À force de s’enfermer dans des représentations fausses de la mondialisation, nous en arrivions à maudire le libre-échange, le commerce international, l’ouverture des frontières et à être tentés par l’isolationnisme et pourquoi pas par la haine des étrangers et la peur des réfugiés. Or les risques de récession sont là avec leur cortège de faillites d’entreprises, de chômage et de pauvreté démontrant s’il en était besoin l’imbrication des économies et des liens entre les différents continents.
Voici en effet qu’un « simple » coronavirus, le COVID-19, émerge de Chine et envahit la planète. Il nous montre quoi ?
- La dangerosité de certains comportements à risques. Les actions sans anticipation des risques, qu’ils soient économiques, scientifiques ou simplement humains ; la Nature dont nous ignorons encore beaucoup de choses ne se laisse pas manœuvrer par des actions inconsidérées. C’est ainsi que des imprudences sont faites comme la barrière entre les animaux et l’espèce humaine, le cycle des déchets mal maîtrisé lorsque l’on rejette dans la nature des produits toxiques ou infectés, les pollutions de toute sorte. Des maladies infectieuses émergent alors, des maladies zoonotiques, des cycles écologiques sont perturbés et nous provoquons des incidences négatives en chaîne. On rappellera que les molécules médicamenteuses sont quasiment toutes fabriquées en Chine et en Inde. Sans omettre de souligner que dans ces pays les effluents liquides pleins d’antibiotiques sont rejetés dans les rivières. Beaucoup de ces impacts sont irréversibles et nous sommes dans l’inconnu et l’imprévisible.
- La nécessité absolue d’une gouvernance publique d’anticipation. L’objectif primordial pour les États de mieux anticiper les risques et de prévoir des mesures de prévention tout au long des chaînes de l’action publique s’impose. Un nouvel équilibre doit être trouvé entre principe de précaution et aversion au risque selon les situations. Un modus operandi avec les Médias sans obérer la liberté de la presse devrait pouvoir limiter l’effet hystérisant et de dramatisation des annonces en continu qui est un vecteur puissant de panique. Le retour à des pratiques d’hygiène dans la vie quotidienne ne devrait pas s’éteindre après la crise et l’éducation des populations jeunes et moins jeunes en matière de propreté ne devrait jamais d’arrêter. L’effort public de recherche fondamentale en l’occurrence ici sur les virus ne peut être mené à bien dans un cadre de court terme. Le calcul a posteriori qui consistera à rapprocher l’investissement financier optimal qui aurait pu être fait avec le coût humain et économique de cette crise sera nul n’en doute démonstratif de cette carence d’anticipation des risques.
- La réduction de la pollution concomitante à celle des activités économiques. Cette mise en évidence que ce virus réduit la pollution par la baisse d’activité qu’il provoque n’est pas sujette à étonnement ; elle fait toutefois la promotion à grande échelle du télétravail – qui ne saurait être généralisable à toutes les activités – et nous incite à d’autres formes de l‘organisation sociale pouvant s’avérer plus utiles et plus conformes à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et aux 17 objectifs du développement durable.
- La solidarité extrême dans laquelle nous sommes placés: le prix à payer du progrès – car il n’y a pas que du négatif dans le progrès, loin de là – se mesure en croissance des interdépendances qui caractérisent la complexité. La complexification croissante des êtres vivants et des organisations est un gage d’intelligence et de pouvoirs d’adaptation supplémentaires. Or cette loi de la cybernétique n’est pas souvent prise en compte et nous sommes alors en présence d’organismes, publics notamment, ou de méthodes, inadaptés aux nouveaux contextes. La croissance de la sophistication des échanges de produits et de marchandises dans le commerce internationale depuis 50 ans, la pratique à flux tendus liée à la capacité du transport aérien et maritime, ont développé des usages qui ont amplifié pour le meilleur et pour le pire l’étroite dépendance des économies mondiale et régionales. Des filières entières raisonnent au plan mondial. Stopper cela ne pourrait que provoquer des catastrophes encore plus grandes pour la croissance économique, la création de richesses et d’emplois. Ceux qui prônent le protectionnisme économique ou la fermeture des frontières se trompent. C’est au contraire l’harmonisation vers le haut des normes sociales, sanitaires sociales et environnementales qu’il faut prescrire.
À cet égard, il est sans doute recommandé de prendre exemple partiellement sur des institutions internationales qui ont plutôt réussi du seul fait que se plaçant à bonne distance des considérations politiques naturellement jamais éloignées, elles ont axé leurs interventions sur des aspects strictement techniques. En revanche, d’autres ont pu, du fait de la nature non strictement technique de leur domaine, subir des influences d’intérêts économiques surtout lorsque ces mêmes intérêts finançaient une majeure partie de l’institution contrairement aux premières, où seuls les États contribuaient au financement des dépenses.
