Jean-Marie Le Guen, vous êtes docteur en médecine, spécialiste des questions de santé publique. Vous avez été plusieurs fois ministre de la République dans les gouvernements de Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Longtemps député du 13ème arrondissement de Paris et conseiller de Paris, fonction que vous quitterez la semaine prochaine, vous êtes aujourd’hui reconverti dans le monde de l’assurance à l’international, – vous conseillez le président du groupe Siaci Saint-Honoré. Que pensez-vous de la réaction de l’opinion publique alors que nous sommes certainement sur le point d’entrer dans le stade 3 de l’épidémie du coronavirus en France ? La panique ne prend-elle pas le dessus ?
Non, je ne le pense pas. Dans l’ensemble l’opinion internationale prend conscience, dans un délai extrêmement rapide, des standards sanitaires et comportements qu’il va falloir adopter face à une telle crise. Car nous allons devoir gérer le fait que des épidémies se reproduiront probablement tous les deux à dix ans.
Certes, nous avons à faire à un phénomène social international puissant. Certes, il ne faut pas exclure les réactions autoritaires ou extrêmes, notamment de discrimination comme nous avons pu le voir à l’endroit d’Asiatiques ou d’Italiens, et qu’il nous faut condamner.
Mais dans l’ensemble, surtout en Europe, nous bénéficions de vrais modèles de gestion sanitaire et de standards qui combinent efficacité et liberté nettement mieux que d’autres, comme les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou la Turquie.
Il ne faut donc pas céder à la panique ?
Nous devons surtout réapprendre des règles d’hygiène qui avaient un peu disparu avec un système sanitaire et pharmaceutique très efficace. D’une certaine manière, le bon sens est de retour en matière d’hygiène et de socialisation et nous nous en souviendrons à la prochaine épidémie de grippe par exemple.
Ensuite, le message principal est de manier l’alerte, la sérénité et la confiance. Car nous avons la chance en France d’avoir un corps médical indépendant, une administration tournée vers la solidarité et la protection et des représentants politiques qui adoptent une attitude responsable face à la crise.
Un sondage de mutulle-santé.fr du 20 février annonce que 24% des personnes sondées ont une appréhension envers les personnes d’origine asiatique. Que pensez-vous de ces réactions ?
On assiste à la renaissance de préjugés qui sont inacceptables. Des réactions politiques qui appellent à fermer les frontières constituent une double faute : à la fois l’information est erronée et la mesure est dangereuse. Attaquer des touristes italiens, comme on l’a vu en Guadeloupe, évites de côtoyer des Asiatiques, c’est faire preuve d’une réaction de panique et de rejet qui de surcroît ne prémunira personne du coronavirus.
Toutes les épidémies réveillent les peurs et les démons : des pogroms antisémites au temps de la peste, des sorcières qu’on faisait brûler. Il faut donc être très vigilant contre les comportements racistes.
Pensez-vous que la relation entre la Chine, d’où est venue l’épidémie, et le reste du monde va évoluer ?
Une évolution était déjà amorcée mais elle va surement être renforcée et accélérée. La Chine avait déjà un projet de réorientation de sa production industrielle vers le marché intérieur. Et le reste du monde prend conscience aussi de sa dépendance vis-à-vis de la Chine.
Prenons le marché du médicament. Non seulement les Chinois aimeraient eux aussi avoir accès aux médicaments haut de gamme qui sont produits sur leur territoire mais qui étaient exportés jusque-là et d’autre part les Occidentaux vont vouloir désormais relocaliser une partie de leurs productions pharmaceutique.
Les lignes bougent et bougeront plus vite à la faveur de cette crise. La Chine ne sera plus demain l’atelier du monde et c’est finalement une bonne chose pour les Chinois comme pour nous.
Vous avez été Secrétaire d’État chargé du Développement et de la Francophonie. Etes-vous inquiet de l’arrivée du coronavirus en Afrique ?
Indiscutablement le virus est déjà sur le continent ou va y arriver. Mais la population est extrêmement jeune et donc sera moins touchée. Par contre cela soulève la nécessité d’y organiser un système de soins plus efficace qu’il ne l’est aujourd’hui.