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06H33 - vendredi 13 mars 2020

Deux effroyables leçons. Chronique d’une nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate

 

Le plus fort de l’histoire, c’est sa préhistoire. Avant. Wolfgang Kapp est né en 1858 à New York des œuvres d’un député libéral allemand qui avait fui le régime impérial. Un père qui n’avait cessé sa vie durant de dénoncer arbitraire, esclavage, nationalisme… Le fils, né américain avant d’être sujet de l’empereur germanique, aura de surcroît bien failli mourir… en Suède, ce qui n’est pas banal pour un garçon qui, sa vie durant, ne cessera de prôner, lui, le nationalisme allemand.

Rapatrié en 1870, le jeune Wolfgang, juriste diplômé de Tübingen et Göttingen avec les félicitations de l’empereur Guillaume II, devient un père de famille encore assagi durant la Belle Epoque par une vie de directeur général des banques de crédit agricole de l’Est prussien. Une vie millimétrée, avec épingle de cravate, binocles de myope, mèche discrète et nuque bien dégagée sur un col amidonné et avant tout, horaires réglés au métronome. Plus conforme, pas possible ! Rien ne semble alors le prédisposer à devenir ce qu’il va choisir d’être… C’est compter sans la guerre, celle de 1914-18, cette fournaise, qui ravive chez le quinquagénaire l’esprit du sabreur universitaire à la mode prussienne, le visage lacéré par les lames. Avec derrière lui, sa haine d’une certaine enfance américaine. En 1917, Kapp fonde le parti de la patrie allemande.

Jusqu’alors, le banquier devenu magistrat ne brillait que par le patriotisme le plus traditionnel. Mais tout allait basculer avec la deuxième bataille de la Marne (juillet 1917). Tout le monde l’a oublié, mais l’échec de l’offensive de Ludendorff ne tient, ni à la Révolution bolchevique -postérieure de quelques mois, octobre 1917- ni à un « coup de poignard dans le dos » que de mystérieux comploteurs -tels Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht ou autres Rathenau, vite expédiés ad patres- auraient asséné à l’armée impériale, mais… à la grippe dite espagnole qui aura décimé des corps d’armées entiers, des soldats exténués tombant sans même avoir été frappés des balles ennemies. Les alliés franco-anglo-américains, moins affectés par la pandémie, pavoiseront après la contre-offensive et leur victoire, au 11 novembre 1918.

L’histoire tient autant du mythe que de la réalité la plus factuelle. Ludendorff, maître de l’armée allemande, le vaincu de la Marne et de la guerre, décidément plus machiavélien que grand stratège militaire, recrute Kapp l’organisateur, le maniaque de la ponctualité, le génie de l’intendance, mais ne lui en dit pas davantage. Pour autant, ce n’est pas rien ! L’enfer ouvre sa gueule… Pour preuve : un certain lieutenant de vaisseau Heydrich, alors marin, accrochera le portrait de Kapp dans sa cabine.

Nous sommes le 13 mars 1920. L’armée française demeure en Rhénanie, le gouvernement républicain du chancelier Gustav Bauer se trouve hors Berlin, les employés sont partis en week-end. Les corps francs, notamment ceux de la brigade Ehrhardt, mettent leurs dix mille hommes à disposition d’un général putschiste de Berlin pour faire tomber la République. Les soldats investissent, au matin de ce fameux samedi de mars 1920, les points stratégiques, centrales télégraphiques et ministères. Ils mettent en place un gouvernement provisoire. On proclame chancelier … Wolfgang Kapp !

Tout se passe comme à l’exercice : la précision teutonne, l’occupation de tous les rouages fonctionnent telle l’horloge Kapp. Le pouvoir repose entre ses mains, la République encore balbutiante, ne s’est pas défendue : « L’armée ne tire pas sur l’armée » a-t-on entendu. Samedi et dimanche, les putschistes fêtent leur victoire. La République de Weimar n’existe plus. A Kapp et Ludendorff la bière et le schnaps du banquet des vainqueurs, avec Wagner pour stimuler les ardeurs du lendemain radieux !

Mais les fêtes s’épuisent. Fin du week-end. Lundi matin, 15 mars 20. Le temps est gris et froid. Avec un « petit détail » : la grève générale. Dès les premières lueurs de l’aube, c’est patent : pas un ouvrier, pas un employé, ne se présente sur son lieu de travail. Pays paralysé. L’armée tente bien quelques intimidations. Tout glisse. Ludendorff a compris. Le 16, Kapp s’enfuit en Suède. Il reviendra finalement mourir en Allemagne.

Pour autant, il ne faut pas mésestimer l’événement ! 13 mars 1920 ! 1920-2020 : centenaire de la tentative ! Dans un petit chef d’œuvre comparable au Prince de Machiavel, « Technique du Coup d’Etat », Curzio Malaparte a bien compris et exposé l’importance capitale de la tentative. Sans Kapp, Ludendorff, ce parrain des coups de force, n’aurait pas compris quoi faire … la fois suivante !

Kapp a échoué, le gouvernement républicain du chancelier Gustav Bauer a démissionné le 20 mars, mais deux effroyables leçons ont été tirées de la tentative.

  1. Réussir un coup d’Etat nécessite autre chose qu’une technique. Pas de mouvement insurrectionnel victorieux sans soutien populaire. A première vue, c’est rassurant. Un putsch exclusivement militaire n’est pas possible. Mais a contrario, tout ce que nous savons du maniement des foules est né, a contrario, de l’expérience Kapp. Et par souci de ne pas épaissir notre collection de lettres d’insulte, nous ne parlerons pas d’exemples fameux outre-Rhin, tel un certain 13 mai. Ni de certaines modes ici et là : chemises noires, drapeaux multicolores ou gilets jaunes.
  2. Un petit événement – tout le monde ignore jusqu’à l’existence du putsch Kapp… faîtes le test autour de vous – peut porter en soi de grands effets. C’est la plus effroyable leçon du « putsch Kapp ». Trois ans après Kapp, Ludendorff lançait un caporal autrichien dans les rues de Munich.

Il ne faut décidément jamais négliger les « signes faibles ». Et conserver en tête le sage dicton marin : petite fissure fait couler grand vaisseau…

Jean-Philippe de Garate

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