- La globalisation accrue exige une mondialisation étendue, voire complète. Dans la mesure où la globalisation, terme qui décrit l’extrême croissance allant s’accélérant des interdépendances entre plusieurs facteurs dans un environnement toujours plus élargi, – on parle ainsi de globalisation financière – il est nécessaire de développer la mondialisation géographique et politique et non de la restreindre. Par exemple le monde entier aujourd’hui a besoin de la Chine pour la fabrication de ses médicaments, de même que l’ensemble des pays de monde dépend de plus en plus intimement de l’expansion des autres. Arrêter l’économie plus que de besoin du fait du virus entraînerait des catastrophes encore plus grandes. Les poches de pauvreté dans le monde dans les pays dits émergents ou dans les pays riches sont de toute façon autant de risques y compris sanitaires pour la planète. L’accroissement des inégalités, et d’ailleurs l’état même du niveau actuel des inégalités sont des causes racines de plus grands malheurs futurs. Néanmoins on voit poindre des tentations de replis qui nous entraineraient vers des engrenages dangereux ; en Europe le virus est apparu le 24 janvier 2020 [1] et depuis chaque pays a réagi de son côté jusqu’à la réunion extraordinaire du 10 mars dernier à la suite de laquelle l’UE mobilise 25 milliards d’euros pour lutter contre l’épidémie. Mais certains pays interdisent l’exportation de masques médicaux (sauf dans un cadre humanitaire (sic) tandis que la Chine va envoyer des masques et du matériel de ventilation à l’Italie.
Par ailleurs le Président américain ferme pour trente jours les États-Unis aux étrangers venant d’Europe !
- S’approcher d’une gouvernance mondiale. Cette situation et ce qui précède apportent des arguments à ceux qui prêchent depuis longtemps en faveur d’une gouvernance mondiale. Il est en tout cas probant que les tentations de limiter le multilatéralisme qui se sont faites jour ces derniers temps notamment aux États-Unis vont très vite s’avérer ineptes. La population mondiale ne trouvera des solutions à ses peurs qu’en renforçant sa coopération dans tous les domaines. Quant à la croissance démographique, on va finir par y voir une chance formidable pour développer l’intelligence et la créativité de l’humanité avec l’arrivée de nouveaux et de plus nombreux êtres humains. La croyance au développement des murs et des frontières est, au-delà même des valeurs supérieures de l’humanité que nous nous devons de protéger et de respecter, exprime une totale imbécilité. Ni les nuages radioactifs, ni la pollution des eaux, ni les virus ne prennent en considération les frontières juridiques.
Si l’Europe ne montre pas l’exemple, qui le fera ?
En somme, le COVID-19 nous sort de l’impensé et nous invite à développer des stratégies de survie ancrées dans la réalité. Les 17 objectifs du développement durable pourront être atteints dans un contexte plus serein et plus coopératif, par conséquent avec toujours plus d’efficience. Ce que nous souhaitons dire par là, c’est qu’il ne faudra plus se payer de mots ; par exemple :
- Dans croissance sobre, il y a croissance et développement économique, créativité industrielle et artistique, mais aussi respect de la nature et respect des hommes et de leurs rythmes ;
- Dans diversité des cultures, il y a combat contre l’ignorance et donc éducation, dialogue et fertilisations croisées ;
- Dans agilité, il y a liberté ; dans efficacité, il y a justice !
- Dans travail il y a rendement, mais aussi accomplissement de chaque individu !
- Dans système économique il y a production des salariés ou d’autres agents économiques, mais encore égalité des droits et qualité de la vie au travail
- Dans progrès technique il y a progrès humain et spirituel….
Naturellement à chaque il y a, correspond l’expression d’une capacité à traduire dans les faits et non d’une automaticité. Le COVID-19 nous renvoie à des valeurs et à une volonté collective. Il révèle aussi notre médiocrité et notre suffisance, nos intérêts individualistes, nos passions tristes, notre appât du gain, bref nos fragilités. Mais avant toute chose, il révèle nos atouts et notre instinct de survie collective manifesté en particulier par les personnels soignants. On pourrait presque dire que le malin virus est venu à leur aide pour rappeler combien ils ont été maltraités, et avec eux le secteur de la santé, par une gestion étroitement comptable. Il révèle plus encore que la santé des hommes est reliée à d’autres équilibres économiques, sociaux, ou environnementaux. D’où la prise de conscience urgente de politiques publiques inscrites dans des visions de long terme.
[1] Gaël Coron, professeur à l’EHESP France Culture 12 mars 2020. Selon ce spécialiste l’Union européenne bloque toujours sur le fait qu’elle n’a pas de services déconcentrés ; elle n’a qu’une compétence d’appui et est limités dans son budget et ses moyens humains.
Francis Massé
Francis Massé, ancien élève de l’ENA, est essayiste et consultant. Membre fondateur de Cercle de la réforme de l’État, son dernier ouvrage Urgences et lenteur – Politique administration, collectivités, un nouveau contrat vient de paraître aux Éditions fauves. Il est préfacé par Anne-Marie Idrac.