International
17H05 - vendredi 20 mars 2020

Francophonie, pourquoi notre indifférence ? par Thierry Cornillet et Christian Philip

 

Nous « fêtons » le cinquantième anniversaire de la francophonie en ce 20 mars. 20 mars, dit chaque année « jour de la francophonie ». La Francophonie existe incontestablement au niveau institutionnel à travers l’OIF (dont les membres de plein exercice, associés ou observateurs sont près d’une centaine d’États) et ses opérateurs (par exemple TV5, ou l’Agence universitaire de la francophonie qui regroupe près d’un millier d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche). Mais cela ne doit pas faire illusion. Les budgets de ces organisations sont très faibles et en diminution du fait du désengagement progressif de la France. Et surtout combien de signes en francophonie, et d’abord en France, de recul de la francophonie (de l’utilisation d’expressions en anglais en publicité ou pour des logos, de la multiplication de formations universitaires tout en anglais dans nos grandes écoles et universités, à l’utilisation de l’anglais dans nos entreprises comme langue de travail même entre francophones ou par nos diplomates et hommes politiques…). On nous dit que la démographie encore forte en Afrique va accroître le nombre de francophones, mais encore faudrait-il que ces jeunes africains apprennent puis parlent français demain et qu’ils s’approprient un sentiment d’appartenance à une communauté propre. Pour cela il faut qu’outre leur appartenance à un pays parlant français (mais souvent, pas seulement), qu’ils considèrent que parler français est un atout pour eux. Or telle n’est pas l’évolution constatée. 

Ce XXIème siècle est marqué par la mondialisation et une langue de communication unique, l’anglais. Il ne s’agit pas de s’élever contre ce constat ou de mener une guerre contre l’anglais. Nous devons parler anglais. Mais défendre la francophonie c’est, à travers le français, promouvoir une conception de la mondialisation (une mondialisation qui respecte la diversité linguistique et culturelle), des valeurs (la démocratie et les droits de l’Homme). C’est expliquer que le respect des langues et cultures nationales est le seul moyen de concilier mondialisation et respect des identités de chacun. L’uniformité de la mondialisation conduit au repli sur soi et au populisme que nous voyons se développer dans bien des pays. C’est encore expliquer que connaître plusieurs langues est un atout à bien des points de vue. 

Il est temps de réagir. Il ne s’agit pas d’un combat d’arrière-garde mais de chercher à convaincre que la francophonie est nécessaire. Nécessaire pour que la mondialisation ne se traduise pas par un alignement à travers l’anglais sur un droit (des normes et une jurisprudence), une culture… uniformes. Nécessaire pour que la mondialisation respecte les spécificités des identités propres à chaque aire linguistique et ne pas susciter inévitablement des réactions de repli et plus encore des conflits. Nécessaire même pour défendre les intérêts propres aux pays qui ont le français en partage.

La francophonie ce n’est pas seulement la France mais évidemment pas de francophonie sans la France. Et pourquoi d’autres pays s’engageraient alors encore durablement et développeraient l’enseignement du français si notre pays ne croit plus à cet espace ?

 Certes, pour la première fois, le Président de la République a établi une vraie feuille de route pour la promouvoir… mais il faut bien dire qu’elle ne s’est pas assez traduite en actes, au contraire même (citons l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants étrangers sans faire une exception pour les francophones ou les restrictions sans cesse croissantes à l’obtention de visas – à quand un espace Schengen de la francophonie ? -). Préfère-t-on que les futures élites africaines soient formées à Harvard ou Cambridge avec les conséquences de réseaux et de normes qui en découlent ?

Nos élites en général considèrent la francophonie comme une réalité dépassée et défendre la francophonie dans la sphère politique est souvent considéré comme « ringard ».

