Peut-on envisager qu’un développement important de l’épidémie du coronavirus oblige à reporter les élections municipales dont le premier tour est prévu le 15 mars ? La question tabou est désormais abordée discrètement par les uns et par les autres, même si personne ne veut donner l’impression de paniquer ou d’envisager le pire. Indépendamment des questions d’opportunité sanitaire ou politique, la réponse juridique est simple : il existerait un motif d’intérêt général suffisant pour décaler les élections municipales.
Il est déjà arrivé que le calendrier électoral soit modifié. En 1994, le Conseil constitutionnel avait jugé conforme à la Constitution le décalage de mars à juin 1995 des élections municipales pour éviter qu’elles interférent avec la campagne présidentielle d’avril/mai. En 2005, il a également validé le report des élections municipales prévues en mars 2007 à mars 2008 ainsi que les élections sénatoriales de septembre 2007 à septembre 2008. Ces décalages, prévues longtemps à l’avance, avaient pour justification de ne pas regrouper toutes les élections au printemps ou à l’automne 2007 et de laisser l’élection présidentielle d’avril/mai 2007 se dérouler le plus sereinement possible. Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs, de lui-même, suggéré un aménagement du calendrier afin d’éviter une trop grande concentration des scrutins. En 2013, il a considéré qu’il existait des motifs d’intérêt général suffisants pour modifier le calendrier des élections départementales et régionales et les reporter de 2014 à 2015. La jurisprudence est à la fois abondante et précise. Le report d’élections, c’est-à-dire la prorogation du mandat des élus en fonction, doit être justifié par un motif d’intérêt général et ne pas remettre en cause le principe même de la tenue des élections selon une périodicité régulière. Jusqu’à présent, toutes les modifications de calendrier ont été annoncées à l’avance et reposaient soit sur la volonté de ne pas tout mélanger, soit sur les conséquences d’une réforme intervenue trop tardivement pour permettre de respecter le calendrier initial.
La question est donc posée de savoir si une épidémie importante, et en phase de propagation, peut légitimer, in extremis, le report des élections municipales des 15 et 22 mars à des dates nettement plus lointaines. Au regard de l’exigence d’un « motif d’intérêt général » suffisant, la survenance d’une épidémie de la nature de celle du coronavirus, avec ses obligations de confinement et les risques de contamination dans des espaces clos, est parfaitement défendable. Les bureaux de vote constituent automatiquement des lieux de concentration de la population, avec des files d’attente, des stationnements parfois assez longs et des conditions d’aération souvent médiocres. De plus, la peur de la contamination peut avoir un effet dissuasif sur le comportement des électeurs et les inciter à ne pas se rendre au bureau de vote. Au regard de l’organisation matérielle des élections, une loi publiée le jeudi 12 mars permettrait aisément, en métropole et outre-mer, de ne pas ouvrir les bureaux de vote. Les élus et les candidats seraient certainement attentifs à suivre ces nouvelles dispositions législatives.
D’un point de vue procédural, il conviendrait que le Gouvernement dépose rapidement un court projet de loi portant report des élections municipales et que l’Assemblée nationale et le Sénat unissent leurs efforts pour statuer en deux ou trois jours. Interrompre à l’Assemblée nationale la discussion du projet sur les retraites ne chagrinerait pas grand monde. Une éventuelle décision du Conseil constitutionnel pourrait intervenir en quelques heures. Lorsqu’il y a une véritable urgence, la machine à produire des lois peut aller vite.
Dans la foulée d’une telle loi, il conviendrait de statuer sur au moins trois questions importantes :
– faut-il décaler également les élections sénatoriales prévues en septembre 2020 ? La logique des précédents est de répondre « Oui », mais une discussion est logique ;
– à quelle date faut-il prévoir les nouvelles élections municipales ? Certainement après la fin de l’épidémie, mais qui peut la prévoir? Un report d’un an serait cohérent. Cela permettrait de les jumeler avec les élections régionales et départementales de 2021 ou d’organiser un nouveau calendrier de toutes les élections locales, avec en ligne de mire l’élection présidentielle de 2022 ;
– que faire des comptes de campagne d’aujourd’hui ? Les élections à venir devenant de nouvelles élections, un nouveau point de départ des dépenses et des recettes serait déterminé. En même temps il n’est pas raisonnable de laisser entièrement à la charge des candidats des dépenses à propos desquelles ils espéraient un remboursement partiel de l’État. Une modification législative devient de ce fait indispensable.
Dans l’hypothèse de report ici envisagée, l’urgence est d’y procéder et de faire en sorte que les communes aient le temps de démonter leur organisation électorale. Le Gouvernement et le Parlement disposeraient, ensuite, de quelques semaines pour en tirer les conséquences.
Il est logique de soutenir que la préoccupation de santé publique (lutter contre la dissémination du virus) l’emporte sur le strict respect des échéances démocratiques (le maintien des élections aux dates prévues). Si les plus hautes autorités de la République veulent aller dans ce sens, le calendrier le permet encore.
Didier MAUS
Ancien conseiller d’État, Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel, Maire de Samois-sur-Seine