première ministre belge, Sophie Wilmès, qu’il est « une atteinte à la réputation de la Belgique ». Les images du défilé ne laissent aucune place au doute. Elles sont un véritable flashback dans l’Allemagne nazie, reprenant tous les poncifs de l’antisémitisme le plus radical. Sous prétexte d’humour et de liberté d’expression, la moquerie se transforme en manifestation triviale de racisme et en incitation à la haine.
On n’est pas antisémite. La preuve : on est aussi raciste !
Nous disions que l’intention était coupable ou criminelle, non la caricature elle-même. La conjonction entre la montée de l’extrême droite et le regain de racisme et d’antisémitisme éclaire sur l’intention. Mais il y a pire, la normalisation de la haine raciale qui dit ouvertement : les juifs contrôlent le monde tout comme les noirs sont des singes et les musulmans tous des terroristes. Ceci est du racisme, non une opinion. C’est une évidence. Il est par conséquent légitime de les dénoncer et de les combattre.
Ceux qui défendent bec et ongle les répugnantes dérives du trop célèbre carnaval font effectivement honte à la Belgique et aux valeurs universelles. Certains soulignent la présence d’autres chars qui raillaient les Noirs et les Asiatiques. Tout va donc bien, car il y en a pour tout le monde ! Tous jurent pourtant la main sur le cœur qu’ils ne sont ni racistes ni antisémites. Tout comme les adeptes du Rassemblement national, lorsqu’ils entonnent « on est chez nous ». Mais nous aurons tout le loisir d’y revenir, du moins jusqu’aux prochaines présidentielles. Après, nous verrons…
En attendant, adressons à nos amis flamands ces vers du grand Jacques Brel qui disait des flamingants : « nazis durant les guerres ou catholiques entre elles, vous oscillez sans cesse du fusil au missel »… Donc voici les Flamands aussi nazis ENTRE les guerres à Alost ? Ce n’est que de l’humour noir !