Nous voulons, en espérant qu’il est encore temps, dire que nous devons nous ressaisir et être actif… Pour ce faire il faut une volonté politique encore plus affirmée au plus haut niveau des États et d’abord en France. À ce propos, supprimer le ministère qui était en charge puis reléguer la francophonie dans les attributions d’un simple Secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères en charge d’autres dossiers complexes (commerce extérieur, tourisme, développement) ne peut lui permettre de la promouvoir et ne lui donne aucune compétence sur le territoire français.

Quelle que soit la qualité des titulaires, Ministre ou Secrétaire d’État, le don d’ubiquité n’existe pas !

Nos partenaires, notamment africains, ont besoin d’une « incarnation » au sens étymologique du terme donc d’un interlocuteur identifié et disponible.

Il y a donc le souci de se doter d’un outil approprié au monde moderne sans aucune nostalgie de Foccart et de la France Afrique.

Outre l’action du Président de la République et à défaut d’un ministère de plein exercice, ce qui serait souhaitable, créer un ministre délégué auprès du Premier Ministre permettrait de traiter la problématique dans son ensemble.

En effet la francophonie est une matière horizontale qui dépasse le périmètre de la diplomatie et qui s’appuie sur beaucoup d’autres compétences ministérielles.

Son action de coordination est importante car il existe à minima six francophonies :

1 – La francophonie d’influence : c’est bien sûr l’action diplomatique mais aussi, via les institutions existantes, telles l’Organisation Internationale de la Francophonie, l’Agence Universitaire de la Francophonie, les Alliances Françaises auxquelles il faut ajouter les médias, qui présentent une vision française de l’information parfois bien sûr en langues étrangères (cf. France 24 ) ;

2 – La francophonie culturelle et universitaire : elle conforte et développe l’image de notre pays, attire des jeunes, garantit l’existence de notre droit continental et de nos normes et fait de la France une référence de valeurs ;

3 – La francophonie économique : elle permet dans l’espace francophone de garantir le développement de pays non pas seulement amis mais faisant partie de la même famille (d’où le visa francophone.) Ce développement conjoint profite à tous car on commerce au sein de l’espace francophone et celui-ci peut s’allier pour commercer avec le reste du monde (Made in Francophonie…) ;

4 – La francophonie numérique qui reste à développer et nous ne le ferons pas seuls ;

5 – La francophonie en France : apprendre le français, le maîtriser, le partager est essentiel à notre communauté nationale si diverse ;

6 – La francophonie mondiale : au-delà̀ du partage d’une même langue (les Français sont les seuls unilingues de la francophonie, les autres parlent arabe, wolof, bantou, etc.), la francophonie est l’alliée de la diversité́ linguistique dont elle doit aider au développement. Mais surtout l’action sera différente selon le continent considéré́, par exemple en Amérique du Sud ou en Asie, c’est plus la francophilie qui conduit à la francophonie dont le traitement doit être similaire à celui de l’Afrique.

Nous devons aussi présenter, expliquer la francophonie à nos concitoyens, mobiliser la société civile.

La francophonie est un puissant vecteur de politique intérieure car elle permet de s’adresser à de nombreuses personnes dont elle attire l’attention parce qu’elle est un sujet de réflexion, de préoccupation et d’action pour plusieurs millions de nos compatriotes : Français établis hors de France, binationaux français, collectivités territoriales, organismes consulaires et ordres professionnels, clubs services, organismes humanitaires, monde universitaire, enseignants de français, entreprises exportatrices, etc.

Telle est l’ambition aujourd’hui des Maisons de la francophonie que nous développons en France et au plan international. Le Réseau en constitution se donne cette mission. Telle est aussi celle des associations de collectivités locales qui se donnent pour mission la coopération décentralisée entre pays francophones et la pédagogie sur le terrain basée sur la connaissance mutuelle et les échanges.

Thierry CORNILLET, fondateur de l’Association Internationale des Régions Francophones (AIRF). Ancien député national et européen.

 

Christian PHILIP, Président de la Maison de la Francophonie de Lyon. Ancien représentant personnel du Président de la République pour la francophonie

 

 

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