La Constitution de 1958 avait pour ambition de garantir la stabilité et l’efficacité des Pouvoirs publics, notamment face à des crises militaires ou internationales. La Ve République a surmonté de nombreuses situations très difficiles, qu’il s’agisse des quatre années de la guerre d’Algérie, des turbulences de Mai 1968, des crises du Golfe arabo-persique ou, plus récemment, des attentats terroristes. À chaque fois les autorités politiques ont pu réagir et faire face à la situation dans le strict respect des règles constitutionnelles. Aujourd’hui, l’épidémie du coronavirus est d’un genre totalement nouveau. Il suffit, par exemple, de relire la loi de 1955 sur l’état d’urgence, révisée en dernier lieu en 2018, pour constater que si l’état d’urgence peut être mis en œuvre « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique », ce qui est le cas d’une épidémie de l’ampleur de celle que nous connaissons, la seule véritable hypothèse envisagée est celle d’une atteinte à l’ordre public. C’est probablement la raison pour laquelle le Président de la République n’a pas évoqué l’hypothèse de la déclaration de l’état d’urgence.
Le dispositif annoncé par Emmanuel Macron le 16 mars au soir montre bien comment les responsabilités s’organisent en fonction des compétences prévues par la Constitution et du partage des tâches. Le Président, prenant quelque peu exemple sur ce qu’avait fait François Mitterrand en 1990-1991, devient un véritable « chef de guerre », non seulement en utilisant fortement le « Je », mais également en prenant régulièrement la parole devant les Français pour marquer les différentes étapes de la lutte contre le virus. En plus de sa qualité de chef des armées, le Président de la République devient médecin général en chef de la France. Ce nouveau rôle repose très directement sur une interprétation extensive de l’article 5 de la Constitution, celle relative à la continuité de l’État, au sein de laquelle il importe de ranger la sécurité sanitaire du pays. Il sera, dans quelques semaines, particulièrement intéressant de regarder à la loupe les rôles respectifs du Président, du Premier ministre et des ministres les plus concernés (santé, intérieur). Il est évident qu’aucune mesure, même la plus technique, n’est annoncée sans l’accord formel de M. Macron. François Mitterrand avait déjà indiqué que rien n’était rendu public sans son approbation expresse. De ce point de vue, la continuité est là.
Le fait qu’il soit indispensable de réunir en urgence le Parlement, lequel est en session ordinaire, montre les limites du pouvoir présidentiel. Il appartient à l’Assemblée nationale et au Sénat de voter les lois permettant le report du deuxième tour des élections municipales dans les quelque 5000 communes où le résultat du premier tour n’a pas permis de désigner un vainqueur et donc un maire. Le Parlement devra également autoriser le Gouvernement à prendre par des ordonnances rédigées sur le fondement de l’article 38 de la Constitution diverses mesures, en particulier dans les domaines économiques et sociaux. Le Conseil constitutionnel pourra, bien évidemment, être saisi de la conformité de ces lois à la Constitution, notamment pour tout ce qui concerne le respect des Droits de l’homme et des libertés. Il statuera en extrême urgence. De son côté, le Conseil d’État sera peut-être amené à se prononcer sur les mesures restreignant la liberté de circulation ou de rassemblement. Il ne fait aucun doute que les fermetures de commerces et les divers aspects du confinement, qui ressemblent quelque peu à un couvre-feu, méritent d’être appréciés au regard du principe de proportionnalité, c’est-à-dire du rapport entre l’absolue nécessité de lutter contre l’épidémie et les inévitables limitations des libertés individuelles et collectives. L’équilibre n’est pas aisé à trouver, mais dans une démocratie la critique est possible et le recours au juge est un droit fondamental.
Quant à la nouvelle organisation des élections municipales, elle s’inscrit dans la logique du renforcement des mesures de restriction de circulation. Il aurait été préférable de s’y prendre un peu plus tôt (voir ma chronique du 2 mars), mais il devient impossible de prévoir une nouvelle date pour le second tour. Celle du 21 juin, avancée de manière officieuse, a l’avantage de laisser entendre que la crise sera terminée dans le courant du mois de mai et qu’il ne sera pas nécessaire de déplacer les élections sénatoriales prévues fin septembre. Il sera toujours temps, si les circonstances l’exigent, de prévoir un autre dispositif. L’essentiel est, aujourd’hui, de ne pas mélanger le « restez-chez vous » avec « allez voter ».
À ceux qui ont imaginé que l’article 16 de la Constitution sur les pouvoirs exceptionnels du Président de la République pouvait être utilisé, il suffit de rappeler que cette bombe atomique constitutionnelle nécessite que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnel est interrompu ». Ce qui vient d’être analysé à propos de « qui fait quoi ? » montre que les institutions fonctionnent parfaitement. Il est, pour l’instant, totalement hors de propos d’évoquer l’article 16. Que la crise de sécurité sanitaire ne devienne pas une crise politique, voilà un exemple de plus des avantages de nos institutions. A bon entendeur, salut !
Didier MAUS
Ancien conseiller d’État
Président émérite de l’Association internationale de droit constitutionnel
Maire de Samois-sur-Seine