Indifférente à sa propre beauté, Claire Brétécher a promené son regard de dessinatrice de BD sur le monde moderne et en a traqué les ridicules et les stéréotypes sans jamais céder sur ses parti-pris féministes et anti-racistes : dessinatrice virtuose, championne de la ligne claire à la belge, elle a créé depuis 1969 jusqu’à la fin du XXème siècle une succession d’héroïnes acides et décalées qui opéraient le tour de force d’être à la fois redoutablement satyriques à l’égard de la bourgeoisie de gauche bobo branchée tout en défendant tous les grands combats des milieux d’avant-garde, et en abordant tous les sujets les plus polémiques : contraception, chirurgie esthétique, maternité, sexualité, fécondation in-vitro, esclavage domestique, machisme, inégalités professionnelles, etc. Elle invente un argot bien à elle et fait parler des adolescentes complexées, des mères de famille dépassées, des quadra paumés, aux noms improbables, Agrippine, Cellulite, Docteur Ventouse, le Bolot occidental, les Frustrés.
Traduites dans le monde entier, ses planches ont intéressé les plus grands intellectuels qui ont vu en elle une sorte de sociologue-ethnographe de la middle class. Le dessin était pour elle le moyen de (très bien) gagner sa vie tout en s’amusant. Elle est l’une des rares femmes à avoir eu autant de prix dans le monde de la BD, le Grand prix de la ville d’Angoulême, le Prix Adamson ou encore le Prix Max et Moritz. Elle aurait pu faire du cinéma ou triompher dans la mode : elle a préféré créer un monde qui lui a permis toute sa vie de faire entendre la voix des femmes, sur le mode de l’ironie ! Voilà un splendide moyen de laisser une trace, celui de son crayon, et on ne l’en remerciera jamais assez.